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— D’accord… Attendez une minute ou deux, alors, et suivez-moi.

Il resta derrière elle à distance respectueuse tandis qu’ils remontaient les corridors de l’Habitat, ne quittant pas des yeux ses cheveux brillants et son T-shirt bleu. Soudain, il la perdit de vue.

— Silver… ?

— Chhht ! fit-elle, tout près de lui.

Un panneau du mur s’ouvrit sans bruit et, d’une main, elle l’attrapa pour le tirer à l’intérieur d’un coup sec, comme un poisson ferré au bout de l’hameçon.

Ils furent dans le noir l’espace d’un instant, puis des portes hermétiques s’écartèrent pour révéler une petite pièce étrangement conçue.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Leo.

— Le club. En tout cas, c’est comme ça qu’on l’appelle. Tony et Pramod ont bâti les murs extérieurs. Siggy s’est occupé de l’électricité, d’autres de l’insonorisation, et on a construit les portes hermétiques avec des pièces détachées.

— Vous avez pu les prendre sans que personne le remarque ?

Son sourire n’avait rien d’innocent.

— Ce sont aussi les quaddies qui se chargent de la tenue du stock. Alors les pièces ont tout simplement disparu de l’inventaire. Nous étions plusieurs à travailler ici… on vient de terminer le club il y a environ deux mois. J’étais sûre que le Dr Yei et M. Van Atta découvriraient son existence, quand ils m’ont interrogée, mais ils ne m’ont jamais posé la question qui m’aurait obligée de le révéler. Maintenant, les seuls films qui nous restent sont ceux qui étaient ici, et Darla n’a pas encore réparé le système vid, dit-elle en montrant l’appareil fixé au mur.

Leo observa la pièce confortablement aménagée, avec son éclairage doux, son placard rempli de petits sachets de graines de soja, de raisins secs, de cacahuètes… Il étudia surtout l’exécution du travail. Soignée. Très soignée.

— C’était ton idée, ce club ?

— Un peu, oui. Mais je n’aurais jamais pu m’en sortir seule. Notre règlement interdit strictement l’entrée de ce club aux gravs, ajouta-t-elle non sans une certaine brusquerie. Alors j’espère que ce que vous avez à me dire est aussi important que vous le prétendez.

— Silver… c’est précisément ton approche particulière des règlements qui te distingue des autres quaddies. J’ai besoin de toi… de ton courage, et de toutes les autres qualités que le Dr Yei jugerait sans aucun doute antisociales. J’ai une tâche que moi non plus je ne peux accomplir seul… Que diriez-vous, vous les quaddies, d’avoir votre propre ceinture d’astéroïdes ?

— Hein ? fit-elle, les yeux ronds.

— Brucie-baby ne veut pas que ça s’ébruite, bien entendu, mais il vient de recevoir l’ordre de liquider l’Opération Cay. Avec toutes les conséquences sinistres que ça implique.

Il lui parla de la gravité artificielle, lui confia tout ce qu’il savait, y compris les projets de Van Atta pour se débarrasser des quaddies. Avec une passion croissante, il lui décrivit sa vision : leur évasion… Il n’eut pas besoin de répéter.

— Combien de temps nous reste-t-il ? demanda-t-elle d’une voix blanche, quand il eut terminé.

— Pas beaucoup. Quelques semaines, tout au plus. Il me reste six jours avant qu’on m’envoie de force prendre mon gravi-congé sur Rodeo. Je dois trouver un moyen de l’éviter ; j’ai trop peur de ne pas pouvoir revenir, si j’y vais. Nous… enfin, vous, les quaddies, devez prendre une décision tout de suite. Ce n’est pas à moi de le faire pour vous. Je ne peux que vous aider pour l’organisation. Si vous ne pouvez pas vous sauver vous-mêmes, vous êtes perdus.

Elle exhala le souffle qu’elle semblait retenir depuis plusieurs minutes.

