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Il tenait une assiette en carton remplie de limaille de fer. Il sortit un gros aimant et le plaqua sous l’assiette. Aussitôt, les grains métalliques s’alignèrent pour dessiner une série d’arcs.

— Une force invisible a organisé cette limaille de fer. Dieu ? Non… l’électromagnétisme !

Le scientifique se matérialisa à côté d’un trampoline. Des billes étaient disséminées un peu partout sur la surface tendue.

— Voilà un éparpillement parfaitement aléatoire, mais si je fais ceci…

Il posa une boule de bowling sur la toile élastique et la fit rouler. Les billes se précipitèrent contre la sphère, créant un cercle autour d’elle.

— La main de Dieu ? Non. Là, c’est juste la gravité.

Nouveau gros plan du futurologue.

— Et il semblerait que la vie ne soit pas la seule forme d’ordre fabriquée par l’univers. On trouve de nombreux exemples de molécules inertes organisées en structures complexes.

Un montage de plusieurs images s’afficha — le vortex d’une tornade, un flocon de neige, les rides de courant dans les lits des rivières, un cristal de roche, les anneaux de Saturne.

— Comme vous le voyez, parfois, l’univers organise la matière — ce qui contredit la loi de l’entropie… Alors quoi ? L’univers préfère l’ordre ? Ou le chaos ?

À l’écran, Kirsch se dirigeait vers le dôme du prestigieux Massachusetts Institute of Technology.

— Pour la communauté scientifique, dans son immense majorité, la réponse est : le chaos. L’entropie règne en maître et l’univers tend irrémédiablement vers le désordre. Plutôt déprimant, non ? (Il se tourna vers la caméra.) Dernièrement, j’ai rencontré un jeune physicien qui a eu une idée… Une idée qui pourrait bien être la clé de l’énigme.

*

Jeremy England ?

Langdon était étonné de connaître le nom que venait de citer Kirsch. Ce chercheur, âgé d’une trentaine d’années, était la coqueluche du MIT depuis qu’il avait fait sensation dans le tout nouveau domaine de la « biologie quantique ».

Par une étrange coïncidence, Jeremy England et Robert Langdon avaient fréquenté la même école — la Phillips Exeter Academy —, et la première fois que Langdon avait entendu parler du jeune physicien, c’était en lisant le magazine des anciens élèves, un article intitulé « Systèmes organisés à dissipation d’énergie ». S’il n’avait pas tout compris à l’article, Langdon avait été intrigué d’apprendre que Jeremy England était à la fois un brillant scientifique et un homme profondément croyant — en l’occurrence juif orthodoxe.

Pas étonnant qu’Edmond se soit intéressé à ses travaux !

Un nouveau protagoniste s’invita dans la discussion : le physicien Alexander Grosberg, de l’université de New York.

— Apparemment, Jeremy England aurait identifié le principe physique sous-jacent à l’origine de la vie.

À ces mots, Langdon se redressa. Ambra attendait elle aussi impatiemment la suite.

Un autre universitaire prit la parole :

— Si England réussit à démontrer que sa théorie est vraie, déclara Edward J. Larson, historien et lauréat du prix Pulitzer, son nom restera dans les annales. Il pourrait être le prochain Darwin.

Langdon savait que le travail de Jeremy England avait fait des vagues, mais là, c’était un tsunami !

Carl Franck, un physicien de l’université Cornell, ajouta :

— Tous les trente ans environ, la science fait un grand pas en avant… Et ce pourrait bien en être un.

Une série de gros titres se succédèrent à l’écran :

• LE SCIENTIFIQUE QUI POURRAIT RÉFUTER DIEU !

• LA FIN DU CRÉATIONNISME ?

• DIEU, MERCI, ON N’A PLUS BESOIN DE TOI !

La liste se poursuivait, suivie d’extraits de magazines scientifiques, qui tous suggéraient la même chose : si Jeremy England parvenait à démontrer cette nouvelle théorie, les conséquences seraient sans précédent — aussi bien pour la science que pour la religion.

Langdon lut le dernier extrait qui s’affichait, un article paru dans le magazine en ligne Salon, datant du 3 janvier 2015 :

• « DIEU, COINCÉ DANS LES CORDES : LA THÉORIE QUI TERRIFIE LES CRÉATIONNISTES ET LA DROITE CHRÉTIENNE.

Un jeune professeur du MIT est en passe d’achever l’œuvre de Darwin… »

Kirsch revint à l’image, marchant à grandes enjambées dans un couloir d’université.

— Alors ? Quel est ce pas de géant qui fait si peur aux créationnistes ?

Il s’arrêta devant une porte sur laquelle était indiqué : england lab @ MIT Physics

— Allons poser la question à l’intéressé !

93.

Le jeune homme qui s’exprimait à présent était Jeremy England. Grand et mince, le menton ombré d’une barbe, il se tenait devant un large tableau rempli d’équations.

— D’abord, disait-il en souriant, je rappelle que cette théorie reste à prouver. Pour le moment, ce n’est qu’une hypothèse. Cela dit, si l’on arrive un jour à la vérifier, les répercussions seront phénoménales.

Les minutes suivantes, le physicien donna les grandes lignes de sa théorie qui, comme la plupart des idées de génie, était étonnamment simple.

Si Langdon comprenait bien où England voulait en venir, l’univers obéissait à une seule directive. Un but ultime.

Dissiper de l’énergie.

Donc, quand l’univers trouvait des zones d’énergie concentrée, il les dispersait. Tel l’exemple de la tasse à café qui communiquait sa chaleur aux autres molécules de la pièce, conformément au second principe de la thermodynamique.

Voilà pourquoi Edmond l’avait interrogé sur les mythes de la Création lors de leur dernière entrevue ! — tous parlaient d’énergie ou de lumière se répandant à l’infini et chassant les ténèbres.

England pensait justement avoir trouvé comment l’univers dissipait son énergie.

— Puisque l’univers est entropique et cherche toujours l’état de plus grand désordre, pourquoi existe-t-il autant d’exemples de molécules qui s’organisent d’elles-mêmes ?

À l’écran, réapparurent les images projetées un peu plus tôt — le vortex d’une tornade, les rides de courant du lit des rivières, un flocon de neige.

— Il s’agit en fait de « structures dissipatives » — des groupes de molécules qui se sont agencées pour disperser plus efficacement l’énergie.

England expliqua que les tornades étaient une manière pour la nature de convertir une zone de haute pression en force rotationnelle, qui finissait par s’épuiser toute seule. Même principe avec les rides de courant : elles permettaient de dissiper plus efficacement l’énergie du cours d’eau. Quant aux flocons de neige, ils disséminaient l’énergie solaire en formant des structures multifacettes qui reflétaient la lumière dans toutes les directions.

— Pour résumer, reprit England, la matière s’organise pour mieux disperser l’énergie. Pour favoriser le désordre, la nature crée des poches d’ordre. Ces poches sont des structures qui, au final, intensifient le chaos d’un système, augmentant ainsi son entropie.

Langdon trouvait une certaine logique à la théorie d’England — les exemples étaient partout. Lorsqu’un nuage d’orage se chargeait d’électricité statique, des éclairs se formaient. Autrement dit, l’univers inventait un mécanisme de dissipation, la foudre, qui déchargeait l’énergie du nuage dans le sol, accentuant ainsi l’entropie du système.