Выбрать главу
Edmond

Langdon avait souri en découvrant l’image. Une allusion à l’une de ses aventures[1] quelques années plus tôt. La silhouette d’un calice, la coupe du Graal, apparaissait dans l’espace vide entre deux visages.

À présent, Langdon se dirigeait vers les portes du musée, impatient d’entendre ce que son ancien étudiant allait annoncer. La brise agitait les basques de son habit alors qu’il avançait sur l’allée de ciment qui longeait les berges du Nervion, ce fleuve qui fut jadis l’artère vitale d’une ville sidérurgique prospère. L’air était encore imprégné de l’odeur de ses hauts fourneaux.

Alors que l’allée décrivait une large boucle, Langdon releva les yeux pour observer le bâtiment scintillant. La structure était si complexe qu’on ne pouvait l’embrasser d’un seul coup d’œil. Le regard s’égarait sur l’entrelacs de ses courbes compliquées.

Cette construction ne brise pas les règles. Elle les ignore complètement. Comme Edmond.

Le musée Guggenheim de Bilbao semblait être sorti de l’esprit d’un Alien — des formes de métal torturées assemblées de façon aléatoire. Avec ses trente mille plaques de titane qui luisaient comme autant d’écailles de poissons, cette masse chaotique avait quelque chose à la fois d’organique et d’extraterrestre, comme si un Léviathan futuriste était sorti des eaux du fleuve pour se chauffer au soleil.

Quand le bâtiment avait été inauguré en 1997, le New Yorker avait porté aux nues son architecte, Frank Gehry. Selon le journal, Gehry avait conçu « une nef féerique aux formes ondulantes habillées de titane ». D’autres critiques, aux quatre coins de la planète, s’étaient joints au concert de louanges : « Le plus beau bâtiment de tous les temps ! » « Une brillance mercurielle. » « Une prouesse d’architecture ! »

Depuis l’ouverture du musée, des dizaines d’autres bâtiments inspirés du déconstructivisme avaient été érigés — le Disney Concert Hall à Los Angeles, les BMW Welt de Munich et même la nouvelle bibliothèque de l’université de Langdon. Chaque édifice voulait rompre radicalement avec les conventions, mais aux yeux de Langdon le Guggenheim de Bilbao occupait la première place du podium.

À mesure qu’on approchait de la façade, celle-ci semblait se métamorphoser. Elle n’était jamais identique. L’illusion était parfaite : le colosse de verre et de métal paraissait flotter sur l’eau.

Langdon s’arrêta pour admirer l’effet, puis emprunta la passerelle qui enjambait l’étendue miroitante de l’étang artificiel. Il se trouvait à mi-chemin quand il entendit un sifflement. Cela venait de dessous, sous ses pieds. Un nuage de brume commençait à s’étendre sur l’eau. Puis le nuage s’éleva, recouvrit l’étang, roula vers le musée, nimbant les murs d’enceintes.

La sculpture de brouillard !

Langdon avait entendu parler du travail de Fujiko Nakaya. La « sculpture » était révolutionnaire parce que conçue à partir de l’air lui-même, créant un mur de brouillard qui se matérialisait soudain puis se dissipait. Suivant les conditions climatiques, l’œuvre n’était jamais identique d’un jour à l’autre.

Le sifflement cessa. Langdon regarda la brume traverser le bassin, glisser, onduler, comme une créature vivante. L’effet était saisissant. Tout le musée flottait sur un nuage, tel un vaisseau fantôme.

Au moment où Langdon allait se remettre en route, une série de petites éruptions brouillèrent la surface de l’étang et cinq piliers de feu jaillirent des eaux, telles des fusées décollant dans un nuage de fumée, projetant des milliers de reflets cramoisis sur la façade du musée.

Les goûts architecturaux de Langdon se portaient davantage sur des œuvres plus classiques — les musées du Louvre ou du Prado —, mais en voyant le brouillard et les flammes voltiger sur les eaux du bassin, il comprit pourquoi leur hôte, si féru d’art et d’innovation, qui entrevoyait le futur avec tant de clarté, avait choisi ce bâtiment ultramoderne. Celui-ci était le temple idéal pour l’accueillir.

Langdon traversa la nappe de brume. Lorsqu’il parvint devant l’entrée du musée — un trou noir — il eut l’impression de pénétrer dans la gueule d’un dragon.

2.

L’amiral Luis Ávila était assis au bar d’un pub désert, dans une ville qui lui était étrangère. Il était épuisé par le voyage. Il venait de s’aquitter d’un travail qui lui avait fait parcourir des milliers de kilomètres en douze heures. Il prit une gorgée de son second Schweppes et contempla l’alignement multicolore des bouteilles derrière le zinc.

N’importe qui peut rester sobre dans le désert, mais seul le fort peut rester dans une oasis et ne rien boire.

Ávila n’avait pas bu une goutte d’alcool depuis près d’un an. En voyant son reflet dans la glace, il éprouva une certaine fierté. Pour une fois.

L’officier de marine était l’un de ces Méditerranéens pour qui l’âge était un atout et non une malédiction. Avec les années, sa barbe râpeuse était devenue un doux tapis poivre et sel, son regard ardent s’était paré d’une lueur confiante et sereine, et sa peau était désormais tannée et finement plissée, comme un vieux loup de mer.

Malgré ses soixante-trois ans, Ávila avait conservé un corps svelte et élancé que son uniforme mettait en valeur. Aujourd’hui, il avait revêtu sa tenue complète d’apparat — une veste immaculée au col amidonné, avec des épaulettes noires, une collection impressionnante de médailles et un pantalon blanc au pli impeccable.

Nous n’avons peut-être plus la meilleure marine du monde, mais nous savons encore habiller nos officiers ! se disait l’amiral.

Il n’avait plus porté cet uniforme depuis des années — mais ce soir n’était pas comme les autres. Et plus tôt dans la journée, alors qu’il arpentait les rues de cette ville inconnue, il avait senti le regard des femmes posé sur lui, ainsi que celui des hommes, plus méfiant, qui préféraient passer au large.

On respectait toujours celui qui avait des règles de vie.

¿ Otra tónica ?

La jolie serveuse avait une trentaine d’années. Et un beau sourire.

Ávila secoua la tête.

— No, gracias.

Le bar était toujours désert et il avait toute l’attention de l’employée. C’était bien agréable.

Je suis revenu des abysses !

L’abomination qui lui avait tout pris, hormis sa propre vie, resterait à jamais gravée dans son esprit — un seul instant, assourdissant, durant lequel la terre s’était ouverte et l’avait avalé.

La cathédrale de Séville. Le matin de Pâques…

Le soleil d’Andalousie éclairait les vitraux, projetant un kaléidoscope de couleurs sur les murs de l’Église. L’orgue entonnait l’hymne pour célébrer avec les centaines de fidèles le miracle de la résurrection.

Ávila était agenouillé au pied du chancel pour la communion, son cœur empli de reconnaissance. Après une vie à servir en mer, Dieu lui avait donné la plus belle des récompenses : une famille. Ávila s’était retourné pour regarder María, sa jeune épouse, restée sur les bancs derrière lui. Elle était bien trop enceinte pour marcher jusqu’à l’autel. À côté d’elle, Pepe, leur premier-né de trois ans, agitait gaiement la main dans sa direction. Ávila lui avait adressé un clin d’œil. María lui avait souri.

вернуться

1

Voir Da Vinci code. (N.d.T.)