— Je pensais bien que… Tony et Claire ne s’y prenaient pas comme il fallait. Tony voulait trouver un job, mais il n’avait même pas pris de scaphandre pressurisé avec lui. Vous vous rendez compte ?… Je ne voulais pas répéter les mêmes erreurs. Nous ne sommes pas faits pour voyager seuls, Leo. C’est peut-être quelque chose qui a été inscrit dans nos gènes. On a besoin de rester tous ensemble.

— Pourras-tu mettre les autres au courant ? Dans le plus grand secret, bien entendu. Il faut que tu comprennes bien une chose, Silver… Il suffit qu’un quaddie panique ou essaie d’être bien vu en allant tout répéter à un grav, et votre sort sera encore plus vite réglé. Il s’agit d’un vrai complot, pas d’un jeu. En ce qui me concerne, je sacrifie mon job et j’encours d’éventuelles poursuites légales, mais vous risquez beaucoup plus.

Silver hocha la tête.

— Certains devront être informés en dernier, c’est sûr… Mais nous sommes assez nombreux à être dignes de confiance. Nous avons appris à nous taire et à garder les choses pour nous.

Leo acquiesça, quelque peu rassuré.

— Leo…

Ses yeux bleus plongèrent dans ceux de l’ingénieur.

— Comment va-t-on se débarrasser des gravs ?

— On ne pourra pas tous les mettre dans une navette pour Rodeo, c’est sûr. J’avais pensé qu’on pourrait les rassembler dans un module avec une provision d’oxygène, les séparer de l’Habitat et utiliser un des cargos-thrusters pour les lancer sur orbite vers la station de transfert. À partir de là, le problème retombe sur les bras de GalacTech. Avec un peu d’espoir, ça sèmerait par la même occasion un vent de folie à la station, ce qui nous donnerait davantage de temps.

— Et comment envisagez-vous de les pousser tous dans le module ?

Leo toussota.

— Eh bien… là, c’est le point de non-retour. Il y a des armes un peu partout, ici. Sauf qu’on les appelle des outils. Un soudeur laser, quand on ôte le cran de sécurité, est aussi efficace qu’un fusil. Il y en a presque une trentaine en tout dans les ateliers. Quand tu en pointeras un sur les gravs, crois-moi, ils fileront doux.

— Et sinon ?

— Sinon tu tires. Ou bien tu choisis de ne pas le faire, et tu seras conduite en gravispace où tu connaîtras une lente agonie. Mais attention, si tu fais ce choix, ce ne sera pas pour toi toute seule. Tu auras tous les quaddies derrière toi.

Silver secoua la tête en soupirant.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, Leo. Et si quelqu’un paniquait et se servait pour de bon de son arme ? Le grav serait horriblement brûlé !

— Oui…

Son visage se révulsa à cette idée.

— Je ne pourrais jamais tuer ou même blesser quelqu’un comme Maman Nilla. Je préférerais plutôt aller mourir en gravispace !

Maman Nilla était l’une des nourrices de la crèche. La plus aimée, sans doute. Leo se rappelait vaguement une femme corpulente ; il avait en fait très peu l’occasion de la voir, dans la mesure où elle ne s’occupait que des plus jeunes.

— Je pensais davantage à Bruce, avoua-t-il.

— Je ne suis même pas certaine que je pourrais faire une chose pareille à M. Van Atta. Avez-vous déjà vu une brûlure au premier degré, Leo ?

— Oui.

— Moi aussi. Non, franchement, ajouta-t-elle après un bref silence, ce n’est pas un bon scénario. On n’arrivera jamais à bluffer. Il suffirait que Maman Nilla ordonne à Siggy ou à un autre de donner son arme, de sa voix autoritaire, pour qu’il obéisse sans hésitation.

Leo serra les poings, exaspéré.

— Mais il faut pourtant qu’on vire les gravs de l’Habitat, sinon ils reprendront le contrôle de la situation, et ce sera encore pire pour vous.

— D’accord, d’accord !… Nous devons les virer. Bon. Mais pas de cette façon.

Elle réfléchit quelques secondes, puis l’observa avec curiosité.

— Vous pourriez vraiment tuer Maman Nilla, vous ? Et croyez-vous que… disons Pramod pourrait vous tuer ?

Il soupira.