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Des neurones…, comprit Langdon.

— C’est à cause de la structure même de notre cerveau.

Au-dessus de leurs têtes, des jonctions palpitèrent, envoyant des impulsions électriques dans la myriade de fibres.

— Comme un ordinateur organique, continua Edmond Kirsch, notre cerveau a un système d’exploitation : une série de règles qui organisent et gèrent le flux chaotique d’informations au fil de la journée — des mots, une chanson connue, le bruit d’une sirène, le goût du chocolat. Comme vous l’imaginez, ce flux est frénétique et ininterrompu, et notre cerveau doit tirer du sens de tout cela. C’est précisément la programmation de notre système interne d’exploitation qui définit notre perception de la réalité. Malheureusement, celui qui a écrit le programme avait un sens tordu de l’humour. En d’autres termes, ce n’est pas de notre fait si nous croyons à ces sornettes.

Les synapses dans le ciel se réorganisèrent pour former des images familières : des cartes du tarot, Jésus marchant sur l’eau, L. Ron Hubbard et son Église de scientologie, Osiris le dieu égyptien, Ganesh, l’éléphant à quatre bras des hindous, une statue de la Vierge Marie versant de véritables larmes.

— En tant que programmeur moi-même, je m’interroge : quelles lignes de commande dans notre OS peuvent-elles être à l’origine d’un tel illogisme ? Si on pouvait y regarder de plus près, on trouverait sans doute quelque chose comme ça.

Deux instructions s’affichèrent dans le ciel :

CHASSER LE CHAOS
CRÉER DE L’ORDRE

— C’est notre programme central. Et c’est exactement ce que font les humains. Ils luttent contre le chaos. Et favorisent toujours l’ordre.

Une cacophonie de notes discordantes emplit soudain la salle, comme si un enfant malmenait les touches d’un piano. Langdon, ainsi que le reste de l’assistance, se raidit.

— C’est insupportable, n’est-ce pas ! lança la voix de Kirsch. Et pourtant si nous arrangeons ces mêmes notes dans un certain « ordre »…

L’aléatoire céda peu à peu le pas à une mélodie apaisante : le Clair de Lune de Debussy.

La tension dans la salle disparut dans l’instant.

— Notre cerveau apprécie. Mêmes notes. Même instrument. Mais Debussy a créé de l’ordre. Et c’est cette inclination pour l’ordre qui incite les hommes à terminer des puzzles ou à mettre d’équerre des tableaux sur un mur. Notre propension à l’organisation est inscrite dans nos gènes. Et il n’est pas surprenant que la plus grande invention humaine soit une machine qui arrange le chaos. L’ordinateur, « celui qui crée de l’ordre ».

L’image d’un supercalculateur apparut, avec un jeune homme assis derrière le terminal.

— Imaginez que vous ayez à votre disposition une machine ayant compilé toutes les connaissances du monde et que l’on vous autorise à lui poser les questions que vous voulez. Il y a fort à parier qu’il y aura dans le lot l’une des deux questions qui hantent l’humain depuis qu’il a acquis une conscience.

L’opérateur tapa au clavier et le texte s’inscrivit dans le ciel :

D’où venons-nous ?
Où allons-nous ?

— En d’autres termes, reprit Edmond, vous voudrez connaître nos origines et notre avenir. Mais quand vous posez cette question à un ordinateur, voilà ce qu’il répond :

Données Insuffisantes. Aucune Réponse Possible.

— Ça ne nous avance guère. Mais cela a le mérite d’être honnête.

Au plafond, l’image d’un cerveau remplaça la machine.

— Mais que se passe-t-il si l’on pose la question « d’où venons-nous » à un ordinateur biologique ? La réponse n’est pas du tout la même.

Du cerveau jaillit un flot de représentations religieuses : Dieu insufflant la vie dans Adam, Prométhée fabriquant avec de la boue le premier cerveau humain, Brahma créant des hommes à partir de morceaux de son propre corps, un dieu africain traversant les nuages pour déposer deux humains sur terre, un autre, nordique celui-là, façonnant un homme et une femme dans du bois flotté.

— Et si on lui demande : « Où allons-nous ? »

De nouvelles images s’échappèrent du cerveau : des cieux d’une blancheur immaculée, des brasiers ardents, des hiéroglyphes du Livre des morts des anciens Égyptiens, des pierres pour faciliter le voyage astral, la vision des Champs Élysées dans la Grèce antique, le Guilgoul haNeshamot des kabbalistes, le septénaire de la Société théosophique.

— Pour l’esprit humain, n’importe quelle réponse vaut mieux qu’aucune. On n’aime pas lire : « Données insuffisantes. » Notre cerveau en invente donc, dans le but de nous donner une illusion d’ordre. Autrement dit, il nous bricole une myriade de mythes, de cultes et de divinités pour nous rassurer, nous laisser croire qu’il y a un ordre et une structure qui nous demeurent invisibles.

Les images religieuses défilaient et le ton de Kirsch monta :

— D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Ces questions fondamentales sont mon obsession depuis toujours. Pendant des années, j’ai rêvé de trouver la réponse. (Kirsch marqua une pause avant de reprendre, plus grave :) Malheureusement, à cause des dogmes religieux, des millions de personnes pensent connaître la réponse à ces deux questions. Et parce que chaque religion donne des réponses différentes, les gens se font la guerre pour décider qui détient les bonnes, quelle version de Dieu est la Seule et l’Unique.

Il y eut dans le ciel des explosions, de la mitraille, un diaporama décrivant les guerres de religion avec leur cohorte de réfugiés, de familles déplacées, de morts.

— Depuis le début de l’histoire humaine, notre espèce est prise sous ce feu croisé — athées, chrétiens, musulmans, juifs, hindouistes et autres cultes — et la seule chose qui nous unit, que nous partageons tous, c’est notre désir de paix.

Les images de guerre s’évanouirent et le ciel étoilé, immense et silencieux, revint.

— Imaginez ce qui se passerait si nous avions enfin la réponse à ces questions… Si, enfin, nous avions tous la même preuve — irréfutable — et que nous n’avions d’autre choix que de l’accepter… Tous réunis en une seule espèce. Une seule et unique.

Un prêtre apparut dans le ciel, les yeux clos, en prière.

— Les questions spirituelles ont toujours été la chasse gardée des religions qui nous demandent de croire aveuglément en leur vérité, même quand elles n’ont aucun sens.

Des fidèles traversèrent la voûte, les yeux clos eux aussi, chantant, dansant, se signant, s’agenouillant…

— La foi… dans son essence même, c’est s’en remettre à l’inconnu, à l’indéfinissable, c’est accepter de croire en quelque chose sans avoir la moindre preuve, même empirique, de sa réalité. Et bien sûr, avec le temps, nous finissons par croire avec ferveur et sincérité en toutes sortes de choses parce qu’il n’y a pas, dans le domaine de la foi, de vérité universelle. (Kirsch fit une nouvelle pause avant de continuer :) En revanche…

Au plafond, il n’y avait plus qu’une seule image : une chercheuse l’œil rivé à un microscope.

— … la science est l’antithèse de la foi. La science, par définition, cherche à apporter une explication vérifiable à ce qui est inconnu et encore indéfinissable. Elle rejette les superstitions, les illusions au profit de faits quantifiables. Lorsque la science apporte une réponse, elle est de facto une vérité universelle. Et jamais les hommes ne se font la guerre en son nom. Au contraire, la science rassemble.