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Visiblement, il cherchait la controverse.

Langdon était troublé par son apparition au programme. Bien sûr cette vidéo était un hommage. Mais, par le passé, Langdon s’était déjà attiré involontairement les foudres du Vatican et il ne tenait pas à renouveler l’expérience.

Il s’agissait néanmoins d’une attaque au vitriol et Langdon repensa au message de l’archevêque Valdespino. Aucun danger ? Vraiment ?

La voix d’Edmond tonnait sous le dôme. Sur la voûte défilait une collection de signes religieux.

— Je dois reconnaître, disait-il, que j’ai longtemps hésité à faire cette communication. En particulier parce qu’elle pouvait heurter les sensibilités. (Il fit une pause.) Alors, il y a trois jours, j’ai fait quelque chose qui ne me ressemble pas. Par égard pour les diverses religions, et pour mesurer la réaction des croyants à l’annonce de ma découverte, je suis allé rendre visite en secret à trois grands érudits du monde religieux — un représentant de l’islam, un de l’Église catholique et un dernier du judaïsme — et je leur ai révélé le résultat de mes travaux.

Des murmures étonnés parcoururent la salle.

— Comme je m’y attendais, il y a eu chez ces hommes de la surprise, de l’inquiétude, et aussi de la colère. Même si leur réaction a été négative, je veux les remercier de m’avoir rencontré. Par égard pour eux, je ne révélerai pas leurs noms, mais je veux leur dire ce soir que je les remercie de n’avoir pas tenté de saborder cette représentation. (Nouveau silence.) Et Dieu sait qu’ils en avaient les moyens !

Adroitement, Kirsch couvrait ses arrières. Langdon fut impressionné par la manœuvre. Cette rencontre avec des responsables religieux ne traduisait pas une volonté de transparence et d’équité envers les diverses confessions du monde. Ce mini-sommet à Montserrat était en fait une opération de communication.

Une façon de s’offrir, à moindres frais, un certificat de bonne conduite.

— Historiquement, la ferveur religieuse a toujours étouffé le progrès scientifique. Ce soir, j’exhorte les guides spirituels du monde entier à réagir avec mesure, à tenter de comprendre dans leur cœur la portée de ce que je vais annoncer. Je vous en conjure, ne répétons pas les erreurs du passé. Pas de violence ni de bain de sang !

Sur le dôme apparut une ville ancienne, une métropole fortifiée sur les berges d’un fleuve traversant le désert.

Bagdad ! Elle était facilement reconnaissable avec ses trois murs d’enceintes circulaires.

— Au VIIIe siècle, Bagdad était un haut lieu de la culture. On enseignait dans ses universités toutes les religions, toutes les philosophies, toutes les sciences. Pendant cinq cents ans, cette cité a été, comme nulle autre pareille, le berceau d’extraordinaires découvertes scientifiques. Et dont l’influence perdure encore aujourd’hui.

Au-dessus de la tête du public les étoiles réapparurent, cette fois nombre d’entre elles étaient identifiées : Véga, Bételgeuse, Rigel, Algebar, Deneb, Acrab, Kitalpha.

— Ce sont des mots d’origine arabe. À ce jour, plus des deux tiers des étoiles portent des noms issus de cette langue.

Les inscriptions s’évanouirent dans le ciel.

— Et bien sûr, si nous voulons compter ces astres…

Une numérotation apparut :

I, II, III, IV, V…

Et s’interrompit aussitôt.

— Nous ne nous servons pas des chiffres romains. Mais des chiffres arabes.

La numérotation reprit du début :

1, 2, 3, 4, 5…

— Les inventions de l’islam sont encore si nombreuses ! Et elles ont gardé, aujourd’hui encore, leurs noms arabes.

Le mot ALGÈBRE traversa le dôme, traînant derrière lui une série d’équations. Puis le mot ALGORITHME, accompagné d’une suite tout aussi prodigieuse de formules. Puis AZIMUT, le système de relevé des directions des objets sur un plan horizontal. Et la cohorte s’accéléra : NADIR, ZÉNITH, ALCHIMIE, CHIMIE, CHIFFRE, ÉLIXIR, ALCOOL, ALCALIN, ZÉRO…

En regardant ces noms arabes se succéder dans le ciel, Langdon eut un pincement au cœur. Pour tous ses concitoyens, Bagdad n’était plus qu’un amas de gravats au Moyen-Orient, une ville ravagée par la guerre. Peu d’entre eux soupçonnaient que la cité avait été un temple du savoir.

À la fin du XIe siècle, les plus grandes découvertes et inventions se faisaient à Bagdad. Mais tout avait brusquement changé quand Hamid al-Ghazali, un théologien considéré aujourd’hui comme l’une des plus importantes figures du monde arabe, avait écrit une série de textes remettant en cause les idées de Platon et d’Aristote. En affirmant que les mathématiques étaient « la philosophie du diable », ces textes signèrent la fin de la pensée rationnelle en Islam. L’étude de la théologie fut déclarée obligatoire. Et c’en fut fini du progrès.

Les termes scientifiques disparurent dans le ciel, chassés par des textes religieux.

— La révélation a remplacé la réflexion. Et à ce jour, le monde islamique ne s’en est toujours pas remis. Du reste, les savants dans le monde chrétien n’ont pas été mieux lotis.

Les portraits de Copernic, Galilée, Bruno, passèrent au-dessus de Langdon.

— L’Église, qui a fait emprisonner, exécuter, ou assassiner nombre d’éminents savants, a ralenti d’au moins un siècle la marche du progrès. Heureusement, aujourd’hui, les bienfaits de la science sont reconnus de tous, et l’Église a tempéré ses attaques. (Edmond soupira.) Enfin, il faut le dire vite…

Un emblème apparut sur le dôme, un globe terrestre, traversé d’une croix et du caducée des médecins, avec le texte :

Congrès pour la science et la vie. Madrid.

— Ici même. En Espagne, la Fédération internationale des associations de médecins catholiques a déclaré la guerre à la recherche génétique, déclarant textuellement que « la science manque d’âme » et qu’elle doit être placée sous la tutelle de l’Église.

Le globe terrestre se transforma en une série de cercles concentriques : un plan simplifié d’un accélérateur de particules.

— Et voici le projet Desertron, le plus grand collisionneur de hadrons du monde. Avec cette machine, on allait pouvoir explorer les premiers instants de la Création. Ironie du sort, l’installation devait se trouver au Texas, au cœur de la Bible Belt, les terres les plus puritaines du pays.

Le plan devint une image d’un grand chantier dans le désert texan. L’accélérateur, à moitié construit, était envahi par la poussière, abandonné.

— Le grand collisionneur américain pouvait aider l’humanité à comprendre l’univers, mais le projet, jugé trop cher, a été annulé suite à un lobbying inattendu.

Une vidéo fut diffusée : un jeune télévangéliste agitant le livre du Prix Nobel Leon Lederman, The God Particle — la Particule de Dieu —, surnom donné au boson de Higgs que personne n’avait encore trouvé. Rouge de colère, le prêcheur haranguait ses ouailles : « C’est dans nos cœurs que nous devons chercher Dieu ! Pas dans celui des atomes ! Dépenser des milliards pour cette machine absurde, c’est une honte pour le Texas, et un affront à notre Seigneur ! »

La voix de Kirsch revint :

— Ces conflits ne sont que des escarmouches d’une guerre menée à l’échelle planétaire.