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Le teint du Dr Minchenko avait pris une coloration rouge sombre.

— Ils lui ont retiré le petit ? À une mère qui allaite ? C’est scandaleux !

Ses yeux revinrent sur Claire.

— Ils m’ont donné des remèdes pour couper le lait, dit-elle.

— C’est déjà ça… Qui s’en est chargé ?

— Le Dr Curry.

— Il ne me l’a pas signalé.

— Vous étiez en congé.

— Ce n’est pas parce que je suis en congé qu’on ne peut pas me joindre. Graf, que se passe-t-il, ici ? Notre abruti de service est devenu fou, ou quoi ?

— Non, vous n’êtes vraiment pas au courant. Mais je préfère que vous en discutiez avec Bruce lui-même. J’ai des ordres stricts : interdiction d’en parler.

Les yeux vifs de Minchenko, furieux, se rivèrent un instant sur ceux de Leo.

— Je vais le voir tout de suite, déclara-t-il avant de s’élancer vers le corridor en marmonnant entre ses dents.

Claire et Leo se regardèrent, un peu décontenancés.

— Comment allons-nous récupérer Tony, maintenant ? s’écria Claire. Silver doit nous envoyer son signal dans moins de vingt-quatre heures !

— Je l’ignore… mais ce n’est pas le moment de flancher, Claire. Pense à Andy. Il va avoir besoin de toi.

— Je ne flancherai pas.

— Bien… Je vais voir à quelle porte frapper pour tenter de faire revenir Tony. Je peux alléguer qu’il est indispensable pour diriger son équipe… Mais rien n’est sûr. Peut-être qu’à deux, Minchenko et moi, nous aurons plus de poids. Sauf que je ne veux pas éveiller les soupçons de Minchenko. Sinon… il faudra trouver autre chose.

— Ne me mentez pas, Leo, dit Claire sur un ton presque menaçant.

— N’imagine pas le pire, Claire. Oui, nous savons, toi comme moi, que nous risquons de ne pas pouvoir le ramener. D’accord. Mais retiens que toute solution envisageable dépend de Ti. Il est le seul qui soit en mesure de nous emmener là-bas. Donc, attendons son retour. Et seulement alors, après avoir capturé un superjumper, nous serons en droit de penser que tout est possible. Et si ça l’est…

Il tendit son index vers elle.

—… alors nous essaierons. Promis.

Un froid pénétrant s’insinuait en elle. Elle serra les lèvres pour les empêcher de trembler.

— On ne peut pas mettre en danger la vie de mille personnes pour en sauver une seule, dit-elle. Ce serait injuste.

Gentiment, il posa la main sur son épaule.

— Il y a une foule de choses qui peuvent mal tourner entre maintenant et… une sorte de point de non-retour pour Tony. Mais si on gaspille notre énergie en conjectures stériles au lieu de nous concentrer sur l’étape suivante, on se saborde, ni plus ni moins. Ce qui compte, c’est ce que nous allons faire, non la semaine prochaine, mais dans l’immédiat. Et maintenant, que dois-tu faire, Claire ?

Elle réfléchit un instant.

— Retourner travailler. Feindre que tout va bien. Continuer en cachette l’inventaire de tous les stocks de graines. Euh… voir comment on peut accrocher les lampes de jour pour permettre aux plantes de pousser tant que l’Habitat sera privé de soleil. Et dès que nous serons maîtres de l’Habitat, commencer les boutures et mettre en route de nouveaux végétubes pour constituer des stocks supplémentaires de nourriture. Et puis aussi organiser le stockage cryo d’échantillons de toutes les variétés génétiques pour ne pas être démunis en cas de catastrophe…

— C’est bon, je crois ! la coupa Leo en souriant. La prochaine étape suffira… Et tu sais que tu en es capable, n’est-ce pas ?

Elle hocha la tête.

