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— Il faut aller chercher Tony, maintenant, déclara Minchenko. On revient dès que possible. Silver t’aidera. Tu peux compter sur elle pour tenir le siège !

Les deux hommes sortirent et, quelques secondes plus tard, la Land Rover filait à travers le paysage désertique.

Silver et Mme Minchenko restèrent seules, face à face.

— Voilà… dit Mme Minchenko.

Silver haussa les épaules, intimidée.

— Je suis désolée que vous ayez dû renoncer à emporter toutes vos affaires. Et quitter votre maison.

— Oh !… je ne peux pas vraiment dire que je regretterai Rodeo.

Son regard s’attarda un instant sur l’horizon montagneux. Puis, en soupirant, elle s’assit et posa sa drôle de boîte sur ses genoux. Silver essayait d’imaginer à quoi ressemblerait de vivre le reste de son existence avec la même personne. Mme Minchenko avait-elle jamais été jeune ? Le Dr Minchenko, en tout cas, avait toujours été vieux, c’était certain.

— Comment avez-vous rencontré le Dr Minchenko ? demanda-t-elle, poussée par la curiosité.

— Oh !… c’est une longue histoire, répondit Mme Minchenko en souriant.

— Étiez-vous infirmière ? Ou tech en laboratoire ?

— Pas du tout. Je n’ai jamais travaillé dans le domaine médical. Dieu merci…

Sa main parcheminée caressa la boîte.

— Je suis musicienne. Silver écarquilla les yeux.

— Vous jouez sur les synthavids ? Vous programmez ? On a des synthavids dans notre bibliothèque…

Un demi-sourire étira les lèvres de la vieille dame.

— Il n’y a rien de synthétique dans ce que je fais. Je suis en quelque sorte une interprète-historienne. C’est-à-dire que je m’efforce de perpétuer une certaine tradition musicale. Si vous préférez, considérez-moi comme une pièce de musée vivante, qui aurait peut-être besoin d’un bon coup de plumeau…

Sous le regard captivé de Silver, elle ouvrit la boîte. Le bois acajou, patiné, refléta les lumières colorées de la cabine de pilotage. Mme Minchenko souleva l’instrument et le coinça sous son menton.

— C’est un violon.

— J’en ai déjà vu en photo. C’est un vrai ?

Mme Minchenko fit glisser l’archet sur les cordes. La musique était gaie et aérienne, comme… les danses des jeunes quaddies dans le gym, songea Silver à court de comparaison. Le son était très puissant.

— Et par où branchez-vous ces cordes sur les enceintes ? s’enquit-elle en tendant le cou pour mieux voir.

— Il n’y a pas d’enceintes. Le son vient du bois, rien d’autre.

— Mais ça remplit toute la cabine !

Les yeux de Mme Minchenko s’allumèrent d’une lueur de défi.

— Cet instrument pourrait remplir une salle de concert à lui tout seul.

— Vous avez donné des concerts ?

— Une fois, quand j’étais très jeune. J’avais votre âge, à peu de chose près. J’étais allée dans une école qui enseignait la musique. La seule qui existât sur ma planète. C’était un monde colonial où on ne laissait que peu de place à l’art. Un concours avait été organisé ; le gagnant ayant droit à un voyage sur la Terre, et à un contrat avec la maison de disques qui sponsorisait toute l’affaire. Je suis arrivée seconde du concours. Et comme il n’y avait pas de place pour tout le monde…

Elle soupira.

— Je n’ai eu pour toute consolation que le plaisir d’une bonne réussite personnelle. Heureusement, c’est à cette époque que j’ai rencontré Warren. Et je n’ai pas eu le temps de regretter mon échec car nous avons beaucoup voyagé dès le début de notre mariage. Ayant juste terminé ses études, il avait été engagé par GalacTech. De mon côté, j’ai enseigné à droite à gauche, à des gens assez passionnés pour vouloir apprendre l’art traditionnel de la musique. Voilà…

Elle inclina la tête, souriant.

