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Il aurait pu aussi bien la gifler. Silver, décomposée, eut un mouvement de recul, comme un animal blessé.

— Ça suffit, Gulik, intervint Leo. Ils l’ont droguée pour lui arracher ces aveux. Si quelqu’un est responsable, ici, ce n’est sûrement pas elle.

Ti piqua un fard, et Leo s’en voulut de n’avoir pas su tenir sa langue. Le moment était mal choisi pour prendre le pilote à rebrousse-poil ; ils avaient trop besoin de lui. De plus, ce n’était pas du tout ainsi qu’il avait imaginé la scène. Ti était censé être enchanté de cette visite inattendue de Silver et se montrer prêt à tenter n’importe quelle aventure pour l’éclat turquoise de ses yeux. Si ce crétin ne faisait pas plus cas du charme de la jeune quaddie, il ne méritait pas de l’avoir pour lui.

Les mâchoires serrées, il se concentra sur le seul sujet qui les intéressait dans l’immédiat.

— Avez-vous entendu parler de ce nouveau système de gravité artificielle ? demanda-t-il.

— Vaguement, répondit Ti, sans trop se mouiller.

— À cause de cette découverte, l’Opération Cay est arrêtée. GalacTech renonce à poursuivre toute expérimentation avec les quaddies.

— Hmm. C’était à prévoir.

Leo attendit en vain la question qui, en toute logique, aurait dû suivre. Ti n’étant pas idiot, il se montrait donc délibérément obtus.

— Ils envisagent de les expédier sur Rodeo, poursuivit Leo, et de les parquer dans d’anciens baraquements d’ouvriers.

Il répéta le scénario de la mort lente par oubli qu’il avait décrit aux quaddies une semaine plus tôt, puis observa la réaction du pilote.

Le visage de Ti était fermé, sans émotion apparente.

— Navré pour eux, dit-il enfin en évitant les yeux de Silver, mais je ne vois vraiment pas ce que je pourrais faire. Je quitte Rodeo dans six heures pour ne jamais plus y revenir… Ce qui me va tout à fait. C’est un vrai trou, ici…

— Un trou où on va déverser Silver et ses amis avant de refermer le couvercle sur eux. Et le seul crime qu’ils aient commis, c’est d’être techniquement périmés. Vous trouvez ça normal ?

Ti se redressa avec indignation.

— Vous voulez parler d’obsolescence technique ? Je vais vous montrer ce que c’est, moi… Regardez ça !

Ses doigts se posèrent sur les boutons argentés fixés sur son front, ses tempes et sur la canule à la base de sa nuque.

— Ces implants représentent deux ans de formation et un an sur liste d’attente pour qu’on me les pose. Ils appartiennent à un système d’une version bien particulière que la compagnie a en partie financé. Les Transports Trans-Stellaires et quelques indépendants l’utilisent aussi. Partout ailleurs, dans l’univers, les pilotes sont équipés de la version Necklin. Vous savez quelles sont mes chances d’être embauché par TTS après avoir été viré par GalacTech ? Nulles. Si je veux continuer dans le métier, il faut que je repasse sur le billard pour qu’on me change les implants. Mais sans boulot, je ne peux pas me payer ce genre d’opération. Et sans implants, je ne peux pas trouver de boulot. Il est foutu, Ti Gulik ! conclut-il en secouant la tête.

Leo se pencha, accoudé sur les cuisses.

— Ti, dit-il, je voudrais que vous pilotiez pour nous le plus gros navire de saut existant à l’heure actuelle.

Rapidement, avant que Ti ne puisse l’interrompre, il lui décrivit en détail sa vision de l’Habitat reconverti en colonie spatiale.

— On a tout ce qu’il faut. Sauf un pilote. Un pilote équipé du système d’implants GalacTech. Autrement dit… on a besoin de vous.

Ti, estomaqué, écarquilla les yeux.

— Mais… ce n’est pas seulement de la démence, c’est de l’escroquerie à grande échelle ! Vous rendez-vous compte de ce que ça va coûter à GalacTech ? Vous allez vous retrouver en cabane jusqu’au prochain millénaire !

