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— Au moment où nous avons été alertés de cet incident, répondit le capitaine sur un ton dénué d’émotion, nous ne pouvions pas vous joindre. Depuis, nous avons suivi la trajectoire du D-620 ; il continue à se diriger droit vers Rodeo. Et il refuse de répondre à nos appels.

— Quelles actions concrètes avez-vous entreprises ?

— Aucune. Nous surveillons la situation. Je n’ai pas encore reçu d’ordres pour agir.

— Et pourquoi ça ? Où est Norris ?

Norris était le directeur technique pour tout l’espace local de Rodeo. C’était à lui de prendre cette affaire en main. Encore que l’Opération Cay ne relevait pas de son autorité dans la mesure où Van Atta était sous les ordres de la direction générale.

— M. Norris assiste à un séminaire sur la Terre, dit Chalopin. Je le remplace en son absence. Le capitaine Bannerji et moi-même avons envisagé la possibilité de rattraper et d’aborder le vaisseau piraté avec la navette de la sécurité du spatioport Trois. Nous ignorons toujours qui sont ces gens et ce qu’ils veulent, mais ils semblent détenir un otage, ça nous oblige à nous montrer prudents. Ce qui explique que, pour l’instant, nous nous soyons contentés de les surveiller tout en nous efforçant d’obtenir des informations à leur sujet. Et cela, monsieur Van Atta…

Elle planta son regard dans le sien.

—… m’amène à vous poser cette question : cet incident est-il en quelque manière lié à la crise que vous traversez à l’Habitat ?

— Je ne vois pas comment… commença Van Atta qui s’interrompit net, parce que, soudain, il voyait clair comme en plein jour. Nom de Dieu… murmura-t-il.

— Doux Jésus ! renchérit le Dr Yei, qui se tourna de nouveau vers l’image de l’Habitat démantelé. Ce n’est pas possible…

— Graf est dingue. Il est dingue, je vous dis ! Ce type est un dangereux mégalo ! Il ne peut pas faire un truc pareil !

Les paramètres d’ingénierie défilaient dans l’esprit de Van Atta – masse, force, distance… Et si, pourtant. L’Habitat, bien équilibré, délesté de ses composants négligeables, pouvait très bien être tracté par un superjumper et franchir le couloir.

— Ce n’est pas seulement le superjumper, mais tout l’Habitat qu’ils piratent ! s’écria Van Atta d’une voix enrouée par la rage.

Yei se tordait les mains.

— Ils n’y arriveront jamais. Ce sont des gosses ! Il les mène à leur mort. C’est criminel !

Chalopin et le capitaine Bannerji échangèrent un regard.

— Vous pensez donc que ces deux incidents sont liés ? insista-t-elle.

Van Atta se mit à marcher de long en large.

—… saloperie de Graf !

Yei répondit pour lui :

— Oui, nous le pensons.

— Et ils ont déjà tout démonté ! On ne va même pas avoir le temps de les affamer. Il faut trouver un autre moyen de les arrêter.

— Les résidents de l’Habitat Cay ont été très choqués par la façon brutale dont a été supprimée l’opération, expliqua Yei. L’ayant, de toute évidence, appris tout d’un coup, ils auront pris peur à l’idée de devoir vivre en gravispace. Je n’ai pas eu le temps de les habituer à cette perspective. À mon avis, ils essaient de fuir, en quelque sorte.

Les yeux du capitaine Bannerji s’arrondirent. Il se pencha vers la console et observa plus attentivement le vid.

— Imaginez le lent escargot qui porte sa maison sur son dos, murmura-t-il. Les jours de pluie, il va se promener, sans jamais avoir à revenir sur ses pas…

Van Atta s’écarta soudain du capitaine, comme s’il craignait d’être contaminé par le virus de cette curieuse veine poétique.

— Des armes, dit-il. Quel genre d’armes avez-vous ici ?

— Des neutraliseurs, répondit Bannerji.

Était-ce une lueur de moquerie, dans ses yeux ? Non. Il n’oserait pas.

Van Atta eut un clappement de langue exaspéré.

— Je parle de votre navette. De quoi est-elle équipée ?

