Malko avait reçu de leurs mains un pistolet un peu spécial : au lieu de balles, il tirait silencieusement des cartouches de cyanure ou de gaz somnifère. À la demande. Eux ne paraissaient pas en avoir, mais, en montant dans l’hélicoptère, Malko avait aperçu le long de la jambe de Steve l’éclair brillant d’une lame…
Le pilote était un homme du F.B.I. Lui était armé d’un bon vieux colt classique, accroché à un ceinturon de cuir.
Au moment où Malko le regardait, la radio grésilla : c’était une fréquence incaptable par des particuliers. Une voix métallique et anonyme remplit la cabine :
— La police municipale de San Diego nous signale plusieurs décès suspects dans différents quartiers de la ville. Aucune cause apparente.
Malko empoigna le micro.
— Ici, S.A.S. Donnez-nous des précisions sur les symptômes de ces morts.
Après un court silence, la voix métallique reprit :
« Cause inconnue. Ressemble à une paralysie cardiaque. Les corps se couvrent rapidement d’une sorte de champignon rouge… »
Malko réfléchissait intensément. Il n’osait pas aller au bout de sa pensée. La radio crépita à nouveau. Cette fois c’était Clarke.
— SAS, annonça-t-il, quelque chose est en train de se passer. En vingt minutes, on vient de me signaler 120 décès… Partout, dans des appartements, dans des bars, des gens de tous les âges. Attendez…
Malko entendit un bruit de conversation, puis Clarke reprit :
— Cette fois, il y a 37 morts dans un seul restaurant. C’est la panique dans le quartier. Nous faisons appel aux médecins militaires, mais cela ne suffit pas.
Le cerveau de Malko travaillait à toute vitesse. Tacata avait commencé à réaliser son plan. Alors qu’on le croyait terré jusqu’à la nuit, il avait empoisonné l’eau de San Diego !
Il était une heure de l’après-midi. Dans des centaines de bars et de restaurants dans la ville, des gens se jetaient sur le traditionnel verre d’eau glacée, qu’aux Etats-Unis on apporte avec chaque commande. Qui pouvait se douter que cette eau filtrée transportait la mort ? Et tous ceux qui le pouvaient prenaient une douche, en quête d’un peu de fraîcheur.
Toute la population de San Diego était en train de se suicider.
— Clarke, appela Malko, l’eau est empoisonnée. Demandez où se trouvent les réservoirs d’eau alimentant San Diego.
L’hélicoptère continuait à tourner en rond au-dessus de la ville. On avait pensé que c’était pour Malko, le moyen d’intervention le plus pratique et le plus rapide.
La réponse de Clarke arriva très vite :
— Les réservoirs se trouvent près de Lemon Grove, à l’est de la ville.
— Envoyez-y du monde. J’y vais. Appelez-moi le gouverneur de l’Etat. Il faut prévenir les gens. Tacata est déjà peut-être en route vers le nord, vers Los Angeles. S’il arrive là-bas, cela va être affreux.
— O. K. Je vous appelle le gouverneur, répondit Clarke. Restez en contact.
Cinq minutes plus tard, Malko avait au micro le gouverneur Brown. Il lui expliqua ce qui arrivait et conclut :
— Il n’y a qu’une chose à faire : que toutes les stations, de radio et de TV émettent immédiatement sur la longueur réservée aux appels en cas de guerre. Il faut recommander à la population de ne pas utiliser d’eau jusqu’à nouvel ordre. C’est une question de vie ou de mort.
Le gouverneur acquiesça immédiatement. Pendant que l’hélicoptère de Malko descendait vers les réservoirs, les autorités faisaient déjà le nécessaire.
Le premier à prendre l’appel fut un barman, près de la Bank of America, dans Main Street. Il cherchait un poste sur son transistor, à la demande d’un client, quand il tomba sur une émission inconnue : sur tous les postes vendus aux Etats-Unis, on trouve sur le cadran deux petits triangles. En temps de paix, ils ne servent à rien. Mais, en cas d’attaque atomique, les émetteurs gouvernementaux fonctionneront sur cette longueur d’onde, pour donner les ultimes consignes de sécurité.
