Выбрать главу

— Pauvre idiot ! Je vous ai dit de les capturer, pas de les assassiner ! Maintenant, comment suis-je censé balayer tout ça sous le tapis, hein ? demanda-t-il en agitant la main vers l’allée 29. Et pourquoi vous trimbalez-vous avec un revolver, d’abord ?

— Vous aviez dit que… j’ai pensé…

— Je vous ferai coffrer pour ça. Où vous croyez-vous ? Dans un western ? Je ne sais pas lequel est le plus à blâmer… Vous, ou celui qui a été assez con pour vous embaucher.

De rouge, le visage du garde était devenu blême.

— Espèce d’enfant de salaud, c’est votre faute ! Vous avez tout fait pour me rendre parano…

C’était le moment ou jamais d’intervenir, songea Leo. Bannerji avait récupéré son arme, ce dont Van Atta n’avait sûrement pas conscience. Or, mieux valait que la tentation de loger une balle entre les deux yeux du directeur de l’Habitat ne démange pas trop le garde, déjà bien ébranlé par les événements.

— Messieurs, puis-je suggérer qu’il serait préférable de garder les accusations et les arguments de défense pour l’enquête officielle ; les esprits, d’ici là, devraient s’apaiser. Entre-temps, nous avons des gosses blessés et traumatisés qui réclament notre attention.

Bannerji se tut, en proie à un profond sentiment d’injustice. Van Atta acquiesça d’un grognement, ponctuant cet échange d’un regard venimeux qui ne présageait rien de bon pour la future carrière du garde.

Les deux médics roulèrent la civière vers l’ambulance. Claire tendit une main vers Tony, puis la laissa retomber.

Le geste attira l’attention de Van Atta. Vibrant de rage contenue, il découvrit avec ravissement un nouvel exutoire à sa colère.

— Ah, tu es là, toi !

Elle se recroquevilla plus encore.

— Sais-tu ce que votre petite escapade va coûter à l’Habitat, hein ? C’est toi qui as entraîné Tony dans cette connerie, n’est-ce pas ?

Elle secoua la tête, les yeux agrandis de peur.

— Bien sûr que si, insista-t-il. Ce sont toujours les femmes qui manigancent tout ; les hommes sont les dindons de la farce, c’est bien connu.

— Non !…

— En plus, bravo pour le timing. Idéal. Tu voulais me faire virer, je suppose ? Comment as-tu appris la visite de la vice-présidente ? Tu croyais peut-être que je vous couvrirais à cause d’elle ? Bien joué… mais pas assez finement pour moi…

Les oreilles de Leo bourdonnaient sous la pression des battements sourds de son cœur.

— Laissez tomber, Bruce. Elle a eu son compte pour aujourd’hui.

— Votre meilleur étudiant a failli être tué à cause de cette garce, et vous la soutenez ?

— Fichez-lui la paix. Elle est déjà terrorisée…

— Elle l’a bien cherché ! Et tu n’es pas au bout du voyage, c’est moi qui te le dis, ma belle… Quand on sera de retour sur l’Habitat…

Van Atta passa devant Leo et se précipita sur Claire. Lui prenant le bras, il la souleva violemment. Elle cria, manquant lâcher Andy sous le coup de la douleur.

— Ah ! tu voulais venir en gravispace… Alors autant apprendre à marcher ! Allez, on retourne à la navette…

Leo ne prit pas le temps de réfléchir. Il rattrapa Van Atta et le retourna brutalement vers lui.

— Bruce ! dit-il, découvrant son expression étonnée à travers le brouillard rouge de sa fureur. Lâche-la, espèce d’ordure…

Le poing atteignit Van Atta juste au-dessous de la tempe. Un coup renversant d’efficacité, car c’était la première fois de sa vie que Leo frappait un homme sous l’empire de la colère. Van Atta s’étala sur le ciment.

Leo se rua vers lui, galvanisé. Il allait bouleverser l’anatomie de Van Atta, en faire un petit chef-d’œuvre d’excentricité morphologique que même l’imagination du Dr Cay n’aurait pu concevoir.

