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— Elle peut donner des ordres… mais qui vous oblige à les exécuter ? dit Leo. Le sort des quaddies ne vous laisse pas indifférente, il me semble. Alors il faut que nous fassions quelque chose.

— Mais quoi ?

Elle ouvrit les mains.

— Quoi, Leo ? Dans le meilleur des cas, je pourrais adopter un ou deux petits et les emmener avec moi, clandestinement, à la rigueur… Mais après ? Quelle vie auraient-ils ? Ils seraient traités comme des infirmes, des mutants… Et une fois adultes ? Et puis les autres, tous les autres ? Il y en a mille, Leo !

— Et si Apmad ordonne qu’on les tue tous… quelle excuse invoquerez-vous pour ne rien avoir tenté ?

— Oh ! allez-vous-en… gémit-elle. Vous ne comprenez rien à la complexité de la situation. Rien du tout. Que peut faire une personne seule ? J’avais une vie à moi, avant que ce job ne m’accapare totalement. J’ai donné six ans de mon existence pour ce travail. Je suis vidée – littéralement vidée. Une fois que j’aurai quitté ce trou, je ne veux plus jamais entendre prononcer le mot de quaddie devant moi. Ce ne sont pas mes enfants. Je n’ai pas eu le temps d’avoir des enfants.

Elle se frotta les yeux d’un geste rageur et renifla – des larmes ? Leo n’était pas sûr. Et il s’en moquait.

— Ils ne sont les enfants de personne. C’est le problème. Ils sont comme des… des orphelins génétiques, si on veut.

— Si vous n’avez rien de plus constructif à dire, je vous en prie, allez-vous-en, répéta-t-elle.

De la main, elle indiqua les feuillets entassés devant elle.

— J’ai du travail.

Leo sortit, tremblant de la tête aux pieds.

Il flottait dans les corridors en direction de sa cabine, se donnant le temps de se calmer. Qu’avait-il attendu de Yei, au juste ? Qu’elle le soulage de sa responsabilité ? Il avait peut-être espéré pouvoir déposer sa conscience sur son bureau, à la manière de Bruce, en la chargeant de s’en occuper… ?

Et pourtant… Pourtant… La solution était là, quelque part. Il la sentait, forme diffuse mais presque palpable, comme une crispation dans le ventre, de plus en plus intense, de plus en plus insoutenable. Il lui était déjà arrivé de régler des problèmes techniques qui se présentaient de la même façon – comme un mur infranchissable. Il ignorait d’où venaient les solutions qui finissaient par lui permettre de le franchir, ce mur. Il savait seulement qu’il ne s’agissait pas d’un processus conscient.

Dans l’immédiat, incapable de résoudre son problème, il ne pouvait non plus s’en détourner ; sans cesse, il revenait à la charge. Pour frapper, pour chercher une lézarde… comme une mouche se cognant aveuglément contre une vitre.

— Elle est là, murmura-t-il en se touchant le front. La solution est là. Je la sens… Mais je ne la vois pas…

Une chose était certaine : il fallait que les quaddies quittent l’espace local de Rodeo. Cette fichue législation ne leur laissait aucun avenir ici. Comment pouvait-il les y aider ? En piratant un navire de saut ? Mais ceux destinés au personnel ne contenaient pas plus de trois cents places. Et puis de quelle manière ? Avec quoi ? Un neutraliseur ? Un revolver ? Il n’avait jamais eu que des tournevis dans les poches. De toute façon, ce n’était pas un, mais trois vaisseaux qu’il lui faudrait pirater. Si ce n’était pas quatre.

Quant à la destination… Orient IV ne voudrait sûrement pas des quaddies. Personne ne voudrait d’eux, en fait. À quoi ressemblerait leur avenir, même s’il les libérait du joug de GalacTech ? À celui de gosses abandonnés, tantôt exploités, tantôt maltraités, à jamais dépendants de l’homme. Il eut soudain l’image de Silver sous les yeux… avec son physique, il n’imaginait que trop bien à quel genre d’exploitation elle serait condamnée.

