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Il l’agita négligemment. Ti, les yeux arrondis, se recroquevilla d’instinct sur lui-même.

— En cas d’arrestation, vous pourrez toujours dire que vous avez été kidnappé par un ingénieur fou et son assistante, une mutante demeurée, qui vous ont forcé à coopérer sous la menace. Vous pourrez même devenir un héros, qui sait ?

La mutante demeurée, les yeux comme des étoiles, adressa un sourire éblouissant à Ti.

Le pilote se racla la gorge.

— Vous… vous ne vous serviriez pas réellement de ce truc, hein ?

— Bien sûr que non, répondit Leo sur un ton jovial en rangeant l’arme.

— Ah !

Ti eut un bref rictus. Mais ses yeux revinrent à plusieurs reprises se poser sur la bosse dans la combinaison de Leo…

Quand ils retournèrent au cargo-pousseur, ils eurent la désagréable surprise de le trouver vide. Zara avait disparu.

— Oh non ! gémit Leo.

Avait-elle voulu visiter la station ? S’était-elle perdue ? L’avait-on emmenée de force ? Une fouille rapide ne révéla aucun message sur le com, aucune note épinglée sur la porte.

Leo réfléchit à haute voix.

— Elle est pilote. De quoi aurait-elle pu avoir besoin ? On a fait le plein de carburant, toute communication avec la tour de contrôle se fait directement d’ici…

Il se rendit compte soudain qu’à aucun moment il ne lui avait expressément interdit de quitter son poste. Il était si évident qu’elle ne devait pas s’exhiber dans la station, qu’elle devait rester sur ses gardes… Mais peut-être n’était-ce pas si évident que cela pour un quaddie ?

— Je peux piloter cet engin, s’il le faut, dit Ti en se penchant sur le tableau de bord. Tout est manuel.

— Ce n’est pas le problème, répondit Leo. On ne peut pas partir sans elle. Les quaddies n’ont rien à faire ici. Si elle se fait repérer par la sécurité ou autre chose et qu’on commence à lui poser des questions…

Après un instant d’hésitation, Silver passa devant Leo, sur ses quatre mains, et franchit l’écoutille dans l’autre sens.

— Où vas-tu ? demanda Leo.

— Chercher Zara.

— Silver, reste ici ! ordonna-t-il. Il y en a déjà assez d’une dans la nature… Ti et moi nous déplacerons plus vite… et plus discrètement. On la retrouvera.

— Ça m’étonnerait, murmura-t-elle, distante.

Elle atteignit le tube flexible, regarda d’un côté et de l’autre du couloir.

— Elle ne doit pas être bien loin…

— Si elle a pris l’ascenseur, elle peut se trouver n’importe où dans la station, dit Ti.

Silver se dressa sur ses mains inférieures et plissa les yeux pour observer, dans le hall, la hauteur des boutons d’appel des ascenseurs.

— Trop haut pour un quaddie. En tout cas, pas pratique du tout. En plus, elle devait bien se douter qu’elle aurait davantage risqué de rencontrer des gravs, en allant par là. Non… à mon avis, elle a pris cette direction.

Déterminée, elle partit à quatre pattes sur sa droite. Au bout d’un moment, elle se mit à bondir comme une gazelle, d’autant plus gracieuse que la force de gravitation, à cet endroit, était très faible. Leo et Ti couraient derrière elle dans le couloir.

Un étrange grondement approchait du croisement. Silver poussa un cri et se plaqua contre le mur.

— Oups… désolée ! s’exclama Zara qui arrivait à toute vitesse, couchée sur une planche à roulettes, pagayant des quatre mains pour se propulser sur le lino du couloir.

Le freinage se révéla plus problématique que l’accélération ; Zara bascula de son skate-board qui percuta le mur.

Leo, horrifié, se précipita vers elle, mais Zara se redressait déjà, hilare.

— Regarde ça, Silver, dit-elle en retournant la planche. Des roues ! Comment résistent-elles donc à la friction ? Touche… elles ne sont même pas chaudes.

