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— J’ai bien peur qu’il ait la diarrhée. Et si je ne le change pas tout de suite, ça lui rongera la peau, ça pourrait même s’infecter… et il va hurler dès que je le toucherai pour essayer de le nettoyer. Très fort, insista-t-elle.

Les doigts d’une main inférieure de Tony tambourinaient sur le sol du casier. Il soupira, ravalant son irritation. Claire enveloppa la couche souillée et s’apprêta à la ranger dans le sac.

— On n’a peut-être pas besoin de les trimbaler, dit Tony. Il est déjà lourd comme c’est pas permis, ce sac, mais en plus, il va empester.

— Je n’ai vu de poubelle nulle part. Qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse ?

— Eh bien, on n’a qu’à les laisser là, dit-il après un temps de réflexion. Dans le coin. Ici, au moins, elles ne risquent pas d’aller flotter dans le couloir et d’être happées par le circuit de recyclage d’air. On va toutes les mettre là.

Claire imagina leurs poursuivants traquant les couches sales, abandonnées derrière eux tels les pétales de rose semés par l’héroïne d’un des romans de Silver à l’intention de son amoureux…

— S’il est prêt, dit Tony en désignant son fils, on pourrait tenter de retourner dans la baie. Les gravs doivent avoir fini leur travail, maintenant.

— Comment est-ce qu’on va faire pour choisir la bonne navette, cette fois ? On ne pourra pas savoir si elle rentre directement à l’Habitat… ou si elle prend des caisses de déchets destinées à être larguées dans le vide. Si elle décharge alors qu’on est dans la soute…

— Je ne sais pas, la coupa Tony, nerveux. Mais Leo dit que… pour venir à bout d’un problème complexe, le meilleur moyen, c’est de le décomposer en questions simples, de les résoudre les unes après les autres, dans l’ordre. Alors d’abord, on va retourner dans la baie. Une fois là-bas, on s’occupera du problème numéro deux : découvrir quelle navette peut nous emmener à la station de transfert.

Claire acquiesça, puis fronça les sourcils. Andy n’était pas le seul à être embêté par les exigences biologiques.

— Tony, tu crois qu’on pourrait trouver des toilettes, sur le chemin ? Il faut que j’y aille.

— Oui, moi aussi. Tu en as vu quelque part en venant ici ?

— Non.

Sur le moment, ça n’avait pas été son principal souci. Il avait fallu ramper sur le sol crasseux, éviter les employés, empêcher Andy de hurler. Un vrai cauchemar. Elle n’était même pas certaine de pouvoir retrouver la bonne direction. L’équipe d’ouvriers leur était tombée dessus sans prévenir, les délogeant précipitamment de leur cachette quand ils avaient mis toutes les machines en marche.

— Il doit bien y avoir quelque chose, dit Tony avec optimisme. Il y a des gens qui travaillent, ici.

— Pas dans cette section, objecta Claire. On n’a vu que des robots, depuis tout à l’heure.

— Alors, aux abords de la baie. À propos… euh… À quoi ressemblent des toilettes en gravispace ? Comment font-ils ? Penses-tu qu’une pompe aspirante est assez puissante pour combattre la pesanteur ?

Dans un des films clandestins de Silver, Claire avait vu un jour une cuvette de W.-C. Mais elle était certaine qu’il s’agissait d’une technologie tout à fait dépassée.

— J’ai l’impression qu’ils utilisent de l’eau.

Tony haussa les épaules.

— Bon, on verra bien.

Un martèlement régulier, d’abord lointain, puis de plus en plus proche, retentit au bout de l’allée. Tony, qui s’apprêtait à descendre l’échelle, revint se tapir dans le fond du casier près de Claire, un doigt sur les lèvres.

— Aaaah ? fit Andy.

Claire lui mit d’office un téton dans la bouche, mais, repu et lassé, il le refusa et détourna la tête. Claire rabaissa son T-shirt et s’évertua à le distraire en comptant en silence tous ses petits doigts agités.

