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À présent qu’il avait deviné les intentions de Graf, Van Atta ne pouvait qu’approuver. Les grands manitous de GalacTech seraient reconnaissants à l’ingénieur de les avoir débarrassés d’une très sale épine dans le pied ; mais ils ne pourraient l’en récompenser que de manière détournée. En lui offrant de meilleures missions, par exemple, des promotions rapides. Il devait trouver une façon adroite de leur rapporter l’exploit de Graf.

Quoique… tout compte fait, pourquoi partager ? Graf serait quand même mal inspiré de réclamer une quelconque rétribution pour ce genre d’initiative. Il avait été subtil, mais pas assez. Il faudrait bien trouver un responsable à sacrifier, après l’accident. Pour la forme… Il suffisait donc de se taire pour que…

Contrarié, il dut s’arracher à ses réflexions pour s’intéresser à ce qui se passait autour de lui.

— Il faut que j’aille voir où en sont mes quaddies ! insistait la jeune femme, de plus en plus affolée, en se frayant un chemin vers les portes.

— Et moi, il faut que je trouve Wyzak, déclara un tech en la suivant. Il n’est toujours pas là. À mon avis, il doit avoir besoin d’aide. Je vais avec vous…

— Non ! hurla Van Atta.

Il fut à deux doigts d’ajouter : Vous allez tout gâcher !

— Vous attendrez que tout danger soit passé. Je ne tolérerai pas que votre anxiété sème un vent de panique. Vous allez patienter, comme tout le monde. Nous ne tarderons sûrement pas à recevoir des instructions.

La femme capitula à contrecœur, mais l’homme refusa de s’en laisser conter.

— Des instructions de qui ?

— De Graf, dit Van Atta.

Afin que nul n’ignore sur les épaules de qui reposait la responsabilité de cet… « accident ». Des témoins, c’était toujours bon à prendre. Il cacha son excitation croissante sous une fausse aura de sang-froid. Sang-froid que la surprise et l’indignation entameraient sérieusement au moment où l’ampleur du désastre serait révélée.

Il attendit donc, serein. Les minutes s’étiraient, interminables. Un dernier groupe de réfugiés les rejoignit en haletant. Un des employés du service du personnel vint lui présenter une liste des gravs présents dans l’Habitat à cet instant.

Van Atta maugréa en silence contre l’initiative de cet agent recenseur trop zélé, alors même qu’il le félicitait d’un sourire. La preuve qu’ils n’étaient pas tous à l’abri pouvait le contraindre à agir et, peut-être, à contrarier ainsi les plans de Graf.

Seuls onze membres du personnel manquaient à l’appel. Un prix nécessaire à payer, se rassura Van Atta. Il serait toujours temps, plus tard, de prétendre qu’il les croyait en sécurité dans des espaces pressurisés. Leur mort pourrait être attribuée à Graf qui ne serait plus à ça près…

Un groupe, près des portes, s’apprêtait à sortir à la première occasion. Van Atta réfléchit avec promptitude à la manière de les arrêter sans trahir quoi que ce fût. Mais une des femmes poussa un cri perçant.

— Il n’y a plus d’air dans les couloirs non plus ! On ne peut plus sortir sans scaphandre pressurisé !

Van Atta, soulagé, se dirigea vers un des hublots qui offrait une vue oblique sur l’arrière de l’Habitat. Des mouvements ayant attiré son attention, il écrasa son nez sur le verre froid pour tenter de suivre ce qui se passait.

Des silhouettes argentées en scaphandre rebondissant sur la surface extérieure de l’Habitat… Une équipe de réparation ? Était-il possible que sa première hypothèse fût la bonne et qu’il s’agît d’un véritable accident, en fin de compte ? Amère déception… La seule consolation, c’est que Graf porterait le chapeau, dans un sens comme dans l’autre.