— Zara ! s’écria Leo. Pourquoi as-tu quitté ton poste, bon sang ?

— Je voulais voir à quoi ressemblaient des toilettes de gravs, mais il n’y en avait pas à ce niveau. Tout ce que j’ai trouvé, c’est un placard plein de balais et de produits de nettoyage… et ça.

Elle tapota la planche, ravie.

— Je peux démonter les roues pour voir ce qu’il y a dedans ?

— Sûrement pas ! s’écria Leo. Allez, on y va, maintenant.

Il coinça la planche sous son bras et reprit la direction de la baie. La notion de propriété privée n’était, semblait-il, pas familière aux quaddies. Sans doute était-ce dû à une vie passée dans un habitat spatial communautaire. L’esprit avait de ces contradictions vraiment risibles, se dit-il soudain. Il se préoccupait du vol d’une malheureuse planche à roulettes, alors qu’il planifiait le plus grand hold-up spatial de l’histoire de l’humanité…

Ti regimba de nouveau quand on l’informa du reste de la mission qui lui avait été assignée. Leo, par précaution, ne lui donna ces détails qu’une fois le cargo-pousseur à mi-chemin entre la station de transfert et l’Habitat.

— Parce que, en plus, c’est moi qui devrai pirater le superjumper ? se récria Ti.

— Non, le rassura Leo. Vous ne serez présent qu’en tant que conseiller. Les quaddies se chargent du reste.

— Mais ma peau dépendra de ce qu’ils sont ou non capables de…

— Dans ce cas, je vous suggère de donner de bons conseils.

— Nom de Dieu…

— Le problème, avec vous, Ti, soupira Leo, c’est que vous n’avez aucune expérience de l’enseignement. Sinon, vous sauriez que n’importe qui peut apprendre n’importe quoi. Si vous y réfléchissez, vous n’êtes pas né avec vos implants et la science infuse. Et pourtant, dès que vous avez piloté seul, vous avez eu la responsabilité de nombreuses vies entre les mains. Eh bien, maintenant, vous allez savoir ce qu’éprouvaient vos instructeurs, je vous le garantis.

— Et qu’éprouvaient-ils ?

Leo sourit et baissa la voix :

— Une peur épouvantable, Ti. Épouvantable…

Un second cargo-pousseur, ravitaillé en vivres et en carburant, était amarré à côté du leur quand ils accostèrent l’Habitat. Tout était prêt pour l’expédition. Leo aurait voulu prendre Ti à part afin de lui prodiguer des conseils en vue de cette mission délicate. Malheureusement, ils n’avaient pas plus l’un que l’autre l’expérience du vol à main armée, surtout à cette échelle. Et le nombre des années ne faisait en l’occurrence rien à l’affaire.

Ils traversèrent l’écoutille et découvrirent plusieurs quaddies qui les attendaient avec anxiété dans le module de débarquement.

— J’ai modifié d’autres soudeurs, Leo, annonça Pramod, son arsenal de fortune serré contre le torse. On en a un pour cinq personnes, pour l’instant.

Claire, près de son épaule, regardait les armes avec une fascination horrifiée.

— Parfait. Donne-les à Silver, dit Leo. Elle en aura la responsabilité.

De poignée en poignée, ils se dirigèrent jusqu’à l’écoutille suivante. Zara glissa dans le cargo-pousseur pour commencer ses vérifications d’usage.

Ti la suivit des yeux.

— On part tout de suite ?

— Pas une minute à perdre, répondit Leo. D’ici quatre heures, au plus, ils vont remarquer votre absence à la station de transfert.

— Oui, mais… ne devrait-on pas organiser un… un briefing, ou quelque chose ?

— Vous avez presque vingt-quatre heures pour mettre votre plan d’attaque au point. Silver dépendra de vos connaissances en ce qui concerne les superjumpers. Nous avons déjà envisagé différentes méthodes pour bénéficier de l’effet de surprise. Elle vous en parlera.

— Ah !… parce que Silver est du voyage ?

— Silver est le chef de cette expédition.