À l’est de Dubaï, dans le désert sous le clair de lune, un buggy fit un brusque écart et s’arrêta en soulevant une gerbe de sable.
Derrière le volant, le jeune homme retira ses lunettes et regarda la forme noire qu’il venait d’éviter. Guère rassuré, il descendit de son engin et s’approcha.
Il s’agissait d’un corps humain ! Immobile. Le visage enfoui dans le sol.
— Marhaba ?
Pas de réponse.
Le jeune conducteur reconnut la chéchia traditionnelle et la djellaba — l’homme avait l’air robuste et bien nourri. Le vent avait effacé depuis longtemps ses empreintes. Tout comme les traces du véhicule qui l’avait sans doute emmené aussi loin dans le désert.
— Marhaba ? répéta le garçon.
Toujours aucune réponse à son salut.
Ne sachant que faire, l’adolescent toucha le corps de la pointe du pied. Malgré le ventre rebondi, la chair était toute dure, desséchée par le soleil.
L’homme était bel et bien mort.
Le garçon se baissa, attrapa le cadavre par l’épaule et le retourna. Il avait les yeux grands ouverts, sans vie. La barbe et les joues étaient maculées de sable, pourtant ce visage lui était familier.
Un vrombissement de quads et de buggies s’éleva dans la nuit. Le reste de la troupe avait fait demi-tour pour s’assurer que tout allait bien. Ses amis apparurent au sommet de la dune qu’ils dévalèrent bruyamment.
Tout le monde se gara, retira casques et lunettes et se rassembla autour de la découverte macabre. L’un des garçons reconnut le célèbre ouléma Syed al-Fadl. Il avait assisté à quelques-unes de ses conférences à l’université.
— Matha Alayna ‘an naf’al ? demanda-t-il. Qu’est-ce qu’on fait ?
Les jeunes hésitèrent un moment. Puis ils firent ce que font tous les ados de la terre : ils sortirent leurs téléphones et prirent des photos.
14.
La foule se pressait devant l’estrade. Langdon surveillait le compteur qui s’affolait.
Le brouhaha était assourdissant. Tout le monde trépignait d’impatience, passant un dernier appel, un dernier tweet pour informer son réseau.
Un technicien vint au pupitre et brancha le microphone.
— Mesdames et messieurs, nous vous demandons d’éteindre vos portables et tablettes. Nous allons bloquer toutes les communications wifi et cellulaires pendant la durée de la présentation.
Ceux qui avaient encore leur smartphone à l’oreille virent leur conversation brusquement interrompue. Ils regardèrent leur écran avec stupéfaction. Encore une prouesse technologique du grand Edmond Kirsch.
À peine cinq cents dollars dans n’importe quel magasin d’électronique ! songea Langdon.
Comme beaucoup de ses collègues, lui aussi utilisait un brouilleur pendant ses cours pour que ses étudiants lâchent leur téléphone.
Un autre technicien s’installa, avec une grosse caméra sur l’épaule, qu’il braqua vers l’estrade. Les lumières diminuèrent.
Sur l’écran géant, on pouvait lire :
Le nombre d’internautes grimpait plus vite que la dette nationale. Près de trois millions de spectateurs en ligne simultanément, assis tranquillement devant leur ordinateur pour assister à cette conférence ?
— Trente secondes, annonça-t-on.
Une petite porte s’ouvrit dans le mur du fond. Tout le monde se tut. L’entrée en scène du grand gourou !
Mais point d’Edmond.
La porte resta ouverte un moment.
Puis une femme élégante apparut. Elle était d’une beauté saisissante — grande et mince, avec de longs cheveux bruns — et portait une robe blanche ajustée, barrée d’une écharpe noire. Elle semblait à peine toucher le sol quand elle s’avança sur la scène. Elle régla le micro, prit une longue inspiration, et contempla la foule avec un sourire tranquille en attendant la fin du compte à rebours.
La jeune femme ferma les yeux un moment pour se concentrer, puis les rouvrit. Une icône pleine de grâce.
Le cameraman leva la main et, les cinq doigts tendus, commença le décompte.
Quatre, trois, deux…
Le silence tomba dans la salle. À l’écran, les compteurs disparurent au profit du visage de la jeune femme. Elle parcourut l’assistance de ses yeux sombres, et repoussa d’un geste délicat une mèche rebelle.
— Bonsoir, tout le monde, dit-elle d’une voix mélodieuse avec une pointe d’accent espagnol. Je suis Ambra Vidal.
Une salve d’applaudissements retentit, accompagnée de vivats. Visiblement, elle n’était pas une inconnue.
— ¡ Felicidades, Ambra ! cria quelqu’un.
La femme rougit. Langdon était un peu perdu. À l’évidence, il lui manquait des infos…
— Comme vous le savez, reprit-elle, je suis depuis cinq ans la directrice du musée Guggenheim de Bilbao et suis très heureuse de vous accueillir ce soir pour cet événement exceptionnel organisé par un homme tout aussi exceptionnel.
Tout le monde applaudit de nouveau. Cette fois, Langdon se joignit aux autres.
— Edmond Kirsch est non seulement un généreux donateur du musée, mais il est devenu un ami très cher. C’est un privilège et un honneur pour moi d’avoir pu travailler avec lui ces derniers mois pour que cette soirée puisse voir le jour. La blogosphère et les réseaux sociaux ne parlent que de cela, ce soir ! Edmond Kirsch s’apprête à présenter une grande découverte scientifique, une révélation dont le monde se souviendra longtemps et qui le transformera à jamais.
Une rumeur d’excitation résonna dans la salle.
La femme esquissa un sourire malicieux.
— Évidemment, j’ai supplié Edmond de me dire de quoi il s’agissait, mais il n’a rien voulu lâcher.
Des rires fusèrent.
— Cette présentation sera faite en anglais, la langue natale d’Edmond Kirsch, mais pour nos spectateurs en ligne une traduction en temps réel dans vingt langues est disponible.
Il y eut un fondu à l’image.
— Pour ceux qui douteraient encore de l’assurance d’Edmond concernant la validité de ses travaux, voici, à l’écran, le communiqué de presse qui vient d’être publié sur tous les médias du monde il y a un quart d’heure :
Ce soir à 20 heures, en direct de Bilbao,
le futurologue Edmond Kirsch va annoncer une découverte
qui va changer la face du monde.
Voilà comment on s’assure trois millions de connexions simultanées ! pensa Langdon.
Alors qu’il reportait son attention sur la scène, il repéra deux gardes en faction de part et d’autre de l’estrade qui scrutaient la foule. Il les avait déjà vus un peu plus tôt. Mais cette fois, il remarqua le monogramme qui ornait leurs vestes. GR.
La Guardia Real ? Qu’est-ce qu’elle fait là ?
Aucun membre de la famille royale n’était présent. En catholiques traditionalistes, ils ne risquaient pas d’assister à la conférence d’un athée impénitent comme Edmond Kirsch.