Le Régent avait été très clair.
Ávila aimait recevoir ainsi ses instructions. Pas de décisions à prendre. Pas de regrets. Juste l’action. Après une vie à donner des ordres, c’était bien agréable de laisser les autres tenir la barre.
Dans cette guerre, je suis un fantassin.
Quelques jours plus tôt, le Régent lui avait révélé un secret. Ávila n’avait alors eu d’autre choix que d’offrir son plein et entier soutien dans ce combat. La violence de sa mission de la veille le hantait encore, mais il savait qu’elle lui serait pardonnée.
Le bien peut prendre de multiples visages.
Et la mort frappera encore avant le matin.
En arrivant près des berges, Ávila leva les yeux pour contempler l’imposante construction qui se dressait devant lui. Un méli-mélo de formes sinueuses et distordues, couvertes de plaques de métal. Deux mille ans d’architecture jetés aux oubliettes !
Ça, un musée ? Une abomination oui !
Tout en se concentrant sur sa mission, il traversa la place et passa devant une série de sculptures bizarres pour rejoindre le musée Guggenheim. Des dizaines de personnes en tenue de soirée patientaient devant la porte.
La grande assemblée des mécréants !
Ce soir, je vous réserve une surprise.
Il ajusta sa casquette d’amiral, lissa sa veste, se préparant mentalement au travail qui l’attendait. Une nouvelle étape de sa grande mission — une croisade pour le bien.
Ávila s’avança vers les portes du musée, caressant son rosaire dans sa poche.
3.
L’atrium, le grand hall du musée, ressemblait à une cathédrale futuriste.
Aussitôt, le regard de Langdon fut attiré par les imposants piliers qui s’élevaient devant la verrière jusqu’aux voûtes culminant à près de soixante mètres de hauteur. Tout là-haut, une myriade de projecteurs diffusait une lumière éblouissante. Suspendu dans le vide, un jeu de coursives et de passerelles traversait l’espace, où circulait la foule qui arpentait les galeries supérieures ou admirait la vue sur l’étang. À proximité, un ascenseur de verre glissait sans bruit le long du mur, pour emporter dans les airs une nouvelle fournée d’invités.
Ce musée était unique. Même l’acoustique y était curieuse. Au lieu des murmures feutrés, empreints de respect, qui planaient d’ordinaire dans les allées d’un musée classique, il régnait ici un grand brouhaha, l’écho des voix étant porté par les parois de verre et de métal. Le seul élément familier, c’était cet air astringent. Dans tous les musées de la planète, on retrouvait cette sensation : un air méticuleusement filtré, débarrassé de toute particule oxydante et traité avec de l’eau ionisée pour garantir un taux de quarante-cinq pour cent d’humidité.
Langdon franchit une quantité impressionnante de points de contrôle. Plusieurs gardiens étaient armés. Enfin, lorsqu’il atteignit le dernier poste de sécurité, une jeune femme, derrière une table, lui tendit des écouteurs.
— ¿ Audioguía ?
— Non merci, répondit Langdon avec un sourire poli.
La femme passa à l’anglais.
— Je suis désolée, mais M. Kirsch tient à ce que tout le monde ait des écouteurs. C’est un élément clé de la soirée.
— Dans ce cas…
Langdon tendit la main vers les appareils, mais la jeune femme l’arrêta. Elle consulta une longue liste de noms, trouva celui de Langdon et sortit un écouteur qui portait le même numéro que celui indiqué en face de son nom.
— Les audio-guides de ce soir ont été personnalisés pour chaque invité.
Langdon fut surpris : ils étaient des centaines !
Il examina l’appareil. Un dispositif minimaliste : un simple arceau de métal avec de minuscules coussinets à chaque extrémité. Remarquant son air perplexe, la jeune femme l’éclaira.
— Ce sont de nouveaux modèles, dit-elle en l’aidant à ajuster les écouteurs. Les coussinets ne se mettent pas dans le conduit auditif, mais restent à l’extérieur. Sur le visage.
Elle installa le bandeau métallique derrière son crâne et ajusta les coussinets de façon à ce qu’ils soient plaqués au-dessus de la mâchoire, juste sous la tempe.
— Mais comment le son…
— Conduction osseuse. C’est une nouvelle technologie. Le son est transmis à travers les os jusqu’à la cochlée. Vous allez voir, c’est vraiment étonnant. C’est comme si vous aviez une voix à l’intérieur de votre tête. Et cela laisse vos oreilles libres pour entendre les conversations extérieures.
— Très ingénieux.
— C’est une invention de M. Kirsch qui date de dix ans. On trouve aujourd’hui ces dispositifs chez de nombreux fabricants.
J’espère que Beethoven touche des royalties !
Le véritable découvreur de l’audio-transmission osseuse, c’était lui. Devenant peu à peu sourd, il avait découvert qu’en mordant une barre de métal fixée à son piano il parvenait à percevoir les notes de son instrument grâce aux vibrations qui traversaient sa mâchoire.
— Je vous souhaite une agréable visite. Vous avez environ une heure avant le début de la conférence. Votre audio-guide vous préviendra quand ce sera le moment de vous rendre dans la salle.
— Merci. Je dois appuyer sur un bouton pour…
— Inutile. Tout est automatique. Les commentaires démarreront tout seuls selon vos déplacements.
— Évidemment… suis-je bête !
Langdon traversa le hall pour se joindre à un groupe de personnes qui attendaient les ascenseurs. Tous portaient le même genre d’écouteurs.
Il était à mi-chemin quand un homme lui dit :
— Bonsoir et bienvenue au musée Guggenheim de Bilbao.
Même s’il savait d’où venait cette voix, Langdon s’arrêta et regarda derrière lui. L’effet était saisissant.
— Du fond du cœur, je vous souhaite la bienvenue, professeur Langdon. (Le ton était amical et enjoué, avec une pointe d’accent britannique.) Je m’appelle Winston. Et j’ai la joie d’être votre guide pour la soirée.
Qui avait prêté sa voix ? Hugh Grant ?
— Ce soir, poursuivit le guide, vous pouvez aller où vous voulez, à votre guise, et je vous donnerai toutes les précisions nécessaires en chemin.
À l’évidence, l’appareil disposait d’une balise GPS pour repérer la position exacte du visiteur.
— Je mesure bien évidemment que vous êtes professeur d’art, l’un de nos plus prestigieux invités, et que nombre de mes explications seront superflues. Pis encore, vous pourriez ne pas être d’accord avec mon analyse de certaines œuvres !
La voix lâcha un étrange petit rire.
Qui a écrit le scénario ? se demanda Langdon. La pointe d’humour était bien agréable, mais il n’osait imaginer la somme de travail nécessaire pour personnaliser ainsi les audio-guides pour des centaines d’invités.
L’appareil resta silencieux. Ce devait être la fin du module de présentation.
Langdon regarda, à l’autre bout de l’atrium, la gigantesque bannière qui annonçait :
Qu’est-ce qu’Edmond allait donc leur annoncer ?
Langdon observa le groupe qui attendait les ascenseurs. Il reconnut deux fondateurs de sociétés internet, une star du cinéma indien et d’autres VIP, des gens très célèbres dont il avait oublié le nom. Tous étaient sur leur trente et un. Ne se sentant pas prêt à parler réseaux sociaux ou Bollywood, Langdon changea de cap pour se diriger vers une œuvre imposante qui trônait de l’autre côté de l’atrium dans une grande niche.