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D’un effort surhumain, il s’agrippa au bord de la piscine et resta là, sans force pour remonter. Des morceaux de sa peau disparaissaient sans cesse dans le bouillonnement. Felipe et Malko bondirent. Les gardes les repoussèrent brutalement.

Malko eut le temps de voir les mains d’Eugenio. Il n’y avait plus que les os où s’accrochait un peu de chair rosâtre… Le Chamalo s’approcha et, calmement, posa sa grosse chaussure sur les deux mains, les écrasant et les repoussant dans le liquide. Le corps d’Eugenio partit en arrière, et le gamin coula, dans un ultime cri étranglé.

Il y eut un silence mortel. Les gardes avaient braqué leurs armes sur Malko et sur Felipe. Christina avait détourné la tête. Tacata se gratta la gorge et dit :

— Cet imbécile a dévoilé ma surprise. Voilà la mort que je vous réserve, messieurs. Votre complice a déjà pris son bain dans ma piscine. C’est encore une de mes inventions : une combinaison d’acides qui, en apparence, ressemble exactement à de l’eau pure. Mais ce liquide dissout un corps humain en deux heures. Excellent, n’est-ce pas ?… Nous nous en servions en Mandchourie, pour faire disparaître les corps des prisonniers politiques gênants.

— Vous êtes un immonde salaud, dit Malko. Celui qui aura votre peau rendra un fichu service à l’humanité.

— Ce ne sera pas vous, en tout cas, siffla Tacata. Chico, Jorge, jetez-le dans la piscine.

Les deux Mexicains se précipitèrent. Malko reçut un coup de crosse en plein dans le foie et se plia en deux de douleur. Sa tête tournait et il était sans force. Centimètre par centimètre, les deux types le traînaient vers le liquide mortel. Immobilisé, lui aussi, Felipe regardait la scène, impuissant.

La tête de Malko arriva au-dessus du liquide. Il y voyait son reflet. Ses deux bourreaux, de chaque côté, lui tenaient les bras. Ils n’avaient plus qu’une poussée à lui donner. Tout son corps se révoltait à la pensée de l’atroce brûlure. Il pensa : « Je vais en avaler le plus possible, cela ira plus vite. »

Il y eut un cri sauvage.

Christina avait bondi de son fauteuil et s’accrochait aux deux bourreaux. Comme ils ne lâchaient pas Malko, elle se glissa le long du bord et se pendit à son cou : si Malko tombait elle tomberait aussi…

Cette fois, c’est le Chamalo qui hurla. Précipitamment, les deux Mexicains ramenèrent en arrière Malko et Christina. Malko se secoua et reprit sa respiration.

Le Chamalo et Christina discutaient violemment, en dialecte indien. Furieux, Tacata suivait leurs répliques. Le ton monta et Christinâ acheva la discussion par une longue tirade. Le Chamalo se tourna vers Tacata :

— Elle ne veut pas qu’on les tue ainsi, dit-il.

Tacata bondit :

— Comment, elle ne veut pas ! Forcez-la !… Attachez-la… C’est moi qui commande, ici !

Le Chamalo eut un rire cruel :

— Peut-être, mais Christina a trop fait pour notre cause. Je ne veux pas la contrarier au sujet d’un aussi mince détail.

— Comment, un détail !… Mais il faut les tuer, les tuer ! Ce sont nos ennemis.

Tacata bouillait de rage. Christina le regardait avec un mépris non dissimulé. Conciliant, le Chamalo proposa :

— Enfermez-les avec les rats. Ce sera moins amusant pour vous, mais aussi efficace. Elle ne dit pas qu’il ne faut pas les tuer, elle ne veut pas que cela se passe ainsi.

Il lui parlait comme on raisonne un enfant gâté. Le Japonais réfléchit quelques secondes, puis bougonna :

— Tant pis. Qu’on les conduise aux cages. J’arrive.

Les gardes entraînèrent Malko et Felipe. Pas une fois, Malko ne rencontra le regard de l’Indienne. Trois minutes plus tard, deux gardes vêtus de cuir et de hautes bottes ouvraient la porte d’une des cages à rats et les poussaient à l’intérieur. Effrayés, les rongeurs refluèrent au fond de la cage.

