Quelques secondes plus tard, les lumières de service s’allumèrent dans le dôme, chassant le ciel étoilé, pour révéler une étendue de gazon synthétique jonchée de couvertures abandonnées.
L’agent était impressionné par l’efficacité de Langdon. Il lui tendit le bras et l’aida à se relever. Le garde était grand, le crâne rasé, de gros muscles. Ses petits yeux étincelèrent au milieu de son visage blême et sévère.
— C’était vous sur la vidéo ? Vous êtes le professeur Langdon ?
— Oui. Edmond Kirsch était autrefois mon étudiant puis mon ami.
— Je suis l’agent Fonseca de la Guardia Real, se présenta-t-il dans un anglais parfait. Comment saviez-vous pour ce type ?
Langdon contempla le corps d’Edmond au pied du pupitre. Ambra était agenouillée auprès de lui, avec deux vigiles du musée et une équipe de secouristes. Ils avaient abandonné tout espoir de le ramener à la vie. Avec douceur, Ambra couvrit le visage de Kirsch sous une couverture.
Edmond… Langdon se sentit nauséeux.
— On ne peut plus rien pour lui, annonça le garde. Dites-moi comment vous saviez ! répéta-t-il.
Ce n’était plus une question, mais un ordre.
Langdon rapporta rapidement ce que lui avait dit Winston : un audio-guide avait été retrouvé par un vigile dans une corbeille. En vérifiant à qui avait été affecté cet appareil, on avait découvert qu’un nom avait été ajouté à la dernière minute sur la liste des invités.
— Impossible ! La liste est bouclée depuis hier. Et tous les invités ont fait l’objet d’une enquête poussée.
— Pas celui-là, intervint Winston dans les écouteurs. Cela m’a inquiété et j’ai fait une recherche. J’ai vu qu’il s’agissait d’un ancien amiral de la marine espagnole mis à pied pour alcoolisme et syndrome de stress post-traumatique après l’attentat terroriste à Séville il y a cinq ans.
Langdon transmit l’information au garde.
— La bombe à la cathédrale ?
— En outre, continua Winston, j’ai découvert que cet officier n’avait aucun lien avec Edmond. Cela a fait passer mes voyants d’alerte au rouge. J’ai donc contacté la sécurité du musée, mais sans information supplémentaire ils n’ont pas voulu interrompre la présentation — d’autant qu’elle était retransmise sur toute la planète. Ça se comprend. Cette soirée était si importante pour Edmond. Alors, je vous ai alerté. Mais j’aurais dû prendre des mesures plus drastiques. J’ai échoué.
Comme c’était troublant d’entendre une machine exprimer des remords. Langdon tourna la tête vers la dépouille d’Edmond et vit Ambra s’approcher d’eux.
— Cet ordinateur…, insista Fonseca. Il vous a donné un nom ?
— C’est l’amiral Luis Ávila.
À ces mots, Ambra s’immobilisa et regarda avec horreur Langdon.
Fonseca remarqua sa réaction.
— Mademoiselle Vidal ? Ce nom vous dit quelque chose ?
La jeune femme restait sans voix. Elle baissa les yeux vers le sol.
— Mademoiselle Vidal… Qui est cet amiral Ávila ? Vous le connaissez ?
Au bout d’un moment de flottement, Ambra finit par recouvrer ses esprits.
— Non. Je ne le connais pas, répondit-elle en regardant tour à tour Langdon et l’agent. J’ai juste été bouleversée d’apprendre que le tueur est un officier de notre marine.
Elle ment ! se dit Langdon.
— Qui était responsable de la liste des invités ? poursuivit Fonseca en faisant un pas vers Ambra. Qui a ajouté son nom ?
Les lèvres de la jeune femme tremblaient.
— Je ne sais pas.
L’interrogatoire du garde fut interrompu par un concert de sonneries de téléphone. Apparemment, Winston avait rétabli les communications. Le portable de Fonseca bourdonna dans sa poche.
Il regarda l’identité de l’appelant et poussa un long soupir avant de décrocher.
