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Pramod porta la main à sa gorge, comme s’il respirait déjà l’atmosphère toxique de Rodeo.

— Je préférerais encore qu’on me tire dessus, murmura-t-il.

— Ou bien…

Leo éleva la voix.

—… vous pouvez prendre votre sort en main. Venez avec moi et battez-vous. Qui ne risque rien, n’a rien. Il y a très gros à gagner. Laissez-moi…

Il rassembla son courage, car seul un fou mégalomane pourrait réussir ce pari insensé…

—… laissez-moi vous parler de la Terre promise…

9

Le cargo-pousseur ralentit à l’approche de la station de transfert. Leo s’avança vers la verrière. Flûte ! Le vaisseau du personnel, qui faisait chaque semaine le voyage depuis l’Orient IV, était déjà amarré au moyeu. Ti risquait de monter à bord plus tôt pour discuter avec ses collègues. Il fallait faire vite.

Le vaisseau disparut alors qu’ils tournaient autour de la station pour rejoindre leur écoutille. Zara, la quaddie aux commandes du cargo-pousseur, une fille aux cheveux sombres et à la peau mate, vêtue du T-shirt et du short violets de son équipe, réussit avec brio sa manœuvre d’accostage. Leo avait tout lieu de croire que son excellente réputation de pilote était justifiée, et ce en dépit de son âge – à peine quinze ans.

La légère accélération, à cet endroit de la station, exerça une pression sur Leo dont la chaise rembourrée se redressa en position verticale. Zara lui sourit par-dessus son épaule, excitée par cette sensation. Silver, en revanche, sur sa couchette, paraissait nettement moins enthousiaste.

Zara s’acquitta des formalités techniques avec la tour de contrôle et coupa les moteurs. Leo soupira, soulagé que le motif de leur vol – « Chargement de matériel pour l’Habitat Cay » – n’ait pas éveillé les soupçons des contrôleurs. Même si cette requête entrait tout à fait dans le cadre de la tâche qui lui avait été confiée.

— Il faut y aller, maintenant, dit-il. On risque de rater Ti, si on traîne.

Aussitôt, Silver se hissa en position assise sur la couchette. Leo déplia le pantalon d’un ensemble de jogging qu’il avait apporté pour l’occasion et l’aida à y enfiler ses bras inférieurs.

— À présent, dit-il, les chaussures que tu as empruntées à la surveillante de l’hydroponique.

— Je les ai données à Zara pour qu’elle les cache ici.

Zara porta une main à ses lèvres.

— Oh ! flûte…

— Quoi ?

— Je les ai laissées dans la baie de chargement.

— Zara !

— Désolée…

Silver soupira et Leo sentit son souffle chaud sur son cou.

— Et si je prends les vôtres, Leo ? suggéra-t-elle.

— Je ne sais pas…

Il les ôta ; Zara aida Silver à y glisser les mains.

— Qu’est-ce que ça donne ? demanda Silver, inquiète.

Zara fronça le nez.

— Un peu grandes…

Leo se tourna pour observer leur reflet dans la verrière sombre. Ils avaient l’air ridicules, tous les deux. Il contempla ses pieds comme s’il ne les avait encore jamais vus. Ses chaussettes lui évoquèrent deux énormes vers blancs. Les pieds n’étaient finalement que d’absurdes appendices.

— On laisse tomber, pour les chaussures. Rends-les-moi, et rentre tes mains dans les jambes du pantalon.

— Et si des gens me demandent ce qui est arrivé à mes pieds ?

— Ils ont été amputés, dit Leo. Tu es partie en vacances dans l’Antarctique, et ils ont gelé.

— C’est pas sur la Terre ça, l’Antarctique ? Et s’ils me posent des questions à propos de la Terre ?

