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Guère rassuré, Kirsch franchit le seuil.

Il se retrouva dans une pièce rectangulaire. Les hauts murs étaient couverts de vieux livres. Entre les rayonnages qui saillaient des parois comme autant de côtes fabuleuses, d’antiques radiateurs de fonte grognaient, vibraient. Il lui semblait être dans le ventre d’un monstre marin. En découvrant la balustrade ouvragée qui faisait le tour de la pièce au-dessus de lui, Kirsch comprit où il se trouvait.

La bibliothèque ! On disait que cette pièce abritait des textes rares uniquement accessibles aux moines qui avaient consacré leur vie à Dieu et choisi de demeurer prisonniers de cette montagne.

— Vous avez requis la discrétion. C’est notre lieu le plus retiré. Très peu d’étrangers y pénètrent.

— C’est donc un immense privilège. J’en suis honoré.

Kirsch emboîta le pas à l’archevêque jusqu’à une grande table où deux hommes âgés l’attendaient. Avec ses yeux tombants, sa barbe blanche hirsute, celui de gauche semblait davantage usé par le temps. Il portait un costume noir, une chemise blanche et sur la tête un chapeau également noir.

— Voici le rabbin Yehouda Köves. Un grand philosophe juif qui a beaucoup écrit sur la cosmologie de la Kabbale.

Kirsch se pencha au-dessus de la table pour lui serrer la main.

— C’est un plaisir de vous rencontrer. J’ai lu vos études. Je ne peux pas dire que je les ai toutes comprises, mais je les ai lues.

Köves eut un petit signe de tête amical et épongea avec son mouchoir ses yeux chassieux.

L’archevêque continua les présentations :

— Et ici, nous avons l’honorable ouléma Syed al-Fadl.

Le dignitaire musulman se leva avec un large sourire. Petit, avec un visage rond et jovial qui contrastait avec son regard pénétrant, il était vêtu d’une simple djellaba blanche.

— Quant à moi, monsieur Kirsch, j’ai lu vos prédictions sur l’avenir de l’humanité. Je ne peux pas dire que je les ai toutes appréciées, mais je les ai lues.

Kirsch lui retourna un sourire aimable et lui serra la main.

— Chers amis, comme vous le savez, notre invité est un scientifique de renom, spécialiste en informatique, en théorie des jeux, inventeur, et visionnaire dans son domaine, un gourou des nouvelles technologies. Connaissant son parcours, je suis surpris qu’il nous ait demandé audience. Je vais donc lui laisser le soin de nous expliquer lui-même l’objet de sa visite.

Valdespino s’assit entre ses deux confrères, croisa les bras et regarda Kirsch. Les trois hommes lui faisaient face. Cela ressemblait davantage à un tribunal de l’Inquisition qu’à une rencontre amicale entre érudits. Il n’y avait même pas de chaise pour lui !

Face à ces trois religieux, Kirsch était plus amusé qu’intimidé.

Voilà donc la sainte Trinité que j’ai demandée. Mes trois rois mages !

Il resta volontairement silencieux, se dirigea vers une fenêtre et admira le panorama. Des prés couvraient les flancs de la vallée, barrés par le massif de la Collserola. À des kilomètres à l’est, sur la mer des Baléares, de gros nuages noirs s’amoncelaient.

C’est de circonstance ! songea Kirsch, sachant le choc qu’allaient causer ses révélations, dans cette pièce, comme sur toute la planète.

— Messieurs, commença-t-il en pivotant vers eux, je pense que l’archevêque Valdespino vous a précisé que cette réunion se tient sous le sceau du secret. Avant de poursuivre, je tiens à insister sur ce point. Ce que je vais vous révéler ici est strictement confidentiel. Votre discrétion est cruciale, j’attends de vous un serment solennel. Ai-je votre parole ?

Les trois vieillards hochèrent la tête. Leur silence, Kirsch l’avait déjà de toute façon !

