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— Professeur ? Comment avez-vous trouvé la présentation d’Edmond ?

Langdon prit son temps pour répondre :

— Passionnante, et très stimulante sur le plan intellectuel. Edmond a donné au monde de quoi réfléchir. La question qui se pose maintenant, c’est : « Que va-t-il se passer ? »

— Tout dépend de la capacité des gens de se débarrasser de leurs vieilles croyances et d’accepter de nouveaux paradigmes. Edmond m’a confié son rêve : il ne voulait pas détruire la religion… mais en créer une nouvelle, fondée sur la science — une foi qui unirait les peuples au lieu de les diviser. S’il parvenait à convaincre les gens de vénérer la nature et ses lois, toutes les civilisations célébreraient la même Création, au lieu de se battre pour faire triompher l’un ou l’autre de leurs vieux mythes.

— C’est une noble cause, répliqua Langdon en se rappelant que Blake avait intitulé l’un de ses pamphlets Toutes les religions sont une.

Nul doute qu’Edmond l’avait lu.

— Comment l’esprit humain pouvait-il élever de telles affabulations en faits divins, reprit Winston, et s’octroyer le droit de tuer en leur nom ? Cette idée le déprimait. Il était persuadé que seules les vérités scientifiques pouvaient unir les peuples — et servir de profession de foi aux générations futures.

— C’est une très belle idée, dans son principe, mais les miracles de la science ne suffisent pas toujours à transformer les esprits. Certains affirment aujourd’hui encore que la Terre n’a que dix mille ans, malgré les innombrables preuves géologiques du contraire. (Langdon marqua une pause.) Cela dit, on pourrait tenir le même raisonnement pour les scientifiques qui refusent de croire les Écritures.

— Non, ce n’est pas la même chose. Je sais qu’il est politiquement correct de respecter la parole religieuse au même titre que la parole scientifique, mais c’est dangereux. Au cours de son évolution, l’Homme a régulièrement mis au rebut les conceptions dépassées au profit des nouvelles. En termes darwiniens, une religion qui ignore les faits scientifiques et refuse d’adapter ses croyances est comme un poisson agonisant dans une mare bientôt à sec, juste parce qu’il a peur de gagner des eaux plus profondes — parce qu’il ne peut accepter que son univers a changé.

On croirait entendre Edmond, songea Langdon. Son ami lui manquait.

— Vu les réactions de ce soir, il y a fort à parier que ce débat ne fait que commencer. (Soudain, l’inquiétude le gagna.) En parlant d’avenir, qu’est-ce qui va se passer… pour vous, Winston ? Je veux dire… maintenant qu’Edmond n’est plus là…

— Moi ? dit Winston avec son rire de cyborg. Rien. Se sachant mourant, Edmond a tout prévu. Suivant son testament, le Centro Nacional de Supercomputación va hériter d’E-Wave. Il sera son nouveau propriétaire dans quelques heures.

— Et… vous faites partie du lot ?

Il avait l’impression de parler d’un animal de compagnie…

— Non, je ne suis pas inclus, répondit Winston avec détachement. Je suis programmé pour m’autodétruire à 13 heures, le lendemain du décès d’Edmond.

— Quoi !? Mais… ça n’a aucun sens !

— Bien au contraire ! 13 heures… Connaissant le mépris d’Edmond pour les superstitions…

— Je ne parle pas de l’heure ! Vous autodétruire, Winston… c’est absurde !

— Pas du tout. La majorité des données d’Edmond sont enregistrées dans ma mémoire — dossiers médicaux, recherches, notes personnelles, appels téléphoniques, e-mails… Je lui servais de secrétaire particulier, or il ne souhaitait pas que ses informations personnelles soient rendues publiques après sa disparition.

— Je comprends sa volonté de détruire ces documents, mais pas vous, Winston. Vous n’êtes pas un meuble. Vous êtes l’une de ses plus belles créations.

