L’air se réchauffa et dans le paysage désolé surgit une montagne qui s’élevait de plus en plus haut, son sommet crachant de la lave, de la fumée et des gerbes de feu.
— Pour les Romains, les volcans étaient la demeure de Vulcain qui œuvrait à son immense forge souterraine.
Une odeur de soufre flotta dans la salle. C’était très ingénieux. Edmond avait mis au point un spectacle multisensoriel.
Le grondement du volcan cessa brusquement. Les grillons reprirent leur chant, la brise légère revint caresser les herbes et les invités.
— Les anciens ont inventé des dieux innombrables pour expliquer non seulement les mystères de leur planète, mais aussi ceux de leur propre corps.
Les constellations réapparurent sur la voûte, reliées par des lignes qui mettaient en évidence les divinités avec lesquelles elles étaient rattachées.
— La stérilité était causée par la colère de Junon, l’amour par l’intercession d’Éros. Quant aux épidémies, elles étaient la punition d’un Apollon mécontent.
De nouvelles constellations s’illuminaient, de nouveaux dieux.
— Si vous avez lu mes livres, continuait Langdon, vous m’avez souvent entendu parler de « dieu bouche-trou ». Chaque fois que nos ancêtres ne comprenaient pas quelque chose, ils faisaient intervenir une divinité.
Le ciel afficha une collection de tableaux et de statues antiques.
— Des dieux innombrables pour combler les trous. Mais au fil des siècles, la connaissance s’est étendue. Chaque fois qu’un mystère était levé, le panthéon se réduisait un peu plus. Par exemple, lorsqu’on a compris que les marées étaient dues à la lune, Poséidon n’avait plus d’utilité.
Au plafond, l’image du dieu des mers se volatilisa dans un nuage de fumée.
— Comme vous le savez, le même sort a frappé toutes les divinités — elles ont péri une à une, ne survivant pas à l’essor du savoir.
Les unes après les autres, les figures de la mythologie disparaissaient dans le ciel — le dieu du tonnerre, des séismes, des épidémies… Une hécatombe.
— Mais ne vous y trompez pas. Ces dieux ne sont pas entrés « docilement dans cette douce nuit ». C’est un grand combat pour une société que d’abandonner ses divinités. Nos croyances sont profondément ancrées en chacun de nous. Elles nous ont été inculquées dès notre plus jeune âge par ceux qui nous sont les plus chers — nos parents, nos professeurs, nos guides spirituels. C’est pourquoi il faut plusieurs générations pour qu’un bouleversement des consciences soit effectif, et cela génère toujours de l’effroi, et bien souvent des bains de sang.
Un fracas de bataille accompagnait la disparition des dieux dans le ciel. En définitive, il n’en resta plus qu’un seul — un personnage erratique avec une barbe blanche.
— Zeus ! s’exclama Langdon. Le dieu de tous les dieux. Le plus craint, le plus vénéré ! Zeus, la plus puissante des divinités, a résisté à sa propre extinction, hurlant et hurlant encore à l’agonie de cette lumière. Redoutant de connaître le même sort qu’il avait lui-même imposé à ces prédécesseurs, il a livré un grand combat contre son éradication.
Au plafond, des images se succédaient : Stonehenge, des tablettes sumériennes, les grandes pyramides d’Égypte. Puis le buste de Zeus réapparut.
— Les fidèles de Zeus luttèrent avec un tel acharnement pour que leur dieu ne meure pas que la nouvelle chrétienté n’eut d’autre choix que de prendre le visage de Zeus pour sa propre divinité.
Le visage du Zeus barbu se fondit dans une fresque bien connue : La Création d’Adam de Michel-Ange sur le plafond de la chapelle Sixtine.
— Aujourd’hui, nous ne croyons plus à ces histoires de la mythologie — Zeus allaité par une chèvre et aidé par des cyclopes. Pour nous, ce ne sont plus que des reliques touchantes de temps superstitieux.
