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— J’étranglerai ce salaud de mes propres mains ! s’était-il exclamé.

Peut-être que Ti, contrairement à elle-même, n’aurait aucun mal à affronter les foudres de M. Van Atta et les sermons du Dr Yei. Mais en révélant son nom, elle risquait de ne plus jamais pouvoir se procurer de vids et de livres-disques. Ce serait trop bête… Et lui au moins pouvait les lui fournir à moindres frais ; ce qu’elle lui offrait en contrepartie n’exigeait pas un grand effort de sa part et constituait la seule monnaie d’échange qui n’apparaissait nulle part sur les listes de stocks. Qui sait, un autre pilote pourrait préférer autre chose de plus concret – du matériel, des documents n’importe quoi, bien plus difficile à sortir de l’Habitai en toute impunité.

Un mouvement, enfin, attira son regard vers le quai Et dire que tu avais peur à cause de quelques malheureux livres, songea Silver. Attends que cette histoire éclate au grand jour…

— Merci, en tout cas, dit-elle en se jetant soudain ai cou de Ti pour l’embrasser, l’amenant ainsi à tourner le dos à la verrière.

Un long, très long baiser. Ti ferma les yeux – merveilleux réflexe. Elle garda les siens bien ouverts pour suivre ce qui se passait en contrebas. Tony, Claire et Andy disparurent dans le tube flexible de la navette.

Et voilà, c’était fait. Bonne chance, tous les trois. Si seulement j’avais pu partir avec vous…

— Bon sang ! s’exclama Ti en s’écartant d’elle. Tu as vu l’heure ? Il faut absolument que je termine la check-list avant le retour du capitaine Durrance. Je suppose que tu as raison, pour le chemisier.

Il le fourra sans plus de cérémonie dans son sac.

— Que veux-tu que je te rapporte, la prochaine fois ?

— Siggy, tu sais, celui qui travaille à la maintenance, il m’a demandé s’il y avait d’autres holovids de la série Ninja des étoiles jumelles. Il les a jusqu’au numéro 7, mais il lui manque le 4 et le 5.

— Ah ! ça, c’est une excellente série, approuva Ti. Tu les as vus ?

— Oui, dit-elle en plissant le nez. Mais je ne sais pas… les gens là-dedans se font des choses tellement horribles, entre eux. C’est bien de la fiction, hein ?

— Euh… oui.

— Heureusement.

— Bon, va pour Ninja. Et toi, que veux-tu ? insista-t-il. Je ne vais pas prendre de risques rien que pour faire plaisir à ce Siggy. Je ne le connais pas, mais je suis prêt à parier qu’il n’a pas ton charme…

Son sourire évoquait sans aucun doute possible le plaisir qu’il venait de prendre à leur étreinte.

Silver ouvrit les disques-livres en éventail, comme elle avait vu une belle dame en crinoline le faire dans un vid.

— D’autres Valeria Virga, s’il vous plaît, monsieur…

— Des bêtises tu veux…

Il prit chacune de ses mains, les unes après les autres, et déposa un baiser au creux des paumes.

—… des bêtises tu auras. Holà ! attention… voici mon capitaine sans peur et sans reproche.

En hâte, Ti rajusta son uniforme, augmenta l’intensité de la lumière et attrapa sa check-list au moment où s’ouvrait une porte hermétique, à l’autre bout du quai.

— Il a horreur d’être obligé de faire équipe avec les pilotes de première classe. Il nous traite de têtards. À mon avis, il n’est pas à l’aise parce que, sur mon navire de saut, c’est moi le chef. Mais mieux vaut éviter de lui donner des raisons de critiquer…

Silver fit disparaître les disques dans son sac de travail et adopta une pose nonchalante alors que le capitaine Durrance, commandant de la navette, faisait son entrée dans la cabine.

— En piste, Ti, annonça-t-il. On a un changement de programme.

— Bien, monsieur. De quoi s’agit-il ?