Felipe et Malko restèrent collés aux barreaux doublés d’un épais grillage, cherchant à percer l’obscurité. À trois mètres d’eux, ils entendaient le trottinement des animaux qui tournaient en rond. Une centaine de lueurs rouges, comme des mégots incandescents, clignaient dans le noir : les yeux des rats. Quelque chose frôla la jambe de Félipe ; il hurla et se cogna aux barreaux.

— Pardon, señor S.A.S. ! murmura-t-il. Mais les rats, j’en ai toujours eu peur. Alors ceux-là !…

— Mon vieux, fit Malko, j’ai tellement peur que je n’ose pas parler.

La lumière s’alluma. C’était Tacata, toujours en blouse blanche. A pas menus, il s’approcha de la cage où se trouvaient les deux hommes. Il était à quelques centimètres d’eux. Seulement il y avait les barreaux…

— Vous avez échangé une mort rapide contre une fin longue et pénible, messieurs, dit-il d’un ton doucereux.

D’un jet précis, Felipe lui cracha en plein visage. Tacata s’essuya à un pan de sa blouse. La colère le faisait trembler tout entier.

— Je regrette de ne pas pouvoir assister à votre agonie, dit-il. Mais je dois partir, dès que j’aurai terminé ma production. C’est dommage.

— Voici ce qui va se passer. Pour le moment mes petites bêtes ont mangé, elles ne vous attaqueront pas beaucoup. Mais, à partir de demain, elles vont avoir grand faim. J’ai donné l’ordre de ne plus les nourrir. Alors, elles vont d’abord tourner autour de vous, de plus en plus près… Puis les plus audacieux tenteront de vous mordre. Vous en tuerez quelques-uns. Mais, dans le noir, vous ne les verrez pas tous, n’est-ce pas ! Ils s’enhardiront. Après, quand le poison de la peste coulera dans vos veines, il vous faudra environ une semaine pour mourir, comme des bêtes. C’est très douloureux, la peste, vous savez. Vous aurez d’énormes bubons, qui crèveront partout. Vous pourrirez vivants. Mais les rats vous aideront à mourir plus vite… Ils auront de plus en plus faim.

— Adieu, messieurs. Ne vous asseyez pas par terre. Les rats raffolent des parties sensibles de l’homme. Laissez-leur ça comme dessert, quand vous ne sentirez plus rien.

Malko n’eut même pas la force de répondre. Et le Japonais s’éloigna. L’agent secret était submergé de dégoût et d’horreur. Rien que de sentir l’immonde grouillement à portée de la main, il avait envie de vomir.

— Vous n’avez pas de briquet ni d’allumettes ? demanda-t-il à Felipe. Le feu leur fait peur.

— Je n’ai rien, soupira le Mexicain. Rien que mes mains pour prier.

Appuyés l’un contre l’autre, le dos à la grille, les deux hommes faisaient face aux rats. Dans combien de temps les rongeurs allaient-ils commencer à les attaquer ? Malko tentait de se rappeler tout ce qu’il avait lu au sujet des rats, et des moyens de les combattre. Il aurait fallu du feu… Et les grilles étaient solides, absolument inébranlables.

À l’extérieur, on n’entendait plus aucun bruit. Comme si les deux prisonniers étaient déjà dans leur cercueil.

Ils restèrent un long moment sans parler, écoutant. De temps en temps, l’un d’eux donnait un coup de pied par terre, pour éloigner les rats les plus audacieux. Il s’écoula ce qui leur parut une éternité. Malko regarda sa montre : il s’était à peine passé une heure.

— Nous allons devenir fous, ici, murmura-t-il. Quelle mort atroce !

— Un proverbe mexicain dit : « Aucune mort n’est douce », soupira Felipe. Tout est entre les mains de Dieu.

— II nous oublie fichtrement, en ce moment ! fit Malko. Quand je pense que j’allais restaurer la chapelle de mon château !