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— C’est déjà ça. Maintenant, je voudrais vous montrer une dernière œuvre. Une création de notre hôte.

— Ah oui ? J’ignorais qu’Edmond était également un artiste.

Winston lâcha un nouveau rire.

— Un artiste ? Ça, c’est à vous d’en juger !

Winston l’entraîna vers une grande alcôve où un groupe de personnes contemplaient une plaque d’argile suspendue au mur. Au premier regard, cela ressemblait à une couche sédimentaire contenant des fossiles, comme on en voit parfois dans des muséums d’histoire naturelle. Mais dans cette flaque de boue séchée, aucune relique d’autres temps. La surface de la plaque était striée de marques, un peu comme si un enfant s’était amusé à faire des rayures avec le bout d’un bâton.

Visiblement, le public n’était guère convaincu.

— C’est Edmond qui a fait ça ? grommela une femme en vison et aux lèvres siliconées. Je ne comprends pas.

Professeur dans l’âme, Langdon intervint :

— En fait, c’est très astucieux. Pour l’instant, c’est ma pièce favorite du Guggenheim.

La femme se retourna, avec une moue de mépris.

— Ah oui ? claironna-t-elle. Éclairez-nous donc !

Avec plaisir…

Il s’approcha de la série de traits creusés.

— Tout d’abord, Edmond a réalisé ces stries en hommage à la plus ancienne graphie humaine, l’écriture cunéiforme.

La femme demeurait sceptique.

— Ces trois marques au milieu, poursuivit Langdon, forment le mot « poisson » en assyrien. C’est un pictogramme. On peut même reconnaître la gueule ouverte du poisson, tournée vers la droite, et aussi les écailles triangulaires sur son corps.

Tous se penchèrent pour observer l’œuvre.

— Et là, Edmond a tracé des empreintes de pas derrière le poisson. Une allusion à l’évolution, le jour où le premier poisson est sorti de l’eau pour gagner la terre ferme.

Tout le monde hocha la tête, appréciant l’analyse.

— Et enfin, cet astérisque asymétrique qu’on voit à droite, ce signe que le poisson semble prêt à avaler, c’est l’un des premiers symboles de Dieu.

— Un poisson qui mange Dieu ? Rien que ça ? s’exclama la femme au vison.

— Apparemment, oui. C’est une illustration amusante de la théorie de Darwin. L’évolution dévorant la religion. Comme je le disais, c’est plutôt astucieux.

Sur ce, Langdon s’éloigna. Il entendit les gens chuchoter dans son dos.

— Très amusant, professeur ! déclara Winston. Edmond aurait apprécié ce cours improvisé. Peu de visiteurs sont parvenus à déchiffrer le message.

— Il se trouve que c’est mon travail.

— Je comprends mieux pourquoi M. Kirsch vous considère comme un invité spécial. Et pour tout vous dire, il m’a demandé de vous montrer quelque chose de particulier, une chose que personne d’autre ne verra ce soir.

— Quoi donc ?

— Sur votre droite, à côté des baies vitrées, vous voyez ce couloir ? Celui qui est interdit au public ?

— Oui.

— Parfait. Suivez le guide !

Intrigué, Langdon écouta les instructions de Winston ; il s’approcha du couloir et, après s’être assuré que personne ne le regardait, se faufila derrière le cordon.

Il avança sur une dizaine de mètres jusqu’à se trouver face à une porte de métal flanquée d’un pavé numérique.

— Tapez ce code…

Langdon composa les dix chiffres que lui donna Winston et le battant s’ouvrit dans un cliquetis. De l’autre côté, c’étaient les ténèbres.

— Je vais allumer les lumières, ne vous inquiétez pas. Entrez et refermez la porte derrière vous.

Langdon franchit le seuil. Une fois le battant repoussé, il entendit la serrure s’engager.

Lentement, un éclairage tamisé révéla les contours de la salle. L’endroit était gigantesque. Aussi vaste qu’un hangar à avions !

— Trois mille mètres carrés, annonça Winston.

En comparaison, l’atrium du musée faisait figure de cabanon.

À mesure que la lumière s’intensifiait, des formes émergèrent du sol. Sept ou huit silhouettes monumentales. Tels des dinosaures assoupis dans la nuit.

— Qu’est-ce que c’est ça ?

— Ça, c’est The Matter of Time, répondit le facétieux Winston. La matière du temps. L’œuvre la plus lourde du musée. Une bagatelle de mille tonnes.

— Pourquoi m’avez-vous amené ici ?

— Comme je vous l’ai dit, c’est une requête de M. Kirsch.

L’éclairage augmenta encore et tout l’espace baigna dans une aura diffuse et surnaturelle. Langdon n’en croyait pas ses yeux.

Je suis entré dans un univers parallèle !

7.

L’amiral Ávila arriva au point de contrôle du musée et consulta sa montre.

Pile à l’heure !

Il présenta sa carte d’identité. Pendant une minute, son pouls s’accéléra — on ne trouvait pas son nom sur la liste. Enfin, le vigile le repéra. Tout en bas. Un ajout de dernière minute. On le laissa entrer.

Le Régent avait fait ce qu’il fallait.

Comment ? Cela restait un mystère. La soirée était privée, et les invités triés sur le volet.

Ávila se dirigea vers le détecteur de métaux. Il déposa dans le panier son téléphone puis, avec précaution, son gros rosaire.

Surtout pas de gestes brusques !

Le garde lui fit signe de franchir le portique et tira à lui le panier.

— Qué rosario tan bonito, déclara l’employée en admirant la chaîne de perles, rehaussée d’une grosse croix de métal.

— Gracias, répondit Ávila.

Fabrication maison !

Ávila passa la sécurité sans incident. Il récupéra son téléphone et son rosaire, qu’il glissa délicatement dans sa poche, avant de se présenter au second poste de contrôle où on lui donna un curieux audio-guide.

Je ne suis pas là pour faire du tourisme, songea-t-il. J’ai du travail !

Il jeta l’écouteur dans la première poubelle qu’il trouva dans le hall.

Le cœur battant, il chercha un endroit tranquille pour contacter le Régent et lui annoncer qu’il était dans la place.

Pour Dieu, la patrie et le roi ! Mais surtout pour Dieu.

*

Au même instant, au milieu du désert dans la région de Dubaï, le vénérable ouléma Syed al-Fadl agonisait au milieu des dunes. Il ne pouvait aller plus loin.

Sa peau, brûlée par le soleil, était parsemée de cloques, sa gorge était en feu. La tempête de sable avait fait rage pendant des heures, mais il avait continué d’avancer. À un moment, il avait cru entendre le vrombissement de buggies dans l’erg, alors que ce n’était que le vent. Il ne croyait plus que Dieu le sauverait. L’espoir s’était envolé depuis longtemps. Les vautours ne tournoyaient plus au-dessus de sa tête. Ils marchaient à ses côtés.

Le grand Espagnol qui l’avait kidnappé la nuit dernière n’avait pas dit un mot, ou si peu, quand il l’avait emmené dans l’immensité du désert. Après une heure de route, il avait ordonné au vieil homme de soixante-dix ans de descendre de voiture et l’avait abandonné dans l’obscurité, sans vivres.

Le ravisseur n’avait rien dit sur son identité ni donné la moindre explication. Le seul indice, c’était l’étrange marque que l’homme avait dans la paume de sa main droite — un symbole mystérieux :