— Je n’irai pas en prison. Je vais me perdre dans les étoiles avec les quaddies.

— Votre cellule sera capitonnée, en plus.

— Je ne commets aucun crime. Il s’agit plutôt d’une guerre, si on veut. Le crime, ce serait de tourner le dos et de fuir.

— Ah oui ? Et en vertu de quelle loi ?

— D’accord. Alors disons que ce serait un péché, si vous préférez.

— Allons bon…

Ti leva les yeux au ciel.

— Vous êtes quoi, exactement ? Le Messie ? Vous avez reçu une mission divine, c’est ça ?

Dieu n’est pas là. Il faut bien que quelqu’un fasse le boulot pour Lui. Leo abandonna cette voie. Sinon ce serait bientôt la camisole de force en plus de la cellule capitonnée…

— Je vous croyais amoureux de Silver. Ça ne vous ferait rien de la condamner à ce genre d’enfer ?

— Ti n’est pas amoureux de moi, intervint Silver, surprise. Où êtes-vous allé chercher cette idée, Leo ?

Ti lui adressa un regard embarrassé.

— Non, c’est vrai, acquiesça-t-il faiblement. Tu… tu l’as toujours su, hein ? On avait une sorte de… d’arrangement entre nous, rien de plus.

— Tout à fait, confirma-t-elle. Des livres et des vids pour moi, et une détente pour Ti. Les hommes gravs ont besoin du sexe pour rester en forme, vous savez, ils souffrent tant du stress physiologique…

— Qui t’a raconté des conneries pareilles ? commença Leo qui préféra laisser tomber le sujet.

Il ne devinait que trop bien.

— Donc, pour vous, Silver est un produit jetable, ni plus ni moins. Comme un Kleenex.

Ti pinça les lèvres, vexé.

— Ça va, Graf. Je ne suis pas pire qu’un autre.

— Mais je vous donne une chance d’être meilleur, justement…

— Leo… l’interrompit de nouveau Silver.

Elle était à présent étalée sur le ventre, le menton dans la paume.

— Une fois que nous aurons atteint notre ceinture d’astéroïdes… ou je ne sais quoi… que fera-t-on du superjumper ?

— Le superjumper ?

— On va détacher l’Habitat et s’y installer. Et le vaisseau ne nous servira plus à rien. On ne pourrait pas le donner à Ti ?

— Quoi ! s’exclamèrent Ti et Leo de concert.

— Eh bien oui. En paiement. Il nous dépose à destination et il garde le superjumper. Comme ça, il peut devenir pilote-propriétaire et créer sa propre entreprise de transports.

— Dans un vaisseau volé ? glapit Ti.

— Si on parvient assez loin pour que GalacTech ne vienne pas nous rechercher, il n’y a aucune raison que tu sois poursuivi, répondit-elle avec logique. Tu auras un vaisseau qui correspond à tes implants ; personne ne pourra plus te renvoyer, car tu travailleras à ton compte.

Leo n’en revenait pas. D’accord, il avait amené Silver avec lui pour convaincre Ti, mais il avait prévu d’autres arguments de sa part. Cependant, d’après l’expression ahurie de Ti, il se rendit compte qu’elle avait fait mouche. D’un discret signe de tête, il l’encouragea.

— En plus, dit-elle, si nous réussissons à partir d’ici, avec l’Habitat et tout… M. Van Atta passera pour le dernier des imbéciles.

Elle laissa retomber sa tête sur l’oreiller et adressa un sourire complice à Ti dont le regard s’éclaira.

— Je vois, dit-il.

— Vos bagages sont prêts ? demanda Leo.

— Oui, ici…

Ti désigna les valises dans un coin du box.

— Mais… oh ! bon sang… si cette affaire foire, ils vont m’écarteler !

— Non, dit Leo.

Il ouvrit sa combinaison et en sortit le soudeur laser caché dans sa large poche intérieure.

— J’ai trafiqué le cran de sécurité, mais il peut projeter un faisceau très puissant qui traverserait cette pièce sans problème.