Mais il y avait aussi des quaddies, bon sang ! Des quaddies survivants. On les repérait facilement, avec leurs bras. Graf avait peut-être raté son coup en beauté. Deux quaddies en vie, pour peu qu’ils soient de sexe opposé, s’avéreraient aussi dangereux qu’un millier. Toutefois, l’équipe n’était peut-être composée que de garçons…

Ah !… il apercevait Graf lui-même, à présent. Lui et ses ouvriers transportaient toute une batterie d’outils. Il se tordit le cou, mais l’équipe disparut à sa vue. Un cargo-pousseur passa non loin, décrivant un arc de cercle au-dessus du module C. D’autres survivants ? Quaddies ou gravs ?

— Hé ! s’exclama une voix excitée dans le fond du module, l’arrachant à sa contemplation. On a de la veine ! Le placard est plein à craquer de masques à oxygène ! À vue de nez, il y en a au moins trois cents.

Van Atta se retourna pour voir le placard en question. La dernière fois qu’il était venu dans cette salle, du matériel audiovisuel y avait été stocké. Qui l’avait remplacé par des masques ? Et dans quel but ?…

Un bruit sourd retentit dans le module. Des cris de peur fusèrent. La lumière faiblit, vacilla, puis se stabilisa, mais bien moins intense. Ils fonctionnaient sur l’alimentation de secours du module !…

Hébété, Van Atta vit l’Habitat qui commençait à tourner devant son hublot. Non, en fait, ce n’était pas l’Habitat… c’était le module qui bougeait. Un « Aaaah » général s’éleva tandis que les gravs glissaient malgré eux vers un mur pour s’y entasser, sous l’effet de l’accélération imprimée en douceur de l’extérieur. Van Atta se cramponna aux poignées qui encadraient le hublot.

Trahi ! Il était trahi, comme jamais personne ne l’avait été avant lui. Une silhouette argentée adressa un salut joyeux au module depuis le trou béant dans le flanc de l’Habitat. Van Atta en tremblait de rage. Tu me revaudras ça, Graf ! Je t’aurai, espèce d’enfant de salaud ! Tu ne l’emporteras pas au paradis, ni toi, ni aucun de ces petits monstres à quatre bras…

— Calmez-vous, enfin ! dit le Dr Yei qui venait de le rejoindre près du hublot. Que se passe-t-il ?

Il se rendit compte qu’il avait marmonné ses menaces à haute voix. Enragé, il fusilla Yei du regard.

— Vous n’avez rien compris ! cracha-t-il, hors de lui. Vous étiez censée savoir tout ce que ces sales mutants tramaient dans notre dos ! Eh bien, c’est raté !

Il s’avança vers elle, avec il ne savait quelle intention au juste, rata une poignée et glissa le long du mur. Son sang battait si fort à ses tempes qu’il eut peur d’avoir une attaque. Il ferma les yeux un moment, sans bouger, la respiration courte, suffoquant sous la violence de ses émotions. Du calme, se dit-il, terrorisé à l’idée de claquer là, bêtement. Il faut que tu tiennes le coup, si tu veux renvoyer l’ascenseur à Graf. Parce que tu l’auras, lui et les autres. Tous, jusqu’au dernier…

12

Leo retira son scaphandre en écoutant les propos excités des quaddies autour de lui.

— Vous voulez dire qu’on ne les a pas tous eus ? demanda-t-il.

Il avait tant espéré que ses problèmes – du moins ceux que lui posaient les gravs – seraient réglés avec le largage du module C…

— Quatre des surveillants généraux sont enfermés dans la réserve de légumes avec des masques, et ils ne veulent pas en sortir, l’informa Sinda, du service de nutrition.

— Et les trois hommes d’équipage de la navette qui vient d’accoster ont essayé de rejoindre leur vaisseau, ajouta un autre quaddie. On les a bloqués entre deux portes hermétiques, mais ils essaient de forcer le mécanisme. On ne sait pas si on pourra les garder encore longtemps.