— Dans ce cas, je les remettrai à leur place parce que ce serait très inconvenant de leur part. Mais les gens sont rarement aussi indiscrets. De toute façon, on peut toujours s’en tenir à notre première version, celle du fauteuil roulant perdu avec tes bagages et qu’on est en train d’essayer de récupérer. Ça, c’est plausible.

Il lui tourna le dos et se baissa.

— Tout le monde à bord…

Silver enroula ses bras supérieurs autour de son cou et les autres sur la taille, se cramponnant à lui avec une insistance quelque peu inquiète, alors qu’elle découvrait son propre poids. De nouveau, il sentit son souffle chaud sur sa joue…

Après avoir franchi le tube flexible ils pénétrèrent dans la station. Leo se dirigea vers les ascenseurs, monta dans la première cabine vide venue et appuya sur le bouton 3 : l’étage des boxes de repos. Par malheur, l’ascenseur s’arrêta à un autre étage d’abord pour charger plusieurs personnes. Soudain, Leo eut peur. Et s’il prenait l’envie à Silver de discuter avec un des passagers ? Il aurait dû lui préciser de ne pas s’adresser aux étrangers. Toutefois, ses craintes furent de courte durée. Elle adopta d’emblée une attitude réservée qu’elle maintint tant qu’ils ne furent pas seuls. Ils eurent droit à des regards obliques, empreints de curiosité, mais Leo garda les yeux obstinément rivés sur le mur et personne ne s’avisa de rompre le silence.

La force de gravitation, à son maximum sur le bord extérieur de la station, le fît tituber quand il sortit de l’ascenseur. Bien qu’il répugnât à l’admettre, il ne pouvait ignorer les effets de trois mois passés en apesanteur. Pourtant, même avec Silver sur le dos, il n’atteignait pas le poids qu’il avait sur Terre. Il s’éloigna le plus vite possible du hall trop peuplé à son goût.

Après s’être assuré du numéro, Leo frappa à la porte du box qui s’ouvrit aussitôt.

— Oui, quoi ? lança une voix masculine.

— C’est bien lui, chuchota Silver à l’oreille de Leo qui entra dans la petite pièce.

Ti était vautré sur le lit, manipulant une visionneuse avec un air de profond ennui. Son regard irrité se posa sur Leo, puis ses yeux s’arrondirent quand il reconnut Silver. Leo, sans plus de cérémonie, fit basculer la jeune fille au bout du lit et se laissa tomber sur la seule chaise de la cabine pour reprendre haleine.

— Ti Gulik, il faut qu’on vous parle.

Ti s’était reculé dans le coin du mur, les genoux repliés sous le menton. La visionneuse, oubliée, avait roulé sur l’oreiller.

— Silver ! Mais que fais-tu là ? Et qui est ce type ? demanda-t-il, le doigt pointé vers Leo.

— C’est Leo Graf, le prof de soudure, répondit-elle en roulant sur le ventre pour se hisser sur ses bras supérieurs. C’est drôle, cette sensation…

Elle releva la tête et se tint un instant sur ses quatre mains, comme un chien, les cheveux plats ; l’état de pesanteur lui ôtait toute grâce.

— Nous avons besoin de votre aide, lieutenant Gulik, commença Leo dès qu’il eut repris son souffle.

— Qui ça, nous ? dit Ti, méfiant.

— Les quaddies.

— Ah !

Ti se rembrunit.

— Ce que j’aimerais préciser, avant tout, c’est que je ne suis plus le lieutenant Gulik. Appelez-moi Ti Gulik tout court. Ex-pilote, aujourd’hui au chômage et destiné à le rester longtemps. Grâce aux quaddies, justement. Ou, en tout cas, grâce à une d’entre eux, insista-t-il en posant un regard accusateur sur Silver.

— Je leur ai dit que tu n’y étais pour rien, dit Silver. Mais ils n’ont pas voulu me croire.

— Tu aurais pu faire en sorte que je ne sois pas impliqué du tout dans cette histoire, rétorqua-t-il avec agressivité. Tu me devais bien ça…