Le bruit, rythmé, s’approcha encore, passa juste au-dessous d’eux, puis s’éloigna.

— Un homme de la sécurité, murmura Tony.

Elle acquiesça, osant à peine respirer. Le martèlement provenait de ces vêtements durs dont les gravs protégeaient leurs pieds et qui claquaient sur le ciment. Ils patientèrent quelques minutes encore, mais le bruit ne se manifesta plus. Andy gazouillait paisiblement.

Tony passa la tête dans l’allée, regarda à droite, puis à gauche, en haut, en bas.

— C’est bon, annonça-t-il. Tu vas m’aider à descendre le sac dès que l’élévateur passera dessous. Il faudra le laisser tomber au dernier moment, mais le bruit de l’engin devrait couvrir celui de la chute.

Ensemble, ils poussèrent le sac sur le bord du casier et attendirent. Dix minutes plus tard, un robot apparut dans l’allée. C’était une énorme grue presque aussi large que le container posé sur son plateau de levage.

L’engin s’arrêta juste au-dessous d’eux et poussa un bip grave avant de pivoter de quatre-vingt-dix degrés sur lui-même. Avec un ronronnement régulier, le plateau de levage commença à monter.

Claire, horrifiée, se rappela soudain que leur casier était le seul encore vide de toute la rangée.

— Il vient ici ! hurla-t-elle. On va être écrasés !

— Descends ! Vite ! Viens sur l’échelle !

Au lieu de cela, Claire fit demi-tour et courut chercher Andy qu’elle avait couché au fond de l’alvéole pendant qu’elle aidait Tony à pousser le sac. Le casier s’assombrit tandis que le container se glissait dans l’ouverture. Tony parvint à l’éviter en se tenant juste au bord de l’échelle.

— Claire ! cria-t-il, cognant en vain sur l’énorme caisse qui entrait peu à peu dans le casier. Claire ! Non, non ! Saleté de robot, arrête ! Arrête !

Mais l’élévateur, de toute évidence, ne répondait pas aux voix humaines. Il continua obstinément à enfourner le container, poussant le sac devant lui. Claire battit en retraite au fond, si terrifiée que ses cris restaient bloqués dans sa gorge. Elle se plaqua contre la paroi métallique, debout sur ses mains inférieures, Andy dans les bras, et poussa enfin un long hurlement de terreur qui transperça Tony comme la lame acérée d’un poignard.

— Claire ! répondit-il depuis l’échelle, la voix rauque. ANDY !

Le sac, près d’elle, se ratatina dans un bruit de verre broyé. Au dernier moment, Claire coinça Andy entre ses bras inférieurs et, de ses mains libres, tenta d’empêcher le container d’avancer plus loin. Si elle ne pouvait être sauvée, peut-être son corps pourrait-il au moins protéger Andy…

Les servos du robot se mirent à patiner. Claire crut tout d’abord que ses efforts en étaient responsables, mais non. C’était le sac. Ce sac contre lequel Tony et elle avaient pesté depuis le départ. Elle lui adressa ses excuses silencieuses. Il venait de leur sauver la vie, à elle et à Andy.

Le robot hoqueta avec une obstination mécanique. Puis, désormais désynchronisé, le plateau recula, tirant le container avec lui, lequel glissait de travers sur son support.

Claire, fascinée, le regarda basculer et tomber de la bouche béante du casier. Elle se précipita au bord. La caisse s’écrasa quatre mètres plus bas, dans un fracas qui secoua tout l’entrepôt, suivi d’un autre, plus fort encore. Le container avait entraîné l’élévateur dans sa chute.

Le pouvoir de la gravité était ahurissant. La caisse, éventrée, se mit à vomir des centaines d’enjoliveurs de roues, qui résonnèrent comme une cacophonie de cymbales. Peu à peu, le bruit s’arrêta, suivi d’un silence irréel. Les roues de l’élévateur continuaient à tourner dans le vide.

— Oh, Claire !

Tony remonta dans le casier et les serra entre ses bras, elle et Andy, comme s’il ne devait plus jamais les relâcher.