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Elle était cabossée en profondeur, à l’endroit où le pousseur l’avait heurtée. Leo s’efforça de se rassurer. Ce n’est qu’une gaine de protection. Son but est précisément de protéger les câbles des chocs, d’accord ? L’estomac noué, il se hissa jusqu’à l’ouverture, à l’extrémité de la gaine, et alluma la lampe de son scaphandre.

Oh, nom de Dieu !

Le miroir vortex était fêlé. Large de plus de trois mètres, conçu et poli au centième d’angstrôm près, il constituait une surface de contrôle intégral du système de saut, reflétant ou amplifiant le champ électrique Necklin généré par les câbles selon les besoins du pilote. Et il n’était pas seulement fêlé… mais brisé, étoilé et déformé.

Un faisceau lumineux rejoignit le sien. Leo regarda par-dessus son épaule.

— C’est aussi grave que ç’en a l’air ? demanda Pramod dans le canal com.

— Oui, soupira Leo.

— On ne peut pas réparer ça avec une soudure, n’est-ce pas ? Alors qu’allons-nous faire ? demanda Pramod d’un ton angoissé.

La voix lasse de Leo trahissait à la fois son épuisement et sa peur.

— Il faut absolument que je rentre, maintenant. On verra après.

Il venait tout juste d’ôter son scaphandre quand Vatel surgit. Il avait récupéré le pousseur, désormais garé dans son module, et libéré son pilote.

— Il s’est bloqué, pleurait Sako, meurtrie et effrayée. Je ne pouvais plus rien faire. Qu’est-ce que j’ai percuté ? J’ai blessé quelqu’un ? Je ne voulais pas lâcher le carburant, mais c’est le seul moyen que j’aie trouvé pour couper le moteur. Je suis désolée…

Sako ne devait guère avoir plus de quatorze ans.

— Depuis combien de temps ne t’es-tu pas reposée, Sako ? demanda Leo.

— Depuis qu’on a commencé, renifla-t-elle.

Ses quatre mains tremblaient alors qu’elle se tenait devant lui, suspendue en l’air, la tête penchée.

— Mais ça fait au moins vingt-six heures, ça ! s’exclama Leo. Tu vas aller dormir tout de suite. Et mange quelque chose avant.

Elle releva la tête, le considérant avec étonnement.

— Mais les dortoirs ont tous été regroupés avec les crèches. Je ne peux pas y accéder d’ici.

— Et c’est pourquoi… ? Écoute, les trois quarts de l’Habitat sont inaccessibles, à présent. Trouve-toi un coin dans le vestiaire ou ailleurs, n’importe où.

Il regarda ses yeux pleins de larmes, puis ajouta :

— C’est autorisé, Sako.

De toute évidence, elle voulait son sac de couchage personnel, qui l’aurait rassurée, mais Leo n’était pas en mesure de le lui procurer.

— Toute seule ? dit-elle d’une voix de petite fille.

Elle n’avait sans doute jamais dormi avec moins de sept ou huit autres gosses de son âge.

— Viens, dit-il.

Il l’emmena par la main dans le vestiaire, accrocha au mur un sac à linge vide et l’aida à s’y glisser avant de lui donner le sandwich sous vide qu’il gardait dans la poche de sa combinaison. Seule la tête de l’adolescente apparaissait ; il eut un instant l’impression bizarre d’être sur le point d’aller noyer un sac de chatons.

— Là…

Il se força à sourire.

— Ça va mieux ?

— Merci, Leo, dit-elle en ravalant ses dernières larmes. Je regrette, pour le pousseur. Et le carburant…

— On va s’en occuper, ne t’inquiète pas, la rassura-t-il avec un clin d’œil héroïque. Repose-toi, maintenant, d’accord ? Il y aura encore largement de quoi faire quand tu te réveilleras. Bon… eh bien… bonne nuit.

— Bonne nuit, répéta-t-elle.

