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Felipe était profondément troublé. Malko s’en voulait, de soumettre à une telle épreuve cet homme qui l’avait tellement aidé.

— Si vous voulez, restez à Mexico, proposa-t-il. Mais je vous demande votre parole d’honneur de ne parler de cette expérience à personne, même pas à vos chefs.

— Je n’en parlerai à personne, dit Felipe lentement. Et je viendrai avec vous. Mais vous me faites peur, señor SAS…

La voix criarde de l’hôtesse appelait leur vol. Ils s’entassèrent dans un vieux Convair de la Mexicana de Aviation et croquèrent de mauvais bonbons en attendant le décollage.

Quand ils furent en l’air, Felipe demanda :

— Vous voulez agir demain ?

Le plus vite possible. Tacata ne va pas s’éterniser, maintenant qu’il sait que nous lui avons échappé. Même s’il nous croit en pleine jungle… Il a aussi sa date du 6 à respecter.

Le Convair s’élevait lentement, pour franchir la chaîne de montagnes qui entoure Mexico-City, Felipe remarqua :

— Votre appareil est-il assez puissant pour passer ces montagnes ?

Malko acquiesça :

— Largement. Ce n’est pas tout à fait un modèle de série. De toute façon, la bombe n’est pas lourde… Nous tiendrons à quatre ou cinq, facilement.

Felipe se tut. Malko réfléchissait. Au début il n’avait même pas pensé à utiliser l’arme que le général Higgins avait mise à sa disposition. C’est la raison pour laquelle il avait laissé l’avion à Mexico. A vrai dire, il pensait que Higgins faisait un peu de zèle. La visite à la ferme l’avait fait changer d’avis. Et, aussi, d’apprendre que le CX 3 agissait même sur l’eau non potable…

Pourtant il éprouvait un vague malaise. Il n’osait se l’avouer, mais Christina en était la cause. D’abord, elle lui avait sauvé la vie deux fois. Et puis, et puis, au fond il était amoureux d’elle et il la comprenait presque. Il savait que ce n’était pas elle qui avait tenté de l’empoisonner, mais les frères Mayo, sur l’ordre du Chamalo et de Tacata. Elle n’était que la couverture et le banquier du mouvement.

En ce moment il souhaitait de tout son cœur qu’elle ne soit plus à la ferme. Car il ne pourrait rien pour elle, lui !…

Felipe posa la main sur son bras :

— Attachez votre ceinture, señor SAS, nous arrivons.

De fait, le Convair commençait sa descente. En bas, on distinguait déjà le cube énorme et multicolore de l’Université de Mexico, sur la route d’Acapulco.

— Nous allons encore avoir une longue journée dit Malko.

— Oui. Que Dieu nous aide !

Malko regarda Felipe en coin :

Dites-moi, Felipe vous êtes vraiment très croyant ? Ou bien c’est…

Felipe fut très choqué.

— Señor SAS, on ne plaisante pas avec les choses de la religion. Je fais un métier cruel, mais ma mère m’a inculqué le respect des choses saintes. Je l’ai toujours.

Le Convair se posa et roula jusqu’au parking.

— Nous n’avons même pas besoin de revenir en ville, dit Malko. Je vais téléphoner d’ici à l’Ambassade. En attendant, nous nous ferons raser.

Ce qui n’était pas un luxe.

Les deux hommes étaient aussi sales que des peones mexicains et leurs costumes semblaient sortir d’une friperie. Les lianes de la jungle avaient griffé leur visage et la fatigue creusait leurs traits d’ombres patibulaires.

Chapitre XIII

Du haut de l’avion, la petite ferme perdue dans la végétation avait l’air absolument innocente. On voyait à peine les bâtiments. Comment croire que c’était de cet endroit paisible que partait l’opération « Apocalypse » contre l’Amérique ? Malko soupira. La race humaine le décevrait toujours.

