Le roi parlait à toute vitesse, comme s’il avait attendu toute sa vie pour prononcer cette diatribe.
— Surtout, ce musée doit célébrer l’autre leçon que l’Histoire nous a enseignée — le despotisme ne vaincra jamais la compassion… les cris des fanatiques et des tyrans seront toujours réduits au silence par les voix unies dans la justice et la bonté. Et c’est ce chœur triomphant qui, un jour, s’élèvera de cette montagne. Telle est ma prière.
Alors que ces mots résonnaient encore à ses oreilles, Julián jeta un coup d’œil à la chambre éclairée par le clair de lune. Son père dormait paisiblement. Son visage était étonnamment serein.
Se tournant vers Valdespino, le prince lui désigna la chaise à côté du lit.
— Restez près de lui. Il en serait heureux. Je vais avertir les infirmières de ne pas vous déranger. Je repasserai dans une heure.
Le prélat lui sourit, et pour la première fois depuis la communion de Julián, il le prit dans ses bras et le serra contre lui. Le corps du prélat était si frêle sous sa robe — presque autant que celui de son père —, que Julián se demanda si les deux compagnons ne seraient pas réunis dans l’au-delà plus tôt qu’ils ne l’imaginaient.
— Je suis si fier de toi, murmura l’archevêque avec une familiarité touchante. Je sais que tu seras un grand roi. Bon et compatissant. Ton père t’a bien élevé.
— Merci, répondit Julián. Je crois savoir qu’il a été un peu aidé.
Laissant les deux hommes seuls, le prince traversa les couloirs de l’hôpital, et s’arrêta devant une baie vitrée qui offrait une vue sur le monastère éclairé au loin.
El Escorial.
La Nécropole royale.
Sa visite de la crypte avec son père lui revint en mémoire. En contemplant les tombeaux noirs, Julián avait été frappé d’une étrange prémonition.
Je ne serai jamais enterré là !
Sur le moment, il en avait eu la certitude absolue. Une de celles que l’on n’éprouve qu’une fois dans une vie. Et même si le souvenir était resté ancré dans son esprit, il s’était persuadé que cette idée était absurde… la simple réaction d’un enfant face à la mort.
Mais cette nuit, vu l’imminence de son accession au trône, il était de nouveau frappé par cette évidence.
J’ai toujours su, au fond de moi, quel était mon vrai destin.
Son pays connaissait de profonds changements. Un monde nouveau était né. Peut-être était-il temps de sauter le pas ? Julián s’imagina faire sa première proclamation royale, une déclaration sans précédent :
« Je serai le dernier roi d’Espagne. »
Cette idée l’ébranla.
Heureusement, cette vision fut chassée par la vibration du portable qu’il avait emprunté à la Guardia. Son pouls s’accéléra quand il reconnut l’indicatif de la ville.
Barcelone.
— Ici, Julián, répondit-il vivement.
La voix à l’autre bout du fil était douce, et lasse.
— C’est moi.
Submergé, le prince ferma les yeux et s’assit sur une chaise.
— Mon amour, murmura-t-il. Je ne sais par où commencer… Je suis tellement désolé.
100.
Dans la brume qui annonçait l’aube, Ambra Vidal se cramponna à son portable. Julián était désolé ? La peur l’envahit. Quels aveux allait-il lui faire ?
Deux agents de la Guardia se tenaient à distance respectueuse. Ils ne pouvaient l’entendre.
— Ambra… Ma proposition de mariage… je m’en veux tellement.
Où voulait-il en venir ? Était-ce vraiment le moment de parler de ça ?
— Je voulais me montrer romantique. Au lieu de quoi je t’ai mise dans une situation impossible ! Et puis il y a eu ma réaction, quand tu m’as avoué que tu ne pouvais pas avoir d’enfants… Mon état n’avait rien à voir avec ça… c’est juste que je ne comprenais pas pourquoi tu ne me l’avais pas dit plus tôt. J’ai brûlé les étapes, je sais, mais j’étais fou de toi. Je voulais qu’on vive ensemble très vite. Peut-être parce que mon père était mourant et que…
— Julián ! l’interrompit-elle. Tu ne me dois aucune excuse. Il s’est passé des événements mille fois plus importants que…
— Non, rien n’est plus important ! Pour moi, en tout cas. Je veux que tu saches que je suis désolé d’avoir si mal agi.
Ambra retrouvait enfin l’homme sincère et vulnérable dont elle était tombée amoureuse il y a quelques mois.
— Merci, Julián, murmura-t-elle. Ça me touche.
Dans le silence gênant qui suivit, elle trouva le courage de poser la question qui l’avait taraudée toute la nuit :
— Julián, es-tu impliqué, d’une manière ou d’une autre, dans le meurtre d’Edmond Kirsch ?
Le prince resta silencieux un long moment. Quand il répondit enfin, sa voix tremblait :
— C’est vrai que je vivais mal de te voir passer autant de temps avec Kirsch. Et je n’aimais pas l’idée que tu reçoives ce trublion au Guggenheim. Honnêtement, j’aurais préféré que tu ne le rencontres jamais. (Il marqua une pause.) Mais je n’ai rien à voir avec sa mort. Je te le jure. J’ai été horrifié de voir cet homme assassiné en public… à quelques mètres de la femme que j’aime ! J’ai eu la peur de ma vie !
Ambra ressentit un immense soulagement.
— Julián, je suis navrée d’avoir eu à te le demander, mais je ne savais plus quoi penser.
Le prince lui raconta ce qu’il savait sur les rumeurs entourant le meurtre de Kirsch et lui rapporta son dernier entretien avec son père, dont l’état de santé s’était rapidement détérioré.
— Viens me rejoindre, dit-il. J’ai besoin de toi.
Il y avait tant de tendresse dans sa voix…
— Une dernière chose, reprit-il d’un ton plus léger. Je viens d’avoir une idée, une idée un peu folle, et je voudrais avoir ton avis… Et si on annulait nos fiançailles ? Si on recommençait tout à zéro ?
Cette proposition lui fit un choc. Elle mesurait les retombées politiques d’une telle décision pour le prince, pour le Palais.
— Tu… tu ferais ça ?
Julián éclata de rire.
— Mon amour, pour avoir une chance de te redemander en mariage un jour, en privé… je suis prêt à tout !
101.
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FLASH SPÉCIAL–L’AFFAIRE KIRSCH EN BREF
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L’Église palmarienne a vigoureusement démenti avoir un lien avec l’homme surnommé « le Régent ». Même si l’enquête leur donne raison, les experts en religion pensent que le scandale de cette nuit sonne le glas de cette congrégation schismatique qu’Edmond Kirsch a toujours tenue pour responsable de la mort de sa mère.
De plus, les palmariens étant maintenant sous les feux des projecteurs, des journalistes ont retrouvé une interview donnée par l’ancien pape Grégoire XVIII (alias Sergio María Jesús Hernández) en avril 2016, où le pontife déclare que son Église « est une pure escroquerie » et qu’elle a été fondée à des fins d’« évasion fiscale ».