— Cet homme, sur la liste des invités…
— Oui. Luis Ávila.
— C’est moi qui l’ai ajouté.
Winston disait donc vrai !
— C’est moi qui ai laissé entrer le tueur. Moi !
— D’accord, répondit Langdon en posant une main réconfortante sur son épaule. Mais pourquoi ? Pourquoi vous avez fait ça ?
Ambra jeta un nouveau coup d’œil vers Fonseca qui, agacé, suivait toujours les instructions de la boîte vocale d’Uber.
— Parce que quelqu’un me l’a demandé à la dernière minute. Quelqu’un de confiance. Comme une faveur personnelle. Les portes allaient ouvrir, j’étais débordée. Je l’ai fait sans réfléchir. C’était un amiral de la marine espagnole ! Comment aurais-je pu me douter ? (Elle contempla le corps d’Edmond sous la couverture et réprima une grimace de douleur.) Et maintenant…
— Ambra. Qui vous a demandé d’ajouter ce nom ? Qui ?
— Mon fiancé. Le prince héritier d’Espagne. Don Julián.
Langdon n’en revenait pas. Le prince d’Espagne aurait organisé l’assassinat d’Edmond Kirsch ?
— Évidemment, au Palais, ils ne s’attendaient pas à ce que j’apprenne l’identité du tueur. Maintenant que je la connais… je me sens en danger.
Langdon posa à nouveau sa main sur son épaule.
— Allons, allons, vous n’avez rien à craindre ici.
— Bien sûr que si ! Vous ne savez pas tout. Nous devons nous enfuir. Tout de suite.
— C’est impossible. On ne pourra jamais…
— Je vous en prie. Je sais comment aider Edmond.
Visiblement, elle était encore sous le choc.
— « Aider Edmond » ? Je ne vois pas comment.
— Tout d’abord, nous devons entrer dans son appartement à Barcelone.
— Aller chez lui ?
— Oui. C’est ce qu’Edmond aurait voulu. Écoutez-moi…
Pendant les quinze secondes suivantes, elle lui parla à l’oreille.
Langdon sentit son cœur s’emballer.
Elle a raison ! Cela change tout !
À la fin de ses explications, la jeune femme le dévisagea avec un air de défi.
— Vous comprenez maintenant pourquoi on doit sortir d’ici ?
Langdon hocha la tête sans hésitation.
— Winston… vous avez entendu ce que Ambra vient de me dire ?
— Bien sûr, professeur.
— Vous étiez au courant ?
— Pas du tout.
Langdon prit le temps de peser ses mots :
— Winston… je ne sais pas si les programmes peuvent avoir de la loyauté envers leur créateur, mais si c’est le cas, c’est le moment de le prouver. Parce que nous allons avoir un grand besoin de votre aide.
27.
Tout en surveillant du coin de l’œil Fonseca, qui s’évertuait à joindre quelqu’un chez Uber, Langdon s’approcha du pupitre. Pendant ce temps, Ambra se dirigeait vers le milieu du dôme tout en parlant au téléphone — du moins faisait-elle semblant, conformément à ses instructions.
Dites à Fonseca que vous avez décidé de rappeler le prince Julián.
À contrecœur, Langdon contempla le corps qui gisait au sol. Edmond… Il tira doucement la couverture. Les yeux n’étaient plus que deux fentes noires sous le front maculé de sang. Il réprima un frisson et sentit la colère s’emparer de lui.
Il repensa à l’étudiant chevelu qui avait suivi ses cours, plein d’espoir et de talent. Et qui avait accompli tant de choses, en si peu de temps. Mais ce soir, quelqu’un l’avait assassiné — pour que le monde n’apprenne jamais ce qu’il avait découvert.
Pas question qu’Edmond ait fait tout ça pour rien.
En se cachant derrière le pupitre, Langdon s’agenouilla auprès de la dépouille. Il ferma les paupières de son ami, lui joignit les mains sur la poitrine, et feignit de prier.
Une prière pour un athée ! Cette image le fit sourire.
Edmond, je fais semblant, ne vous inquiétez pas.
Il se pencha au-dessus du mort.
Je vous ai dit que vous n’aviez rien à craindre de l’archevêque. Mais je me suis peut-être trompé…
Il chassa cette idée de son esprit.
Une fois certain que Fonseca le croyait en prière, il glissa discrètement la main dans la poche de Kirsch pour récupérer son téléphone turquoise.
Il jeta un coup d’œil vers l’agent. Celui-ci était toujours en ligne et s’intéressait davantage à Ambra qui, en fausse conversation avec le prince, s’éloignait de plus en plus.
Il reporta son attention sur le mobile et prit une grande inspiration.
Un dernier effort.
Il souleva la main droite du mort. Elle était déjà froide. Et pressa l’index sur le capteur d’empreinte digitale.
L’appareil s’alluma.
Langdon parcourut rapidement les menus et annula le mot de passe.
Accès permanent !
Puis il glissa le smartphone dans sa propre poche et remonta la couverture sur le visage d’Edmond.
Les sirènes mugissaient au loin. Ambra se tenait au milieu du dôme, son téléphone à l’oreille. Fonseca ne la lâchait pas des yeux.
Vite, Robert !
Le professeur avait échafaudé son plan de bataille après qu’elle lui eut rapporté sa conversation avec Edmond, deux jours plus tôt, dans cette même salle. Il était tard et ils peaufinaient les détails de la soirée. Edmond avait fait une pause pour avaler son troisième jus d’épinard de la soirée. Il semblait particulièrement fatigué.
— Je ne suis pas certaine que ce régime vegan vous convienne si bien. Vous êtes tout pâle et bien trop maigre.
— Maigre ? Parlez pour vous !
— Je ne suis pas maigre. Je suis mince, nuance !
— Question de point de vue ! (Il lui avait adressé un clin d’œil taquin.) Quant à ma pâleur, dites-vous que je suis un geek qui passe ses jours derrière un écran.
— Mais vous allez vous adresser au monde entier. Un peu de couleur ne vous ferait pas de mal. Allez prendre un peu le soleil, ou inventez un ordinateur qui fait bronzer !
— C’est une bonne idée. Faites-la breveter ! avait-il plaisanté avant de se reconcentrer sur les détails de sa présentation. Vous avez bien en tête le déroulé de la soirée ?
Ambra avait acquiescé en lisant le conducteur.
— J’accueille les gens dans le hall, et je fais entrer tout le monde dans l’auditorium. Ensuite, c’est la vidéo de présentation puis vous apparaissez, comme par magie, au pupitre. Et vous faites votre annonce.
— C’est ça. À un détail près. (Il lui avait souri.) Quand je parlerai, ce sera davantage un entracte. L’occasion pour moi de souhaiter la bienvenue en personne à mes invités, pour qu’ils puissent se dégourdir les jambes, et se préparer à la seconde partie de la soirée : un show multimédia.
— Votre annonce est préenregistrée ? Comme l’intro ?
— Je l’ai terminée il y a quelques jours seulement. Nous vivons dans un monde de l’image. Un spectacle son et lumière sera toujours plus ludique qu’un chercheur lambda soliloquant derrière son pupitre.
— Vous n’êtes pas un chercheur lambda, Edmond. Mais je suis d’accord avec vous. Ce sera plus vivant. J’ai hâte d’y être.
Pour des raisons de confidentialité, la présentation du futurologue était stockée sur un serveur extérieur sécurisé. Tout ce qui serait diffusé dans le musée proviendrait d’ailleurs.