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Leo se mura dans le silence, feignant de s’intéresser aux jeunes pousses d’un plant de haricots.

— Évidemment, qu’elle sait ! intervint Van Atta avant que Silver ait eu une chance de répondre. Ces deux filles sont inséparables.

Il se tourna, teigneux, vers Silver.

— Je te conseille de parler, et vite. On n’a pas de temps à perdre.

Les lèvres de Silver se pincèrent. Elle redressa le menton. Muette.

Le Dr Yei leva les yeux au ciel.

— Silver, dit-elle avec beaucoup plus de diplomatie, cette histoire est très sérieuse. Si, comme nous le soupçonnons, Tony et Claire ont essayé de quitter l’Habitat, ils pourraient être dans une situation très pénible, en ce moment. Et même en danger. Je suis heureuse de constater que tu tiens à être loyale envers eux, mais je te supplie d’être responsable avant tout – ce sont tes amis ; il est de ton devoir de penser à leur sécurité.

Le doute obscurcit les yeux de Silver. Elle entrouvrit les lèvres, hésitante, s’apprêta à répondre…

— Nom de Dieu ! hurla Van Atta. J’ai autre chose à foutre qu’à cajoler cette petite garce pour qu’elle consente à parler ! Cette emmerdeuse de vice-présidente est là-haut, en ce moment même, à attendre que le show débute. Elle commence déjà à poser des questions ; si elle n’obtient pas de réponses très vite, elle va venir les chercher elle-même. Et elle ne fait pas dans la dentelle, je vous assure. Ah, le moment est bien choisi pour ce genre de connerie ! Ils l’ont fait exprès, c’est pas possible autrement.

Son visage, cramoisi de rage, provoqua l’effet habituel sur Silver. Elle sentit son ventre se crisper, et sa vision se brouilla de larmes. Autrefois, elle aurait été prête à faire n’importe quoi pour qu’il se calme et plaisante de nouveau avec elle…

Mais pas cette fois-ci. Si elle avait éprouvé quelque sentiment pour lui, elle était aujourd’hui la première surprise de constater qu’il n’en restait quasi plus rien. Or une coquille vide pouvait se révéler plus résistante qu’elle n’y paraissait…

— Vous n’avez pas le pouvoir de me faire dire tout ce que vous voulez, murmura-t-elle.

— Et voilà ! lâcha Van Atta avec sarcasme. C’est bien ce que je pensais. C’est ça, votre programme de socialisation totale, docteur Yei ?

— Si vous aviez l’obligeance de ne pas enseigner un comportement antisocial à mes patients, rétorqua-t-elle, la mâchoire serrée, vous n’auriez pas à en subir l’inévitable retour de manivelle.

— Je suis un directeur, Yei. Et c’est mon boulot de bousculer les gens. C’est pour ça que GalacTech m’a confié la charge de ce gouffre financier. La maîtrise du comportement, c’est votre rayon, docteur Yei. Vous nous le serinez assez souvent, on ne risque pas de l’oublier. Alors faites votre job, et laissez-moi faire le mien comme je l’entends.

— Le modelage du comportement, rectifia-t-elle froidement.

— Mais ça sert à quoi si tout s’écroule dès qu’il y a un peu de vent dans les voiles ? Je veux quelque chose de solide, qui tienne la route. N’ai-je pas raison, Leo ?

Les doigts de Leo qui effleuraient une petite feuille de haricots se crispèrent. La feuille cassa net. Il sourit poliment. Ses yeux brillaient. De toute évidence, il préférait garder sa réponse pour lui.

Silver décida que la meilleure stratégie était encore celle du silence. Ne rien dire ; ne rien faire non plus. La crise finirait bien par passer. Après tout, ils ne pouvaient pas s’attaquer à elle physiquement. En tant que propriété de GalacTech, elle était intouchable. Le reste n’était que du bruit. Elle se réfugia dans le mutisme.

Le silence devint aussi épais que de la mélasse.

— Tu veux jouer au plus fin ? dit soudain Van Atta. D’accord !

Il se tourna vers Yei.

— Auriez-vous quelque chose qui ressemblerait au thiopental, à l’infirmerie, docteur ?

