Au plafond, défila alors un patchwork de photos choc : des manifestations devant des laboratoires de recherches, un prêtre s’immolant par le feu devant une conférence transhumaniste, des évangélistes brandissant le livre de la Genèse, le poisson « Jésus » dévorant le poisson de Darwin, des affiches haineuses condamnant la recherche sur les cellules souches, les droits des homosexuels, l’avortement, et d’autres affiches, non moins venimeuses, en réponse.
Langdon sentit une curieuse trépidation dans son corps, comme si un métro passait au loin sous terre. Mais les vibrations continuaient d’augmenter. Sous lui, le sol tremblait réellement ! Des ondes profondes, puissantes qui gagnaient tout le dôme. Un grondement irrépressible. On aurait dit une cataracte.
Langdon comprit que le son provenait de haut-parleurs cachés sous le gazon. Des embruns froids et invisibles vinrent éclabousser son visage et l’herbe tout autour. Comme s’il se trouvait au milieu d’une rivière en furie !
— Vous entendez ce bruit ? criait Kirsch. C’est le fleuve de la connaissance, son flot inexorable !
L’eau ruisselait sur les joues de Langdon.
— Depuis que l’homme a découvert le feu, poursuivit Kirsch, ce fleuve ne cesse de gagner en puissance. Chaque découverte ouvre la voie à d’autres découvertes, chacune apportant sa goutte d’eau. Aujourd’hui, nous sommes à la naissance d’un tsunami, un déluge qui va tout emporter sur son passage !
Le dôme tremblait de toutes parts.
— D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Nous devrions connaître ces réponses. C’est notre destinée. Nos capacités d’investigation ont augmenté de façon exponentielle. Le temps est venu !
Maintenant, les embruns étaient emportés par des bourrasques, le vacarme était assourdissant.
— Ouvrez les yeux. Il a fallu aux premiers humains plus d’un million d’années après la découverte du feu pour inventer la roue. Puis quelques milliers d’années pour inventer l’imprimerie. Puis deux cents ans pour construire un télescope. Et puis, successivement, en un laps de temps de plus en plus court, la machine à vapeur, le moteur à explosion, la navette spatiale ! Et en seulement vingt ans, nous avons été capables de modifier notre propre ADN !
« À présent, nos progrès technologiques se mesurent en mois. En un rien de temps, nos superordinateurs d’aujourd’hui feront figure de vulgaires bouliers ! Nos techniques de chirurgie seront jugées barbares ! Et nos sources d’énergie paraîtront aussi surannées qu’une bougie !
Le fracas du fleuve grandissait encore et encore. Et la voix d’Edmond tonnait…
— Les premiers Grecs devaient remonter plusieurs siècles pour étudier les anciennes civilisations, mais nous, il nous faut sauter une seule génération pour trouver des gens qui vivaient sans la technologie que nous connaissons aujourd’hui. La chronologie de l’humanité s’accélère ; l’espace qui sépare l’ancien du moderne se réduit telle une peau de chagrin. C’est pourquoi je peux vous garantir que d’ici quelques années le développement humain aura été surprenant, incroyable, totalement inconcevable.
Brusquement, le grondement cessa. Le silence revint. Avec le ciel étoilé, la brise légère, le chant des grillons.
L’assistance poussa un soupir de soulagement.
Edmond reprit, dans un murmure cette fois :
— Mes amis, je sais que je vous ai promis une découverte, et je vous remercie d’avoir suivi ce préambule. Il est temps maintenant de nous libérer de nos chaînes, de tirer un trait sur le passé, et de connaître le grand frisson : celui d’entrer dans une nouvelle ère.
À ces mots, un brouillard nimba le dôme. Une pâle lueur éclaira le ciel, comme une aube naissante.
Le faisceau d’un projecteur traversa l’espace pour éclairer le fond de la salle. Tout le monde se redressa et tourna la tête, scrutant le brouillard dans l’espoir de voir apparaître le maître de cérémonie. Mais après quelques secondes, le faisceau repartit de l’autre côté de la salle.
Le public suivit le rayon lumineux des yeux.
Sur un podium qui n’était pas là quelques instants plus tôt, se tenait Edmond Kirsch en chair et en os, tout sourire.
— Bonsoir, mes chers amis, déclara-t-il alors que le brouillard se dissipait.
Les spectateurs se levèrent et commencèrent à l’applaudir à tout rompre. Incapable de cacher sa jubilation, Langdon se mit lui aussi debout.
Il l’a fait ! Le coup de l’apparition dans un nuage de fumée !
Pour l’instant, malgré son côté ouvertement antireligieux, la présentation de ce soir avait été un tour de force — inventive, audacieuse, comme son auteur. Pas étonnant que tant de libres-penseurs idolâtrent Edmond Kirsch.
En tout cas, il ne verse pas dans la langue de bois !
Quand le visage de Kirsch apparut à l’écran, il paraissait moins pâle — les maquilleurs avaient accompli leur petit miracle. Cependant il avait toujours les traits tirés.
La standing ovation était si enthousiaste que Langdon faillit ne pas sentir les trépidations contre son torse. Par réflexe, il porta la main à son téléphone, avant de se souvenir qu’il était éteint. Curieusement, les vibrations provenaient d’un autre appareil dans sa poche de poitrine — l’oreillette où Winston semblait s’époumoner.
Ce n’était pas le moment !
Langdon installa tant bien que mal l’appareil sur sa tête. Dès que les coussinets touchèrent l’os, il entendit la voix de Winston :
— Répondez, professeur ! Les téléphones sont coupés. Vous êtes mon seul contact ! Vous êtes là ?
— Oui, Winston, je suis là, répliqua Langdon en haussant le ton pour se faire entendre.
— Professeur, nous avons un gros problème !
21.
Edmond Kirsch avait connu bien des succès, et il ne boudait pas ses moments de gloire, mais jamais il n’avait ressenti une telle satisfaction. Debout sur le podium, il laissait la joie l’envahir. Il était sur le point de changer le monde.
Asseyez-vous, mes amis. Le meilleur est à venir.
Alors que le brouillard se dissipait, Edmond se retint de regarder son visage qui s’affichait en gros plan sur le dôme comme sur des millions d’ordinateurs aux quatre coins de la planète.
C’est un événement mondial, songea-t-il avec fierté. Qui transcende les frontières, les classes et les croyances.
Il jeta un coup d’œil sur sa gauche pour lancer un petit signe de gratitude à Ambra Vidal qui depuis des mois avait travaillé sans relâche à l’organisation de cette soirée. Toutefois, à sa surprise, la jeune femme ne le regardait pas. Elle observait d’un air inquiet quelque chose dans la foule.
Que se passe-t-il ? se demandait la jeune femme.
Au milieu de la salle, un homme en smoking fendait la foule en agitant les bras. Il semblait paniqué et avançait dans leur direction.
C’était Robert Langdon, le professeur de la vidéo !
Les deux agents de la Guardia l’avaient eux aussi repéré et s’apprêtaient à l’arrêter.
Qu’est-ce qui lui prenait ?
Ambra se tourna vers le podium en se demandant si Kirsch avait remarqué cette agitation. Mais il ne regardait pas le public. Il la regardait elle.
Edmond ! Attention !
Une détonation retentit sous le dôme. La tête d’Edmond se renversa en arrière. Ambra vit avec horreur un cratère rouge grossir au milieu de son front, ses yeux rouler dans leur orbite, tandis que ses mains se cramponnaient toujours au pupitre, tétanisées. Le futurologue chancela un instant, avec une expression de profonde confusion, puis, tel un arbre, bascula sur le sol, sa tête heurtant violemment le gazon artificiel.