— Vous ont-ils appris à jouer d’un instrument, au moins, sur ce satellite ?

— De la sifflûte. Mais pas longtemps…

— De la sifflûte ?

— Oui. C’est un petit tuyau en plastique dans lequel il faut souffler pour produire des sons. Une des surveillantes de la crèche en avait apporté quelques-unes quand j’avais… huit ans, à peu près. Mais au bout de deux semaines, les gravs ont commencé à se plaindre parce qu’on leur cassait les oreilles, il paraît. Alors elle a dû les remporter.

— Je vois. Warren ne m’en a jamais parlé.

Silver se pencha un peu plus encore vers le violon.

— Est-ce que je pourrais… ?

Elle s’arrêta, consciente de son audace. Sans doute Mme Minchenko verrait-elle d’un mauvais œil qu’elle touche cette précieuse antiquité. Et plus encore qu’elle oublie de la tenir et que la gravité la jette par terre.

— Vous voulez essayer ? proposa Mme Minchenko. Pourquoi pas ? Il semble que nous ayons un peu de temps devant nous…

— Je crains de…

— Mais non. Oh ! à une époque, je n’aurais autorisé personne à le toucher, pour rien au monde. Je l’ai même laissé enfermé dans un coffre à température contrôlée pendant des années. Sans en jouer. Comme dans un cercueil, en fait. Et puis, il n’y a pas si longtemps, j’ai fini par trouver stupide de l’avoir condamné ainsi. Alors je l’ai sorti pour le faire revivre. Tenez… Levez le menton, comme ça. Et coincez-le dessous, là…

Elle prit la main de Silver et lui replia les doigts sur le manche.

— Vous avez des doigts très fins et, euh… vous en avez beaucoup. Je me demande…

— Quoi ? l’encouragea Silver.

— Oh ! j’imaginais seulement un quaddie jouant de la guitare à douze cordes en apesanteur. Si vous n’étiez pas écrasée sur ce siège, vous pourriez amener votre main inférieure gauche…

C’était un jeu de lumière, sans doute. Un clin d’œil du soleil plongeant sur l’horizon en dents de scie et projetant ses rayons à travers les hublots de la cabine, mais les yeux de Mme Minchenko brillaient d’une lueur particulière.

— Bien, à présent, posez le bout des doigts sur les cordes, là, bien…

Le feu.

Le premier problème avait été de trouver assez de titane pur dans l’Habitat pour l’ajouter à la matière du miroir vortex brisé et compenser ainsi les inévitables pertes durant la re-fabrication. Leo savait qu’il ne se sentirait pas à l’aise à moins d’une confortable marge de quarante pour cent de matière supplémentaire.

Il aurait dû y avoir des bidons de titane pour stocker les liquides corrosifs – un seul bidon d’une centaine de litres leur aurait suffi. Ou bien des canalisations, enfin quelque chose… Pendant la première heure passée à ratisser l’Habitat, Leo avait eu le sentiment accablant que son plan allait échouer là, avant même d’avoir commencé. Et puis il avait enfin trouvé ce qu’il cherchait dans un endroit inattendu – le service de nutrition. Une chambre froide pleine de grosses boîtes pesant au moins cinq cents grammes chacune. Leurs différents contenus avaient été transvasés en hâte dans tous les containers sur lesquels Leo et son équipe avaient pu mettre la main.

— Le nettoyage sera un bon exercice pour les plus jeunes, avait-il lancé, culpabilisé, à la responsable du service avant de disparaître, son forfait accompli.

Le deuxième problème avait été de trouver un lieu pour travailler. Pramod lui avait indiqué un des modules abandonnés, un cylindre d’environ quatre mètres de diamètre. Il leur avait fallu deux autres heures pour percer une ouverture sur le côté et entasser dans le fond tous les morceaux de métal conducteur récoltés un peu partout dans l’Habitat qu’ils avaient recouverts d’une plaque de revêtement arrachée à un autre module abandonné, puis broyés jusqu’à obtenir une sorte de bol concave dont la largeur occupait presque le diamètre du cylindre.