Elle écarquilla les yeux.

— Le thiopental n’est utilisé légalement que par les services de police, monsieur Van Atta.

— Je crois même qu’ils ont eux aussi besoin d’une autorisation des services judiciaires pour l’employer, renchérit Leo sans relever les yeux de la petite feuille verte qu’il roulait entre ses doigts.

— Sur les humains, Leo, mais ça…

Van Atta pointa son index sur Silver.

—… ce n’est pas un humain. Alors, docteur ?

— Pour répondre à votre question, monsieur Van Atta, non, notre infirmerie ne stocke pas de drogues illégales !

— Je n’ai pas parlé de thiopental, j’ai dit quelque chose qui y ressemble, rétorqua Van Atta, irrité. Un genre d’anesthésique amélioré pour les cas d’urgence…

— Parce qu’il s’agit d’un cas d’urgence ? demanda innocemment Leo. Pramod va remplacer Tony, et je suppose que Claire n’est pas la seule fille à avoir eu un enfant. Elle peut donc elle aussi se faire remplacer. Comment la vice-présidente verrait-elle la différence ?

— Si on nous appelle pour aller ramasser deux de nos quaddies à la petite cuillère en gravispace…

Silver serra les dents devant l’écho de ses propres scénarios catastrophes.

—… ou qu’on les retrouve congelés dehors, on aura du mal à étouffer l’affaire. Vous n’avez pas encore rencontré cette femme-là, Leo. Elle a un don infaillible pour mettre le nez là où elle ne devrait pas.

— Hmm…

Van Atta se tourna de nouveau vers Yei.

— Vous avez quelque chose ou non, docteur ? insista-t-il, presque menaçant. À moins que vous ne préfériez attendre qu’on nous appelle pour nous demander ce qu’on veut faire des corps ?

— Une intraveineuse de thalizine-R a le même effet que le thiopenta, à peu de chose près, marmonna Yei à contrecœur. Mais elle sera malade toute la journée.

— C’est qu’elle le voudra bien. Hein, Silver ? Tu as encore le choix. Moi, j’ai assez attendu comme ça. Dis-moi où ils sont partis, ou c’est la piqûre, et tout de suite.

Elle releva la tête, rassemblant son courage.

— Si vous me faites ça, murmura-t-elle sur un ton de dignité désespérée, c’est fini entre nous.

Van Atta s’en étouffa presque de rage.

— Fini entre nous ? Toi et tes copains conspirez pour saboter ma carrière devant les grands manitous de la compagnie, et tu oses me menacer, moi ? Ça, pour être fini, c’est fini, tu peux en être sûre !

— Capitaine Bannerji, service de sécurité, spatioport Trois, j’écoute, annonça George Bannerji dans sa comconsole.

— C’est vous, le responsable ? demanda d’un ton brusque l’homme tiré à quatre épingles qui apparut sur son vid.

Il était, de toute évidence, la proie de fortes émotions – teint empourpré, respiration saccadée. Un muscle se crispait sur la tempe.

Bannerji ôta les pieds de son bureau et se pencha en avant.

— Oui, monsieur.

— Je suis Bruce Van Atta. Directeur de l’Opération Cay à l’Habitat. Contrôlez mon empreinte vocale.

Bannerji se redressa sur son siège et pianota le code de vérification. Le mot « correct » s’inscrivit sur le visage de Van Atta.

— C’est bon, monsieur.

Van Atta marqua une légère pause, comme s’il cherchait ses mots. Quand il s’exprima, ce fut lentement, sur un ton calme qui contrastait avec la tension sur ses traits.

— Nous avons un léger problème, ici, capitaine.

Une sirène d’alarme se déclencha dans l’esprit de Bannerji.

— Oui ?

— Trois de nos… sujets expérimentaux se sont échappés de l’Habitat. Nous avons interrogé leur complice et avons tout lieu de croire qu’ils se sont embarqués clandestinement sur la navette B119. Ils sont donc à présent en liberté quelque part dans votre spatioport. Il est de la plus haute importance qu’ils soient capturés et renvoyés ici dans les plus brefs délais.