— Euh… monsieur Graf ?

Bannerji posa une main hésitante sur l’épaule de Leo qui se penchait pour agripper le col de Van Atta.

— C’est bon, le rassura celui-ci. Ça fait des semaines que j’attends ça.

— Ce n’est pas ça, monsieur… En fait…

Une voix froide, étrangère, le coupa :

— Fascinant, cette technique de persuasion. Il faut que je prenne des notes.

Leo se retourna… et rencontra le regard glacial de la vice-présidente Apmad, plantée au centre de l’allée 29 et entourée d’un essaim d’assistants et de comptables…

6

— En tout cas, ce n’était pas ma faute, protesta Chalopin, l’administratrice du spatioport. On ne m’a même pas avertie de ce qui se passait.

Son regard furieux se posa sur Van Atta.

— Comment suis-je censée contrôler mon secteur quand d’autres administrateurs piétinent mes plates-bandes, distribuent des ordres à mes subordonnés sans même m’en informer, violent le protocole…

— À situation extraordinaire, mesures extraordinaires, rétorqua Van Atta, agressif.

Leo compatissait de tout cœur avec Chalopin. On avait bouleversé sa routine et réquisitionné son bureau pour les besoins de la vice-présidente. Apmad n’était pas de celles qui perdaient du temps en vaines tergiversations. Sur ses ordres, l’enquête officielle de la compagnie avait débuté à peine une heure plus tôt dans l’allée 29. Leo était prêt à parier qu’il lui en faudrait à peine une autre pour boucler l’affaire.

Les baies vitrées du spatioport Trois encadraient un panorama du complexe – les pistes, les zones de chargement, les entrepôts, les bureaux, les logements des employés, le monorail courant jusqu’à la raffinerie et les montagnes qui se découpaient à l’arrière-plan. Et la centrale électrique. Vitale. L’oxygène, l’azote et le dioxyde de carbone entraient dans la composition de l’atmosphère de Rodeo, mais dans des proportions inadéquates et à un taux de pression trop bas pour convenir au métabolisme humain. Le système de climatisation s’efforçait sans cesse d’ajuster le mélange de gaz et d’éliminer les agents contaminateurs. À l’extérieur, un humain pouvait tout au plus survivre une quinzaine de minutes sans masque respiratoire.

Bannerji s’était prudemment placé derrière l’administratrice. De l’avis de Leo, c’était sans doute la meilleure stratégie qu’il pût adopter. Grande et sèche, uniforme impeccable, coiffure stricte, menton volontaire, Chalopin possédait à la fois la volonté et la capacité de défendre ses ouailles.

Apmad, qui arbitrait le différend, offrait un contraste saisissant avec elle. Boulotte, frisant la soixantaine, cheveux gris et courts, elle aurait pu passer pour la grand-mère dont rêve tout enfant – hormis les yeux. Petits et calculateurs. Quant à ses réflexions laconiques, elles avaient jeté de l’huile sur le feu, ce dont elle semblait secrètement se réjouir. Non vraiment, ce n’était pas une mémé gâteau.

Leo était loin d’avoir recouvré la sérénité.

— Cette expérimentation a déjà vingt-cinq ans. Alors, ne me dites pas que vous êtes pressés, tout à coup… GalacTech est sur le point de moissonner ce qu’il a semé pour l’Opération Cay. Vouloir à tout prix récolter des profits à ce stade serait non seulement prématuré mais criminel. Ça risquerait de tout foutre en l’air, alors que les premiers résultats sont à portée de main…

— Pas tout à fait, observa Apmad. Votre premier groupe de cinquante ouvriers ne représente qu’un faible échantillon. Il faudra encore dix ans pour amener les mille autres à être opérationnels.

Calme, elle l’était, sans doute. Mais Leo décela en elle une tension contenue dont il ne pouvait identifier la cause.

Apmad tourna les yeux vers l’homme debout à côté d’elle.

— Mettez ce jeune homme au courant, Gavin.