Une fois seul dans le corridor, il se passa les mains sur le visage en soupirant. Trois quarts de l’Habitat inaccessibles ? Il était bien au-dessous du compte. Et tous les modules fonctionnaient sur l’alimentation de secours en attendant d’être raccordés au circuit central. Il était vital pour la sécurité de ceux qui restaient à l’intérieur des différentes sous-unités que l’Habitat puisse être reconfiguré et rendu opérationnel aussi vite que possible.

Sans parler des efforts que chacun devait fournir pour s’y retrouver dans ce nouveau labyrinthe qu’il avait fallu concevoir selon les exigences spécifiques des services. Les crèches, par exemple, pouvaient fort bien s’accommoder d’être à l’intérieur d’un groupe de modules ; les réfectoires, en revanche, qui servaient quelque mille repas par jour, nécessitaient un accès aisé, de même que les baies de chargement et de déchargement, une ouverture sur l’espace. Encore fallait-il espérer que les modules soient tous attachés dans le bon sens, songea Leo ; il n’était pas toujours sur place pour superviser.

Mais la question se posait désormais de savoir si l’on pouvait continuer à charger un superjumper peut-être hors d’état de fonctionner. Le miroir vortex. Bon Dieu… Pourquoi Sako n’avait-elle pas percuté une nacelle, tout simplement ?

— Leo ! l’apostropha une voix familière.

Le visage fermé, Ti Gulik s’avançait vers lui dans le corridor, suivi de près par Silver et par Pramod. S’agrippant à une poignée, il se planta devant Leo. Celui-ci lança un bref salut à Silver avant que le pilote ne le cloue au pilori.

— Qu’ont fait ces imbéciles de quaddies à mon vaisseau ? s’écria Ti. On prend des risques inouïs pour aller le chercher et le ramener ici, et vous ne trouvez rien de mieux à faire que de le bousiller ! J’avais à peine fini de couper les moteurs !

Il secoua la tête, fournissant un effort louable pour baisser le ton.

— Par pitié, dites-moi que ce petit mutant…

Sans se retourner, il indiqua Pramod derrière lui.

—… s’est trompé.

Leo s’éclaircit la gorge.

— Un des verniers du pousseur s’est, semble-t-il, bloqué et l’a propulsé dans une rotation incontrôlable. Le terme « accident imprévisible » ne figure certes pas dans mon vocabulaire, mais, en tout état de cause, ce n’était pas la faute du quaddie.

— Hmm… renifla Ti. Au moins, vous n’essayez pas de tout mettre sur le dos du pilote. Et au niveau des dégâts, quel est le bilan ?

— Le câble lui-même n’a pas été touché…

Ti exhala un long soupir de soulagement.

—… mais le miroir vortex de bâbord est brisé.

— Le miroir vortex ? s’étrangla Ti. Mais c’est aussi grave !

— Du calme, Gulick. Non, ce n’est peut-être pas aussi grave, justement. J’ai déjà réfléchi à une ou deux solutions… De toute façon, je voulais vous parler. Quand on a pris l’Habitat, il y avait une nacelle-cargo à quai.

Ti le considéra d’un air soupçonneux.

— Et alors ?

— Eh bien, il y a quelque chose dont Silver n’est pas encore au courant…

Leo rencontra le regard de la quaddie qui s’assombrit à la perspective d’une mauvaise nouvelle.

—… Nous n’avons pas pu récupérer Tony. Il est toujours à l’hôpital, sur Rodeo.

— Oh non !… gémit-elle. Est-ce qu’on va pouvoir… ?

— Peut-être. J’ignore encore si la stratégie est bonne, mais je sais en revanche que je ne pourrais plus me regarder dans la glace le matin si on ne tentait pas l’impossible pour aller le chercher. En plus, Minchenko a aussi promis de venir avec nous, mais pas sans madame Minchenko. Et elle aussi est là-bas.

— Le Dr Minchenko est resté ?

Silver applaudit des quatre mains, ravie.

— Oh, c’est formidable !

— Mais seulement si nous pouvons ramener sa femme, insista Leo. On a donc deux bonnes raisons de tenter un raid. On a une navette, on a un pilote…

— Oh non ! protesta Ti. Pas si vite…