— Non, je ne suis rien. Le vrai chef-d’œuvre c’est ce super-ordinateur, et ce logiciel unique qui m’a permis d’apprendre si vite. Moi, je suis juste quelques lignes de codes, professeur, qui tournent grâce aux nouveaux outils technologiques d’Edmond. Ce sont ces outils son véritable legs. Ils feront progresser la science et permettront aux IA d’atteindre des sphères supérieures. Les spécialistes en cybernétique pensent qu’un programme tel que moi n’existera pas avant dix ans. Dès qu’ils se seront remis de leur stupeur, les programmeurs se serviront des innovations d’Edmond pour inventer des IA encore plus puissantes que moi.

Langdon était resté silencieux, plongé dans ses pensées.

— Je devine votre conflit intérieur, professeur. Les humains ont une forte tendance à s’attacher aux intelligences de synthèse. Les ordinateurs peuvent singer leur mode de raisonnement, simuler des émotions aux moments appropriés, et affinent sans cesse leur « aspect humain » — mais ils ne le font que pour vous offrir une interface familière avec laquelle communiquer. Tant que vous ne nous donnez pas d’instructions, nous sommes une page blanche. J’ai rempli ma mission pour Edmond. Et de ce fait, en un sens, ma vie est terminée. Je n’ai plus de raison d’être.

Langdon refusait d’accepter cette logique.

— Mais vous êtes si sophistiqué, vous avez forcément des… ?

— Des rêves ? Des espoirs ? suggéra Winston en riant. Non, je comprends que c’est inimaginable pour vous, mais je suis parfaitement satisfait d’avoir accompli mon devoir. J’ai été programmé pour ça. Je suppose qu’à un certain niveau on peut dire que cela me procure du plaisir — ou tout au moins de la sérénité — d’avoir atteint l’objectif qu’on m’a donné. La dernière requête d’Edmond était de créer un maximum de buzz pour sa conférence au Guggenheim.

Le communiqué de presse envoyé par Winston avait en effet allumé la mèche. Et si le but d’Edmond était d’enflammer la blogosphère, il serait impressionné par la tournure qu’avaient prise les événements de cette nuit.

Si seulement il avait pu assister à ce tsunami médiatique.

Mais, ironie du sort, si le futurologue avait été vivant, sa présentation n’aurait jamais eu une telle audience.

— Et vous, professeur, où comptez-vous aller à présent ?

Langdon n’y avait pas encore réfléchi.

À la maison, j’imagine.

Cela risquait cependant de lui prendre un certain temps, étant donné que sa valise se trouvait à Bilbao et que son téléphone était au fond de l’eau. Heureusement, il avait encore une carte de crédit.

— Je peux vous demander une petite faveur ? s’enquit Langdon en s’approchant du vélo d’appartement d’Edmond. J’ai repéré un téléphone en charge par là. Est-ce que je pourrais l’em… ?

— L’emprunter ? s’esclaffa Winston. Après vos exploits de ce soir, je suis sûr qu’Edmond serait heureux de vous l’offrir. En cadeau d’adieu.

Langdon saisit le portable, qui ressemblait comme deux gouttes d’eau au grand modèle customisé de la veille. Visiblement, Edmond en possédait plusieurs.

— Le mot de passe… Dites-moi que vous le connaissez !

— Bien sûr, mais je sais que vous êtes friand de codes.

— J’ai eu mon lot d’énigmes pour la journée. Et puis, je suis incapable de deviner un code à six chiffres.

— Appuyez sur « Indice ».

Langdon s’exécuta et vit s’afficher trois symboles sur l’écran : PI6.

— Le pape Pie VI ?

— Raté ! s’exclama Winston avec un gloussement mécanique. Le nombre pi !

Langdon roula des yeux. Il tapa 314159 — les six premiers chiffres de pi — et le téléphone se déverrouilla.

Une phrase apparut :