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Bien sûr, Valdespino connaissait ce secret et s’était chargé de le protéger. Cette nuit, le roi avait décidé de le révéler à son fils unique. Et le faire ici — dans ce tombeau de l’intolérance — était un acte symbolique.

Le prélat contemplait l’abîme devant lui ; il se sentait désormais si seul. Un petit pas… et il plongeait dans les ténèbres.

Mais s’il se laissait aller, les disciples de Kirsch ne se priveraient pas de raconter qu’il avait perdu la foi après les révélations de leur prophète.

Non, ma foi ne mourra pas, monsieur Kirsch. Son règne est bien supérieur à celui de votre science.

De plus, si la technologie devait régner sur Terre, l’humanité allait connaître une grande période de doute. Elle aurait plus que jamais besoin d’un guide.

Alors qu’il traversait l’esplanade pour rejoindre le roi et le prince Julián, une grande lassitude s’empara de Valdespino.

Pour la première fois de sa vie, il ne désirait rien d’autre que s’allonger, fermer les yeux, et dormir pour toujours.

98.

Dans le Centro Nacional de Supercomputación, les commentaires des internautes se succédaient à l’écran. Juste avant, journalistes et experts du monde entier avaient tenté de faire entendre leur voix dans une mosaïque d’images. Puis la liaison avec les rédactions internationales avait été interrompue.

Assis à côté d’Ambra, Langdon reconnut la photo de Stephen Hawking. Puis la voix de synthèse du célèbre physicien qui déclarait : « Il n’est nul besoin d’invoquer Dieu pour faire naître l’univers. La création spontanée suffit à expliquer qu’il y ait quelque chose plutôt que rien. »

Le scientifique fit place à une femme pasteur qui parlait depuis chez elle, via un ordinateur. « N’oublions pas que ces simulations ne prouvent rien sur Dieu. Elles montrent seulement qu’Edmond Kirsch n’a de cesse de détruire la boussole de notre espèce. Depuis la nuit des temps, la religion est notre guide vers une société civilisée, notre carte des valeurs morales pour ne pas nous perdre sur le chemin de la vie. En s’en prenant à la religion, Kirsch renie ce qu’il y a de bon en l’homme ! »

Une seconde plus tard, la réponse d’un téléspectateur s’inscrivit sur la paroi : « La religion n’a aucun droit de s’approprier la morale… Je suis un type bien parce que je suis un type bien ! Dieu n’a rien à voir là-dedans ! »

Un professeur de géologie s’invita dans la discussion : « Avant, les hommes pensaient que la terre était plate et que les bateaux s’approchant du bord du monde risquaient de tomber dans le vide. Quand on a prouvé que notre planète était ronde, les obscurantistes défenseurs de la terre plate se sont tus. Les créationnistes sont les obscurantistes de notre époque moderne ! Dans cent ans, eux aussi auront disparu ! »

Un jeune homme interviewé dans la rue répondit à la caméra : « En tant que créationniste, je pense que les révélations de cette nuit prouvent que notre bienveillant Créateur a créé l’univers précisément pour accueillir la vie. »

Apparut alors une vieille rediffusion de l’émission Cosmos, où l’astrophysicien Neil deGrasse Tyson déclarait avec humour : « Si un créateur a voulu que l’univers soit le berceau de la vie, il a très mal fait son boulot ! Dans la majeure partie du cosmos, aucune forme vivante ne peut survivre ! Entre l’absence d’atmosphère, les radiations brûlantes, les pulsars mortels, les champs gravitationnels écrasants… croyez-moi, l’univers n’a rien du Jardin d’Éden ! »

En écoutant cette joute verbale, Langdon eut l’impression que le monde ne tournait plus rond.

Le chaos, songea-t-il. L’entropie en marche !

— Professeur Langdon ? carillonna une voix familière. Ambra ?

Langdon avait quasiment oublié Winston qui avait gardé le silence pendant toute la présentation.

— Ne vous affolez pas, dit-il. Je veux juste vous prévenir : la police est là. Je l’ai laissée entrer.

À travers la paroi vitrée, Langdon vit une escouade de policiers pénétrer dans la chapelle. Tous se figèrent sur place en découvrant l’énorme super-ordinateur.

— Winston, pourquoi tu as fait ça ? s’étonna Ambra.

— Le Palais royal vient d’annoncer officiellement que vous n’aviez pas été kidnappée. Les autorités ont désormais ordre de vous protéger tous les deux. Deux agents de la Guardia sont également arrivés. Ils veulent vous mettre en relation avec le prince Julián.

Au rez-de-chaussée, les deux gardes avaient rejoint les policiers.

La jeune femme fit la moue.

— Ambra, murmura Langdon, parlez-lui. C’est votre fiancé. Il s’inquiète.

— Je sais, répondit-elle. Mais je ne sais pas si je peux encore lui faire confiance.

— Au fond de vous, vous savez qu’il est innocent… Écoutez au moins ce qu’il a à vous dire. Je vous retrouverai après.

Ambra acquiesça d’un signe de tête avant de se diriger vers la porte à tambour. Sitôt qu’elle eut disparu de sa vue, Langdon reporta son attention sur l’écran mural.

« L’évolution favorise la religion, affirmait un pasteur. Les communautés religieuses sont plus fortes et plus prospères. C’est scientifiquement prouvé ! »

Il a raison, se dit Langdon. Des études anthropologiques montraient que les cultures pratiquant un culte étaient plus pérennes que les profanes.

La crainte sans doute d’être jugé par une divinité omnisciente…

« Attention, répliqua un scientifique, même si l’on constate que les sociétés religieuses résistent mieux que les autres, cela ne prouve pas pour autant que leurs dieux existent ! »

Langdon sourit en imaginant Edmond écouter ces témoignages. Son discours inspirait autant les athées que les créationnistes — tous voulaient participer à ce débat enflammé.

— Croire en Dieu, c’est comme continuer à extraire des combustibles fossiles, déclara quelqu’un d’autre. Tout le monde sait que ce n’est pas tenable à long terme, mais on a trop investi pour s’arrêter !

Une série de vieilles photographies se matérialisèrent sur la paroi.

Un slogan créationniste à Times Square : NOUS NE SOMMES PAS DES SINGES ! À BAS DARWIN !

Un panneau indicateur dans le Maine : N’ALLEZ PAS À L’ÉGLISE. VOUS ÊTES TROP VIEUX POUR LES CONTES DE FÉES.

Et un autre : LA RELIGION — POUR NE PAS PENSER PAR SOI-MÊME.

Puis une publicité dans un magazine : À NOS AMIS ATHÉES : DIEU MERCI, VOUS AVEZ TORT !

Et enfin, une inscription sur le tee-shirt d’un chercheur dans un laboratoire : AU COMMENCEMENT, L’HOMME CRÉA DIEU.

C’était à se demander si tous ces gens avaient bien compris le propos d’Edmond.

Les lois de la physique suffisent à créer la vie.

La découverte de Kirsch était captivante, et divisait les esprits, mais il semblait à Langdon que personne n’avait posé la question essentielle : Si les lois de la physique ont le pouvoir de générer la vie… qui a créé ces lois ?

Bien entendu, cette interrogation était une mise en abyme, une boucle infinie. Il allait lui falloir une longue promenade solitaire pour réfléchir à tout ça.

— Winston ! cria-t-il pour couvrir le tapage de la télévision. On peut faire cesser tout ce bruit ?

Aussitôt, l’écran se tut.

Langdon ferma les yeux et soupira.

« Et de la science harmonieuse, c’est maintenant le règne. »

Il savoura le silence un long moment.