Non ! Non, il ne pouvait pas croire qu’il n’existait pas un endroit pour eux, rien que pour eux. L’univers était si grand. Ils trouveraient un coin à des années-lumière de tous les pièges de cette prétendue civilisation.

Et tout à coup, il eut LA vision. Il ne la perçut pas comme un enchaînement logique de mots, mais comme une image aveuglante. Holistique.

Un système stellaire avec une étoile de type M, G ou K, calme et régulière, diffusant une énergie prête à être captée. Autour d’elle, un gaz jovien avec un anneau de glace et de méthane pour l’eau, l’oxygène, l’azote, l’hydrogène. Et, surtout… une ceinture d’astéroïdes.

Et tout aussi essentiel : pas de planète semblable à la Terre en orbite dans le secteur. Pas question d’attirer la concurrence. Pas de couloir d’importance stratégique pour d’éventuels conquistadors non plus. L’humanité, obsédée par sa quête de nouveaux mondes, avait traversé des centaines de systèmes de ce type. Les cartes en étaient constellées.

Une société de quaddies, régie par des quaddies, pour les quaddies. Il les imaginait, enfouis dans les rochers pour se protéger des radiations et préserver leur air, rare et précieux. Bondissant de rocher en rocher pour forer et puiser. Pour construire. Avec des minéraux partout, plus qu’ils n’en pourraient jamais utiliser. Et de grandes fermes hydroponiques pour Silver. Un nouveau monde à bâtir.

— Mais en fait… murmura Leo, c’est un problème d’ingénierie, ni plus ni moins !

Il restait suspendu dans l’air, extatique. Par chance, le corridor était désert. On aurait pu le croire frappé d’un brusque accès de folie. Ou drogué.

La solution avait été là depuis le départ, toutes les pièces du puzzle étalées autour de lui, invisibles jusqu’à ce qu’il modifie suffisamment sa façon de penser pour les voir. Un sourire béat éclaira son visage. Il s’abandonna sans retenue à son extase. Les possibilités humaines étaient illimitées. La clé ? Tout donner. Ne rien garder.

Ne t’accroche pas, ne regarde pas en arrière – car tu ne reviendras plus. Il était en plein cœur du problème. L’homme s’adaptait à l’apesanteur ; c’était de revenir en arrière qui le rendait infirme.

— Je suis un quaddie, dit-il, émerveillé.

Il baissa les yeux sur ses mains, serra les poings, écarta les doigts.

— Un quaddie avec des jambes, c’est tout.

Il ne reviendrait plus.

Quant à la structure de base… il y flottait en ce moment même. Elle avait simplement besoin d’être relocalisée. Ses pensées rebondissaient de rapports en déductions, d’hypothèses en certitudes, si vite qu’il n’avait pas le temps de s’arrêter pour les analyser. Plus besoin de pirater un vaisseau. Il était dans un vaisseau. Tout ce dont il avait besoin, c’était d’énergie pour le mouvoir.

Et cette énergie était là, à portée de main, dans l’orbite de Rodeo, gaspillée à chaque instant pour véhiculer de simples cargaisons de produits pétrochimiques. Quelle était la masse d’une telle cargaison comparée à celle de l’Habitat ? Il n’en avait aucune idée, mais il pourrait le découvrir.

Les cargos-thrusters pourraient contenir l’Habitat, il suffirait pour cela qu’il soit reconçu à cette fin, et tout ce que les thrusters pouvaient contenir, n’importe lequel des monstrueux superjumpers le pouvait aussi. Oui, tout était là. Tout. Il n’y avait qu’à se servir…

8

Il lui fallut patienter une heure avant de pouvoir enfin rencontrer Silver sans témoins, dans le recoin d’un corridor menant au gymnase.

— Y a-t-il un endroit où nous pourrions parler en privé ? demanda-t-il.

D’instinct, elle promena un regard méfiant autour d’eux.

— C’est vraiment important ?

— Vital. Il s’agit d’une question de vie ou de mort pour tous les quaddies.