— Ambra Vidal está a salvo, annonça-t-il. Ambra Vidal est saine et sauve.
Langdon reporta son attention sur la jeune femme. Elle le regardait avec insistance.
— Professeur, intervint Winston au creux de son oreille. Ambra Vidal sait très bien comment le nom de l’amiral s’est retrouvé sur la liste. C’est elle qui l’y a mis.
Et elle ne veut pas le dire aux autorités ? s’étonna Langdon.
Contre toute attente, Fonseca tendit son téléphone à la jeune femme.
— Don Julián quiere hablar con usted.
Elle eut un mouvement de recul.
— Expliquez-lui que je vais bien. Que je le rappellerai plus tard.
Le garde n’en revenait pas. Il couvrit le micro et insista :
— Su alteza Don Julián, el príncipe, ha pedido…
— Je me fiche qu’il soit le prince ! S’il veut devenir mon mari, il faut qu’il apprenne à me laisser de l’air. Je viens d’être témoin d’un meurtre, j’ai besoin d’un peu de temps !
Fonseca la dévisagea avec un mélange de stupeur et de mépris. Puis il s’éloigna pour poursuivre sa conversation en privé.
Ainsi Ambra Vidal allait épouser le prince Julián ? Certes, cela expliquait la présence des gardes du corps, mais pas son refus de parler à son fiancé au téléphone. S’il avait vu les images, le prince devait être très inquiet…
Et soudain, une autre pensée, plus sinistre, lui vint :
Ambra Vidal avait donc des accointances avec le Palais royal de Madrid !
Cette coïncidence lui fit froid dans le dos. Le message que l’évêque Valdespino avait envoyé à Edmond paraissait soudain lourd de menaces.
24.
À deux cents mètres du Palais royal, dans la cathédrale de l’Almudena, l’archevêque retenait son souffle. Il portait encore ses habits de cérémonie et regardait sur son ordinateur les images en provenance de Bilbao.
Tout cela allait provoquer une tempête médiatique !
L’ensemble des journaux télévisés pressaient de questions leurs experts. Quelle était donc cette découverte que voulait révéler Kirsch ? Et qui l’avait tué ? Pourquoi ? De toute évidence quelqu’un ne voulait pas que cette information sorte.
Finalement, Valdespino alluma son téléphone et composa un numéro.
Köves décrocha à la première sonnerie.
— C’est terrible ! lâcha le vieux rabbin. On en parle partout à la télévision. Il faut contacter les autorités ! Leur dire ce que nous savons !
— Du calme, mon cher Yehouda, rétorqua Valdespino. Tout cela est horrible, j’en conviens, mais il ne faut prendre aucune décision précipitée. Il nous faut réfléchir.
— C’est bien réfléchi ! Quelqu’un est prêt à tout ! Ces gens sont des bouchers ! Ce sont eux qui ont tué Syed, j’en suis convaincu. Ils connaissent notre existence. Et oui, nous sommes les prochains sur la liste. Nous devons aller voir la police et tout leur dire. C’est une obligation morale !
— Une obligation morale ? Je crois plutôt que si vous voulez rendre la nouvelle publique c’est surtout pour sauver votre peau, et la mienne.
— Cela entre en ligne de compte, évidemment, mais nous avons néanmoins une responsabilité envers le monde. Bien sûr, cette découverte va ébranler nombre de nos croyances, cependant j’ai appris une chose dans ma longue vie : la foi survivra. Elle a toujours survécu. À toutes les crises. Et elle survivra à celle-ci, même si nous révélons à la terre entière la découverte de Kirsch.
— Je vous entends bien, mon ami, répliqua l’archevêque en s’efforçant de garder un ton égal. J’entends votre détermination, et je respecte votre point de vue. Je suis ouvert à la discussion, sachez-le, et je serais même prêt à changer d’avis. Mais je vous en conjure, si nous devons l’annoncer au monde, faisons-le ensemble. En pleine lumière. Avec force et honneur. Pas parce qu’on est terrorisés. Préparons un plan, répétons-le, et livrons cette nouvelle avec forme et solennité.