— Alors, on y va, avant qu’ils ne nous tirent dessus ?

Le major Clarke et son adjoint s’impatientaient. Eux, ils étaient là pour faire un boulot, et ils voulaient en avoir fini le plus vite possible.

Comme pour leur donner raison, un homme sortit d’un des bâtiments en faisant de grands gestes. Aussitôt il fut rejoint par un second, qui brandissait une arme automatique. Une longue rafale partit aussitôt vers l’avion.

Le petit bimoteur tangua, comme pris de folie : le pilote tentait d’échapper aux balles. Felipe vira au gris : s’écraser avec à bord une bombe atomique, même de poche, ça ne laissait pas beaucoup de chances de s’en sortir !…

Impassible, le major Clarke ouvrit la caisse et s’affaira autour de l’engin. Son adjoint faisait écran, car personne ne devait connaître le secret d’armement de cet engin, capable de tout dévaster dans un rayon d’un kilomètre. Juste ce qu’il fallait pour la ferme. On ne la voyait plus. Au-dessous de l’avion la jungle s’étendait verte et sans limites. Au loin, on distinguait la barre brillante du Pacifique. Le major Clarke revint vers l’avant.

— Vous avez mis combien de retard ? demanda Malko.

— Trente secondes. C’est le maximum. Nous aurons parcouru deux miles. C’est suffisant. Nous serons peut-être un peu secoués.

— Et si elle n’explosait pas ?

— Une charge classique se déclencherait dix secondes plus tard, détruisant la bombe.

— Ça vaut mieux. Quelle belle histoire pour l’ONU ! Attaquer un pays neutre et allié à la bombe atomique, en pleine paix ! Vous pouvez être sûrs que nous serions mis au ban de l’humanité.

Les cinq hommes se regardèrent, terriblement tendus. Seuls, Malko et Felipe savaient pourquoi ils allaient lâcher cette bombe,

— Demi-tour, ordonna Malko au pilote. Repassez au-dessus de la ferme. Pas plus haut que cent mètres. C’est un projectile de mortier que nous lançons, non une bombe. Après, plein gaz et tenez bien le manche.

— O.K., fit le pilote.

— Ouvrez la trappe, ordonna Malko.

L’adjoint de Clarke la repoussa. Un courant d’air glacé s’engouffra dans l’avion. Il fallait hurler pour s’entendre. Malko se rapprocha de Clarke.

— Je vais à l’avant, cria-t-il. Quand je baisse le bras, vous y allez.

Clarke inclina la tête.

Malko s’assit près du pilote, le bras droit levé. La ferme approchait. Il distinguait déjà les toits. Mais on les voyait aussi : une suite de points lumineux vint à leur rencontre. Des balles traçantes. Le pilote jura, mais descendit un peu plus bas. La ferme arrivait à toute vitesse. Il y avait sur le toit une arme qui les arrosait. Instinctivement, Malko rentra la tête dans les épaules. S’ils étaient touchés maintenant, c’était fichu. Tacata aurait le temps d’entrer aux Etats-Unis et de commencer sa vengeance. Avant qu’on ne l’arrête, il tuerait des millions de personnes.

— A gauche ! hurla Malko.

Une voiture filait sous eux par un étroit sentier. Une conduite intérieure noire. Trop tard pour lâcher la bombe sur elle !

Au même instant, Malko aperçut dans la cour la longue décapotable blanche de Christina. La jeune femme était au volant. En voyant l’avion, elle brandit le poing. Il y avait deux hommes avec elle.

Malko aperçut tout cela en un éclair. La ferme arrivait. Il baissa le bras.

D’abord, rien ne se passa. Malko éprouvait un curieux picotement sur le dessus des mains. Jusqu’à la dernière seconde il avait espéré que Christina ne serait pas là. C’est une vision qu’il aurait beaucoup de mal à oublier, cette jeune femme qu’il avait aimée, debout dans le soleil, prête à mourir.