Ils voudront enterrer l’information. En aucun cas la diffuser ! pensa-t-il.

— Je suis ici parce que ma dernière découverte scientifique va vous paraître surprenante. Il s’agit d’un travail que je mène depuis plusieurs années dans l’espoir de répondre aux deux questions les plus fondamentales que se pose l’humanité. Aujourd’hui, c’est chose faite. Et je viens à vous parce que je crois que cette information va profondément affecter les religions du monde et provoquer rien moins qu’un… cataclysme. Pour l’heure, je suis la seule personne sur terre à connaître l’information que je m’apprête à vous dévoiler.

Kirsch plongea la main dans la poche de sa veste et en sortit un grand smartphone — un modèle qu’il avait conçu personnellement, avec une coque ornée d’une mosaïque chatoyante. Kirsch installa l’appareil devant les trois hommes, à la manière d’une télévision. Dans un moment, il se connecterait à son serveur sécurisé, entrerait son mot de passe à quarante-sept caractères, et la vidéo de présentation commencerait.

— Ce que vous allez voir, continua Kirsch, est la synthèse d’une conférence que je compte partager avec le monde entier, dans un mois ou deux. Mais, avant de la diffuser, je veux consulter les plus grandes sommités religieuses de la planète, pour mesurer l’effet qu’aura cette nouvelle sur tous les croyants du monde.

L’archevêque soupira avec lassitude.

— Voilà un préambule bien mystérieux. Les fondations de toutes les religions seraient ébranlées… C’est ça que vous laissez entendre ?

Kirsch admira en silence ce sanctuaire qui renfermait tant de textes sacrés.

Non. Pas ébranlées. Mises en charpie !

Ces trois vénérables vieillards ignoraient que, dans trois jours — trois jours seulement —, lors d’un grand show, Kirsch révélerait sa découverte au monde. Et alors l’humanité tout entière saurait que les religions avaient toutes un point commun. Essentiel.

Elles avaient tort.

1.

Langdon contemplait le chien assis sur l’esplanade. Un animal haut d’une dizaine de mètres recouvert d’un patchwork d’herbes et de fleurs.

J’essaie de t’aimer. Vraiment, j’essaie.

Langdon s’attarda un moment encore devant la créature, puis reprit son chemin sur la passerelle, suivant une enfilade de marches dont l’irrégularité visait à maintenir le visiteur en éveil, à rompre la monotonie de ses habitudes.

Mission accomplie ! pesta intérieurement Langdon en manquant à deux reprises de trébucher.

Au bas de l’escalier, Langdon s’immobilisa, stupéfait.

De mieux en mieux…

Une grande araignée noire se dressait devant lui, ses longues pattes filiformes supportant son corps à plusieurs mètres au-dessus du sol. Sous l’abdomen, une sorte de filet métallique était rempli de globes de verre.

— Je vous présente Maman, dit une voix.

Devant Langdon, se tenait un homme longiligne. Il portait un sherwani de brocart noir et des moustaches à la Dalí.

— Je m’appelle Fernando. Je suis ici pour vous souhaiter la bienvenue à cette soirée au musée.

L’homme farfouilla dans une boîte pleine de badges posée devant lui.

— Je peux avoir votre nom ?

— Bien sûr. Robert Langdon.

L’homme tressaillit.

— Oh, je suis confus, professeur ! Je ne vous ai pas reconnu !

Je ne me serais pas reconnu moi-même ! songea Langdon, se sentant tout engoncé dans son vieux smoking. Je ressemble à un chanteur des Whiffenpoofs. Sa tenue avait près de trente ans — la veste queue-de-pie, le nœud papillon et le gilet de soie — et datait de l’époque où il était membre du Ivy Club de Princeton. Mais grâce à ses séances drastiques de natation, elle lui allait encore parfaitement. Dans sa hâte, il avait pris la mauvaise housse au moment de faire ses valises et laissé dans l’armoire son smoking moderne.