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J’ai bien servi la cause.

Il contempla le tatouage dans sa main. Il n’avait pas eu besoin de son talisman. Du moins pas pour l’instant.

Certain que l’obéissance du chauffeur lui était acquise, Ávila baissa son pistolet. Alors que la voiture filait vers Madrid, il examina encore une fois les deux autocollants sur le pare-brise.

Le premier était prévisible : le logo de Uber. Le second, toutefois, était plus inattendu, comme un signe du ciel.

La croix papale. On la voyait partout en ce moment. Dans toute l’Europe, les catholiques montraient leur solidarité avec le nouveau pape, louant sa volonté de réforme.

Quelle ironie du sort !

Ávila avait pris un plaisir particulier à terrifier avec son arme ce partisan de la nouvelle Église. Ce pape avait de plus en plus de fidèles. Chacun voulait se servir au buffet des lois de Dieu, décider laquelle était bonne, laquelle ne l’était pas ! En un rien de temps, voilà qu’au Vatican on se mettait à débattre contraception, mariage gay, femmes prêtres, et autres modernités. Deux mille ans d’Histoire semblaient s’être évaporés.

Heureusement, il existe encore des défenseurs de la tradition, songea-t-il, tandis que la marche d’Oriamendi résonnait dans sa tête.

Et c’est un honneur de pouvoir défendre leur cause.

30.

Les plus anciennes troupes d’élite de l’Espagne — la Guardia Real — dataient du Moyen Âge. Les soldats de ce corps devaient jurer devant Dieu d’assurer la sécurité de la famille royale, de protéger ses biens et de défendre son honneur.

Le commandant Diego Garza, à la tête de près de deux mille individus, était un homme chétif au teint basané, avec de petits yeux et des cheveux clairsemés qui laissaient entrevoir son crâne pommelé. Avec sa tête de fouine et sa stature modeste, Garza était quasi invisible, ce qui était un atout dans les couloirs du Palais.

Depuis longtemps, Garza savait que le véritable pouvoir ne venait pas de la force physique mais de l’influence. Commander la Guardia Real lui conférait une certaine position, mais c’était son sens politique qui avait fait de lui un homme indispensable à Madrid, tant pour les affaires personnelles que professionnelles.

En matière de secrets, Garza était d’une fiabilité à toute épreuve. Sa réputation de discrétion, doublée d’une rare capacité à régler les problèmes les plus épineux, l’avait rendu incontournable. Mais, aujourd’hui, Garza comme bien d’autres s’interrogeait sur le devenir de l’Espagne car le souverain se mourait dans le Palais de la Zarzuela.

Pendant près de quarante ans, le roi avait régné sur ce pays turbulent. Depuis que la monarchie parlementaire avait été établie après les trente-six années de dictature. À la mort de Franco, en 1975, le monarque avait travaillé main dans la main avec le gouvernement pour faire de l’Espagne une grande nation démocratique et progressiste.

Mais la jeunesse jugeait les changements trop lents.

Et pour les vieux conservateurs, tout changement était blasphème.

De nombreuses personnalités influentes du pays défendaient encore bec et ongles la doctrine de Franco, en particulier sa vision du catholicisme comme religion d’État et fondation morale de la nation. La jeunesse espagnole, en revanche, s’y opposait farouchement et dénonçait sans vergogne la mainmise d’une religion hypocrite et corrompue, militant pour une séparation définitive des deux pouvoirs.

Aujourd’hui, un prince, dans la force de l’âge, allait monter sur le trône et personne ne savait dans quelle direction il allait emmener le pays. Pendant des décennies, le prince Julián s’était acquitté sans faillir de ses obligations protocolaires, suivant les décisions politiques de son père sans jamais laisser entrevoir ses idées personnelles. Beaucoup d’experts pensaient qu’il serait un souverain plus libéral — mais au fond personne n’en savait rien.

Ce soir, toutefois, le voile serait levé.

Après les événements de Bilbao, le roi, trop faible, ne pouvait s’adresser à la nation. Le prince allait donc devoir monter au créneau.

Le président et plusieurs membres du gouvernement avaient déjà condamné l’assassinat et, avant d’en dire davantage, ils attendaient la déclaration officielle du Palais. Toute la gestion politique de cette crise reposait donc sur les épaules de Don Julián. Cela n’avait rien d’étonnant. L’implication de la future reine dans ce drame faisait de cette affaire une patate chaude.

C’est le moment de vérité pour le prince Julián, songeait Garza en gravissant le grand escalier qui menait vers les appartements royaux. Il va avoir besoin d’un guide. Et, avec son père malade, ce guide ce sera moi.

Garza emprunta le long couloir jusqu’à la porte du prince. Il prit une profonde inspiration et frappa.

Pas de réponse.

C’est bizarre. Je sais qu’il est là.

D’après l’agent Fonseca à Bilbao, le prince venait d’appeler de ses appartements pour prendre des nouvelles d’Ambra Vidal. Dieu merci, elle était en sécurité.

Garza frappa de nouveau à la porte.

Toujours pas de réponse.

Inquiet, il ouvrit la porte.

— Don Julián ?

La pièce était plongée dans la pénombre, à l’exception de la lueur intermittente du poste de télévision dans le salon.

— Où êtes-vous ?

Garza repéra la silhouette du prince debout, près de la grande fenêtre. Il était toujours vêtu de la tenue d’apparat qu’il portait plus tôt dans la soirée lors de ses audiences. Il n’avait même pas pris le temps de desserrer sa cravate.

Don Julián semblait pétrifié.

Cette affaire a dû lui causer un vrai choc, se dit le commandant en toussotant pour annoncer sa présence.

Lorsque le prince parla enfin, il se tenait toujours immobile, face à la vitre :

— Quand j’ai appelé Ambra, elle a refusé de me répondre.

Il paraissait plus troublé que blessé.

Garza ne savait pas trop que dire. Étant donné la gravité de la situation, comment le prince pouvait-il songer à sa relation avec cette femme — des fiançailles qui dès le début s’annonçaient mal ?

— J’imagine que Mlle Vidal était bouleversée. L’agent Fonseca va vous la ramener cette nuit. Vous pourrez alors lui parler. Et permettez-moi d’ajouter que je suis soulagé d’apprendre qu’elle est saine et sauve.

Le prince hocha la tête, d’un air absent.

— On a pris en chasse le tireur, annonça Garza, impatient de changer de sujet. Fonseca m’assure que le terroriste sera arrêté sous peu.

Il utilisa sciemment le mot « terroriste » dans l’espoir d’arracher le prince à ses pensées.

Mais celui-ci se contenta d’acquiescer, l’esprit ailleurs.

— Le président a condamné l’assassinat. Mais, connaissant l’implication d’Ambra Vidal à cette soirée, le gouvernement attend votre déclaration… (Garza marqua une pause.) Je sais que la situation est embarrassante, mais je vous suggère de dire simplement que vous admirez l’indépendance de votre fiancée, et que même si elle ne partageait pas les idées d’Edmond Kirsch, vous louez son engagement et son professionnalisme en sa qualité de directrice du musée. Si vous voulez, je vous écrirai le discours. Ce serait bien de faire ce communiqué au plus vite, pour qu’il figure dans les journaux du matin.

Julián ne se retournait toujours pas.

— Je voudrais m’entretenir avec l’archevêque Valdespino — pour cette déclaration, comme pour toutes celles à venir.