— De deux lasers à moyenne portée. La dernière fois que nous les avons utilisés, voyons… c’était pour pulvériser un tronc d’arbre qui obstruait une rivière dont les eaux menaçaient d’inonder un chantier.

— Oui, bon… en tout cas, c’est déjà plus que ce qu’ils ont, eux. On pourrait attaquer l’Habitat… ou le superjumper… ou les deux, en fait. L’essentiel, c’est de les empêcher de se rejoindre. Oui, nous allons attaquer le superjumper d’abord. Sans lui, l’Habitat est une cible idéale. Votre navette est-elle prête à partir, Bannerji ?

Le Dr Yei devint livide.

— Pas si vite ! Qui parle d’attaquer quoi que ce soit ? Nous n’avons même pas encore pris contact avec eux. Si ces pirates sont bien des quaddies, je suis certaine de pouvoir les amener à entendre raison…

— Il est trop tard pour parlementer. Il faut agir, maintenant.

L’humiliation cuisante que Van Atta avait essuyée, attisée par la peur, lui donnait des brûlures d’estomac. Quand les grands chefs de la compagnie découvriraient à quel point il s’était fait berner… Il avait tout intérêt à avoir repris les choses en main d’ici là.

— Oui, mais…

Yei s’humecta les lèvres.

—… On peut lancer des sommations, si l’on veut, mais le recours à la force est dangereux… et destructeur. Ne serait-il pas préférable d’obtenir une autorisation, d’abord ? Si les choses devaient mal tourner, vous n’aimeriez sans doute pas avoir à en assumer toute la responsabilité.

Van Atta réfléchit quelques secondes.

— Ça prendrait trop de temps, objecta-t-il. Il faut bien compter vingt-quatre heures pour contacter la direction sur Orient IV. Et s’ils préfèrent s’en laver les mains et qu’ils nous renvoient auprès d’Apmad, sur Terre, nous devrons peut-être attendre plusieurs jours pour avoir une réponse.

— Mais à eux aussi, il faudra plusieurs jours, non ? insista Yei. Même s’ils parviennent à accrocher l’Habitat au superjumper, ils ne pourront pas filer à la vitesse d’un courrier rapide. Les modules ne supporteraient pas la pression, et il leur faudrait beaucoup trop de carburant, en plus. Donc le temps joue en notre faveur, aussi. Ce qui vous permet d’obtenir l’accord de la direction. Alors, si la situation devait vraiment se gâter, vous seriez couvert.

Van Atta s’accorda un nouveau temps de réflexion. Il reconnaissait bien là l’indécision des femmes. Surtout Yei. Toujours à tergiverser… Il l’entendait d’ici – À présent, calmons-nous et essayons de discuter comme des personnes sensées… Il ne supportait pas de lui donner raison, et pourtant… elle n’avait pas tout à fait tort, il devait bien l’avouer. Couvrir ses arrières était une règle fondamentale.

— Bien sûr… Et puis non, merde ! déclara-t-il. GalacTech verrait d’un très mauvais œil que ce désastre s’ébruite. Il ne manquerait plus que toute la galaxie soit au courant de la fuite de leurs mutants domestiques. Le mieux pour nous tous, c’est que cette affaire soit réglée dans les limites de l’espace local de Rodeo.

Il se tourna vers Bannerji.

— Donc, avant tout, débrouillez-vous, vous et vos hommes, pour récupérer ce vaisseau, ou au moins faire en sorte qu’ils ne puissent pas s’en servir.

— Cela, remarqua Bannerji, serait un acte de vandalisme. De plus, ainsi qu’il l’a été mentionné plus tôt, la sécurité du spatioport Trois ne relève pas de votre autorité, monsieur Van Atta.

Il se tourna vers sa supérieure.

— C’est exact, confirma-t-elle. L’Habitat est peut-être votre problème, monsieur Van Atta, mais le détournement de ce superjumper tombe sans conteste sous ma juridiction, et ce en dépit du lien entre les deux événements. Et il reste également une navette-cargo là-haut qui m’appartient, bien que la station de transfert nous ait signalé que son équipage avait été récupéré dans une nacelle de sauvetage.