Or, en ce beau dimanche d’août, lorsque l’aiguille s’arrêta en face du triangle, une voix grave sortit du poste :
« … Ceci est un appel officiel. C’est Samuel Brown, gouverneur de l’Etat de Californie, qui vous parle. Des saboteurs sont parvenus à empoisonner plusieurs réservoirs d’eau de la Californie du Sud. Toute personne qui utilisera de l’eau sortant d’un robinet est en ce moment en danger de mort immédiate. »
Il y eut dans la cafétéria un bruit cristallin : le barman venait de laisser tomber le verre d’eau qu’il tenait à la main. Il s’éloigna du robinet, comme si c’était un serpent. Et, débouchant une bouteille de J and B, il se versa la plus grande rasade qu’il ait jamais bue d’un coup.
— Non de Dieu ! fit-il seulement.
Au même moment, l’hélicoptère arrivait au-dessus des réservoirs. Aucune voiture de police en vue. Ils étaient les premiers.
D’un même geste, Steve et Robert sortirent leurs carabines et les montèrent.
L’hélicoptère se balançait à dix mètres du sol, attendant les ordres de Malko. Le bruit du rotor faisait sortir les gens sur le pas de leur porte. Si Tacata était encore à l’intérieur, il ne fallait pas compter le surprendre.
Malko se sentait maintenant froid comme un glaçon. Au cours de son existence mouvementée, il avait rarement eu envie de tuer. Mais, cette fois, il voulait la peau de ce Japonais. Ne serait-ce qu’à cause de Felipe.
— Descendons, ordonna-t-il. Vous me déposerez avec Steve, et vous remonterez pour voir ce qui se passe. Robert restera avec vous.
Dans un nuage de poussière, l’hélicoptère se posa. Malko sauta à terre le premier. Steve bondit derrière lui. Stupéfaits, les badauds commençaient à s’attrouper. Ils s’arrêtèrent en voyant les armes. Seul Malko n’avait pas sorti son pistolet.
— Entrons, dit-il à Steve. Ils sont presque sûrement partis. Ils ne nous ont pas attendus.
L’entrée du Water department ressemblait à celle d’un cottage de banlieue. Tout était calme. Malko tourna la poignée de la porte vitrée et entra dans le bureau. A côté de lui, Steve, le doigt sur la détente de sa carabine, était ramassé comme un fauve.
Le petit bureau propret était en désordre. Derrière un fauteuil renversé, il y avait un corps étendu, en uniforme gris. Malko le retourna du bout du pied : c’était l’employé du bureau. Il avait été tué d’une balle dans la nuque. Son visage était calme et étonné. D’habitude, on ne fait pas de hold-up dans les réservoirs d’eau…
Du haut de l’hélicoptère, Malko avait reconnu la disposition des lieux. Il ouvrit une porte donnant sur un long couloir et fit signe à Steve de le suivre. Cette fois, il avait à la main le long et mince pistolet noir. Et il souhaitait de tout son cœur apercevoir, avant Steve, Yoshico Tacata.
Les deux hommes débouchèrent dans la partie du bâtiment où se trouvaient les réservoirs. Ceux-ci étaient enterrés et reliés entre eux par des systèmes de filtrage. Il n’y avait qu’une sorte de piscine d’une dizaine de mètres de côté, où l’on voyait l’eau couler à toute vitesse.
Malko s’arrêta au bord. Excepté le clapotis, il n’y avait pas un bruit. Se couvrant mutuellement, Malko et Steve regardèrent dans le moindre recoin.
Ils furent interrompus au milieu de leurs recherches par une rumeur venant de l’extérieur : sirènes et grincements de pneus. Le renfort réclamé par Malko arrivait.
Quelques instants plus tard, une petite armée faisait irruption dans la pièce où se trouvaient Malko et Steve. Cela faillit se terminer par une fusillade générale. Les flics étaient plutôt nerveux.
Clarke avait fait envoyer trente types triés sur le volet. Ils fouillèrent les bâtiments de fond en comble, débusquèrent deux chats errants et une portée de gros rats. Mais pas la moindre trace du Japonais et de son complice. Dépités, les policiers tournaient en rond, l’arme braquée. Tout avait été visité ; si Tacata était encore là, il gisait noyé, au fond du réservoir, ou bien il avait été entraîné dans une des énormes canalisations qui alimentaient San Diego.