— On a besoin de toi, Claire, ajouta-t-il. Nous tous pas seulement Andy. La production alimentaire est fondamentale pour notre survie. Il faudra bientôt que tu commences à former des plus jeunes, à leur transmettre cette connaissance que les livres, si détaillés soient-ils, ne pourront jamais enseigner.

— Je ne flancherai pas, répéta Claire, répondant non à ce qu’il disait, mais à ce qu’elle entendait derrière les mots.

— Tu m’as fait très peur, cette fois-là, dans le sas, s’excusa-t-il, embarrassé.

— Je sais…

— Tu avais des raisons d’être révoltée. Mais rappelle-toi… Ton véritable objectif n’est pas là…

Il pointa l’index vers son cœur.

—… Il est là, conclut-il en désignant l’espace autour d’eux.

Ainsi, il avait compris que c’était moins le désespoir qui l’avait poussée dans le sas, ce jour-là, que la colère. Une colère impuissante qu’elle avait retournée contre elle.

— Leo… ça me fait peur, à moi aussi.

Le sourire de l’ingénieur était empreint d’une tendre ironie.

— Bienvenue au club des humains, Claire…

Leo se tourna vers la baie de déchargement en soupirant. L’étape suivante… c’était vite dit, quand il fallait changer au pied levé l’ordre des priorités. Son regard s’attarda un instant sur l’équipe de quaddies qui, après avoir relié le tube flexible à la large écoutille de fret de la navette, commençaient à décharger la marchandise dans la baie à l’aide de leurs manipulateurs électriques.

Le matériel consistait en de gros cylindres d’environ deux mètres de haut que Leo ne reconnut pas.

C’était d’autant plus surprenant que ce chargement n’avait rien de mystérieux. Il devait s’agir d’un énorme stock de barres de combustible pour les cargos-pousseurs.

— Pour démonter l’Habitat, avait-il expliqué suavement à Van Atta avant de lui faire signer l’autorisation. Ça évitera d’avoir à en commander d’autres.

Troublé, Leo s’avança vers les quaddies.

— C’est quoi ça, les enfants ?

— Oh ! monsieur Graf, bonjour… Eh bien, à vrai dire, je n’ai jamais vu ces trucs-là auparavant, répondit un quaddie du service de maintenance. En tout cas, c’est gros.

Il s’arrêta une seconde pour détacher une miniconsole de son manipulateur.

— Tenez… si vous voulez le manifeste…

— C’était censé être des barres de combustible…

La taille des cylindres correspondait, à peu près. Ils n’en auraient tout de même pas changé le conditionnement ? Leo entra les références des barres sur la console – désignation de l’article, quantité…

— Ils gargouillent, dit le quaddie en souriant.

— Ils gargouillent ?

Leo regarda le numéro de série qui venait de s’inscrire sur son écran, puis celui des cylindres. C’étaient les mêmes. Et pourtant… Non ! G77618PD pour l’un, G77681PD pour l’autre. Rapidement, il tapa le numéro inscrit sur les cylindres. Leo mit quelques secondes à comprendre ce qu’il avait sous les yeux.

— De l’essence ! s’exclama-t-il enfin. De l’essence ! Ces crétins ont expédié dix tonnes d’essence à une station spatiale !

— Qu’est-ce que c’est ? demanda le quaddie.

— L’essence ? C’est un hydrocarbure qu’on utilise en gravispace pour faire marcher les Land Rover. Un sous-produit du craquage pétrochimique. L’oxygène sert d’oxydant. C’est un liquide inflammable, et explosif ! Pour l’amour du ciel, assure-toi que personne n’ouvre ces cylindres.

— Oui, monsieur, promit le quaddie, impressionné par sa véhémence.

Loris, le superviseur de l’équipe, arriva à cet instant dans la baie, suivi d’un groupe de quaddies appartenant à son service.

— Tiens, bonjour, Graf. Justement, je voulais vous parler. Je crois avoir commis une erreur en acceptant de passer votre commande. Des problèmes de stockage vont se poser et…

— C’est vous qui avez commandé ça ? le coupa Leo, impérieux.

— Quoi ?