— On fait un détour en gravispace.

— Oh merde !… gémit Ti. Quelle poisse ! J’avais un rendez-vous torride, ce soir, et…

Il jeta un bref coup d’œil oblique en direction de Silver.

—… enfin, j’étais censé retrouver un ami pour dîner à la station de transfert.

— Vous m’en voyez navré, ironisa Durrance sans la moindre sympathie. Vous n’avez qu’à déposer une réclamation au service du personnel ; je suis sûr qu’ils apprécieront que votre travail interfère ainsi avec votre vie amoureuse. Peut-être pourront-ils faire en sorte que vous n’ayez plus de travail du tout…

Ti n’eut pas besoin de dessin. En silence, il se pencha sur sa check-list alors qu’un tech de l’Habitat arrivait pour prendre la relève dans le poste de commande.

Silver, horrifiée, se fit toute petite dans un coin. La station de transfert… c’était là que Tony et Claire avaient prévu de s’embarquer dans la clandestinité sur un navire de saut pour Orient IV où ils envisageaient de trouver du travail, loin de l’emprise de GalacTech. Un projet fort risqué, à son avis, mais à la mesure de leur désespoir. Claire avait été terrifiée, mais Tony avait fini par la rassurer en lui expliquant chaque étape de son plan. Un plan bien organisé. Du moins pour le départ. À partir d’un certain stade, et plus ils s’éloignaient de Rodeo et de l’Habitat, un certain flou régnait, qu’il était bien incapable de dissiper.

Tous deux, avec Andy, étaient sans doute cachés maintenant dans la soute de la navette. Et elle n’avait aucun moyen de les prévenir. Fallait-il qu’elle les trahisse pour les sauver ? Les conséquences seraient épouvantables, à n’en pas douter. Son désarroi l’oppressait avec la force d’un étau.

Les yeux écarquillés, paralysée d’angoisse, elle suivit sur l’écran vid du poste de commande départ de la navette et la vit plonger vers l’atmosphère tourbillonnante de Rodeo…

4

La soute obscure grondait autour de Claire alors que la décélération en compressait la structure. Des coups sourds, accompagnés de sifflements aigus, faisaient vibrer la carcasse métallique de la navette.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Claire, affolée.

Elle relâcha une main cramponnée à la caisse derrière laquelle elle s’était cachée pour mieux serrer Andy contre elle.

— On a heurté quelque chose ? C’est quoi, ce bruit bizarre ?

Tony, en hâte, se mouilla le doigt et le leva au-dessus de sa tête.

— Il n’y a pas d’air.

Il déglutit, testant ses oreilles.

— On ne dépressurise pas.

Et pourtant le sifflement allait en augmentant.

Deux bruits mécaniques, retentissant l’un après l’autre, et qui ne ressemblaient en rien à ceux, familiers, de la fermeture des portes hermétiques, terrorisèrent Claire. La décélération se poursuivit, longuement, trop longuement, compliquée d’un nouvel effet de pression, cette fois en provenance du ventre de la navette. La paroi de la soute où étaient ancrées les caisses semblait peser sur elle, la repliant contre Andy.

Les yeux du petit étaient tout ronds, sa bouche figée sur un « Oh ! » muet de stupéfaction. Non, par pitié, ne te mets surtout pas à pleurer… Elle n’osait libérer le cri coincé dans sa propre gorge de crainte qu’il ne l’imite et lance son hurlement de sirène qui lui avait si souvent vrillé les tympans en pleine nuit. D’une voix tremblante, elle fredonna sa comptine préférée en lui pinçant légèrement le nez et les joues.

— Gâteau tout chaud, gâteau tout prêt,

Gentil boulanger, s’il te plaît,

Mets dans le four ta pâte brisée,

Ou c’est toi que je mangerai.

Si la chansonnette ne le fit pas rire aux éclats comme d’habitude, elle eut du moins le mérite de le détourner de ses inquiétudes.