La voûte affichait l’image d’une bibliothèque poussiéreuse et plongée dans la pénombre, renfermant des ouvrages sur les dieux de l’Antiquité et d’autres cultes oubliés — Baal, Ishtar, Osiris…
— Les choses sont bien différentes, aujourd’hui ! Nous sommes dans l’ère moderne.
Dans le ciel apparurent de nouvelles images : des photos de l’espace, des microprocesseurs, des laboratoires, des avions à réaction…
— Nous sommes intellectuellement évolués, nous avons la science et la technologie. Nous ne croyons plus que des forgerons géants sont cachés dans les volcans, ni que les dieux contrôlent les marées et le passage des saisons. Nous sommes bien différents de nos lointains ancêtres, c’est sûr.
Le Langdon allongé dans l’herbe articula en même temps que son double dans le ciel :
— Ah oui ? Vraiment ?…
Puis le Langdon virtuel poursuivit :
— Nous nous considérons comme des êtres modernes et rationnels. Pourtant, nos religions actuelles revendiquent toutes sortes de miracles et de phénomènes surnaturels : des hommes revenant du pays des morts, des vierges enceintes, des dieux en colère répandant des maladies ou provoquant des déluges, la promesse d’une vie après la mort — soit dans la douceur du ciel, soit dans la morsure des flammes.
Tandis que Langdon parlait, au plafond défilaient les images chrétiennes de la résurrection, de l’Immaculée Conception, de l’arche de Noé, du passage de la mer Rouge, du Paradis et de l’Enfer.
— Imaginez la réaction d’historiens et d’anthropologues du futur. Vous ne croyez pas qu’ils se diront que toutes ces croyances religieuses ne sont que des mythes, des récits appartenant à des temps obscurs ? N’auront-ils pas sur nos dieux le même regard que celui que nous avons aujourd’hui sur Zeus ? Nos Évangiles, nos textes sacrés n’iront-ils pas rejoindre les autres cultes sur les rayonnages obscurs de l’Histoire ?
Ces derniers mots planèrent dans l’air. Il y eut un long silence.
Puis, soudain, la voix d’Edmond Kirsch retentit de nouveau :
— Oui, professeur Langdon ! C’est exactement ce qui va se passer ! Les générations futures se demanderont comment une société technologiquement aussi avancée a pu continuer à croire aux mythes de nos religions actuelles.
Dans le ciel, se succédaient en staccato des figures emblématiques : Adam et Ève, une femme en burka, un hindou marchant sur des braises.
— Si ces prochaines générations s’intéressent à nos traditions, reprit Kirsch en baissant le ton, elles seront persuadées que nous étions en pleine ignorance. Elles se moqueront bien de nous et de nos croyances : notre naissance dans un jardin magique, notre créateur exigeant que les femmes soient voilées, la nécessité de brûler son corps pour honorer les dieux.
D’autres images rituelles apparurent, provenant des quatre coins de la planète : exorcismes, baptêmes, flagellations, supplices corporels, sacrifices d’animaux. La série se termina par une vidéo dérangeante. Un hindou secouant un bébé en haut d’une tour avant de le lâcher dans le vide, sur une hauteur de quinze mètres, jusqu’à ce qu’il atterrisse dans une couverture tendue par des villageois en liesse.
Langdon se souvenait de cette pratique en Inde. Les parents espéraient ainsi attirer la faveur des dieux pour leur enfant.
La voix de Kirsch résonna une nouvelle fois dans les ténèbres :
— Comment un esprit moderne, doué d’une telle intelligence analytique, peut-il accepter des croyances religieuses qui ne résisteraient pas au premier examen ?
Au plafond, les étoiles se rallumèrent.
— En fait, la réponse est très simple.
Les constellations se mirent à briller plus fort. Des lignes lumineuses jaillirent, les reliant pour former un réseau scintillant.