Langdon examina les bulles qui se contractaient ou se dilataient au gré de l’évolution.
— L’Homo sapiens existe depuis deux cent mille ans, mais son influence n’était pas assez significative pour apparaître sur ce graphique avant environ soixante-cinq mille ans. À cette époque, nous avons inventé l’arc et la flèche, ce qui a fait de nous de redoutables prédateurs.
Au-dessus du marqueur « 65 000 ans avant J.-C. », on distinguait une petite tache bleue, avec la mention Homo sapiens, qui restait longtemps quasiment de la même taille. Puis vers l’an 1000 av. J.-C., elle se mettait brusquement à enfler, et continuait de grossir de manière exponentielle.
Tout à droite du diagramme, la bulle bleue occupait presque toute la hauteur de l’écran.
Les humains de l’ère moderne, songea Langdon. De loin l’espèce la plus influente sur Terre.
— Évidemment, en l’an 2000, l’Homme domine. Rien ne le menace. (Il se tut un instant.) Mais, si vous regardez bien, on discerne l’émergence d’une autre bulle… juste là.
L’image zooma sur une minuscule tache noire au-dessus de l’énorme sphère de l’humanité.
— Une nouvelle espèce a déjà fait son apparition.
Langdon la voyait distinctement, mais elle semblait dérisoire comparée à la masse bleue — un tout petit poisson sur le dos d’une baleine.
— Je sais que ce nouveau venu ne paraît guère inquiétant, mais si on observe son évolution de l’an 2000 à aujourd’hui, on voit clairement que notre intrus était bien là, et s’est insidieusement développé.
Le graphique défila et Langdon sentit sa poitrine se serrer. En seulement deux décennies, la bulle noire avait pris une ampleur considérable. Désormais, elle occupait un quart de l’écran et suivait de près l’Homo sapiens.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Ambra avec effroi.
— Aucune idée, répondit Langdon. Une sorte de virus dormant ?
Il passa mentalement en revue la liste des virus qui avaient fait des ravages dans différentes régions du monde, mais il ne voyait pas quelle espèce avait pu se développer aussi rapidement sans que personne s’en rende compte.
Une bactérie venue de l’espace ?
— Cette nouvelle espèce a une croissance fulgurante, poursuivit le scientifique. Elle étend son territoire. Surtout, elle évolue, et bien plus vite que les humains. (Kirsch regarda la caméra d’un air grave.) Et si je laisse la simulation tourner encore quelques décennies, voilà ce qui arrive…
Le diagramme avança jusqu’en 2050.
Langdon se leva d’un bond, les yeux écarquillés d’horreur.
— Mon Dieu ! bredouilla Ambra, devenue toute pâle.
La bulle noire avait avalé la bulle humaine.
— Ça fait un choc, je sais. Mais chaque fois que je lance la simulation, c’est la même conclusion. L’humanité évolue jusqu’à aujourd’hui, puis une nouvelle espèce émerge, et nous éradique de la surface de la Terre.
Langdon s’efforçait de se rappeler que ce n’était qu’une modélisation informatique. Malheureusement, ce genre d’images frappait plus les esprits que des chiffres bruts. Et ce diagramme ne laissait guère de place au doute : l’extinction de l’humanité était inéluctable !
— Oui, mes amis, déclara le futurologue d’une voix d’outre-tombe, comme s’il venait d’annoncer la collision imminente d’un astéroïde, notre espèce est au bord de l’extinction. Comme vous le savez, j’ai fait de nombreuses prédictions au cours de ma vie, qui toutes se sont réalisées. Pour celle-ci, j’ai vérifié et revérifié les données, à tous les niveaux, et je peux vous assurer, avec une marge d’erreur quasi nulle, que la race humaine telle que nous la connaissons n’existera plus dans cinquante ans.
Chez Langdon, la surprise fit place à la colère.
Qu’est-ce que tu fiches, Edmond ? C’est irresponsable ! Ce n’est qu’une simulation !
La moindre erreur pouvait fausser toute l’analyse. Les gens l’écoutaient et le respectaient… Ça allait être l’hystérie collective !
— Une dernière chose, reprit Kirsch d’un ton encore plus sinistre. Si vous regardez bien ce tableau, vous pouvez constater que cette nouvelle espèce ne nous élimine pas complètement. En réalité… elle nous absorbe.
96.
Les envahisseurs nous absorbent ?
Langdon avait sûrement mal compris. Les humains serviraient d’incubateurs vivants à une autre espèce, comme dans les films Alien ?
Prostrée sur le canapé, Ambra regardait fixement le graphique à l’écran. L’issue semblait inévitable ; l’humanité allait être avalée par un nouvel organisme en quelques décennies. Plus effrayant encore, cette entité vivait déjà sur Terre, et gagnait discrètement du terrain.
— Bien sûr, je ne pouvais pas dévoiler ces informations avant d’avoir identifié cette menace, reprit Kirsch. Alors j’ai fait des recherches. Et j’ai fini par découvir l’intrus.
Le tableau qui s’affichait maintenant, Langdon l’avait étudié à l’école primaire. C’était celui de la classification des êtres vivants, divisée en « six règnes » — Animaux, Végétaux, Protistes, Bactéries, Archées, Champignons.
— Quand j’ai identifié ce colonisateur, continua Kirsch, j’ai compris qu’il était trop multiforme pour être qualifié d’« espèce ». Dans la hiérarchie taxonomique, on ne pouvait pas non plus le considérer comme un ordre. Ni même un embranchement. (Le futurologue regardait droit vers la caméra.) Notre planète est colonisée par une entité bien plus importante, que nous sommes forcés de considérer comme un tout nouveau règne.
Le Septième Règne !
Langdon avait suivi une conférence TED où Kevin Kelly, un auteur passionné de culture numérique, annonçait cet avènement. Plusieurs écrivains de science-fiction des années cinquante avaient prophétisé sa venue.
Il s’agissait d’un règne d’êtres non vivants.
Ces organismes évoluaient comme les êtres vivants — ils se complexifiaient, s’adaptaient à de nouveaux environnements, conquéraient d’autres territoires, et tandis que certains disparaissaient, d’autres poursuivaient leur évolution. Parfait exemple de la sélection darwinienne, ils s’étaient développés à une vitesse stupéfiante, et formaient à présent un septième règne aux côtés de celui des Animaux et des cinq autres.
On l’appelait : « le Technium ».
Edmond s’était lancé dans une description étourdissante du nouveau maître de la planète — qui incluait toutes les formes de technologie. Les machines s’amélioraient ou disparaissaient suivant la « loi du plus fort » énoncée par Darwin ; elles s’adaptaient constamment à leur environnement, développaient de nouvelles fonctionnalités pour survivre, et dupliquaient les plus efficaces.
— Le fax a disparu comme le dodo ! Et l’iPhone ne survivra que s’il continue à surpasser ses concurrents. Les machines à écrire et à vapeur n’ont pas résisté au changement, alors que l’Encyclopaedia Britannica a su s’adapter, des pieds numériques ont poussé à ses trente-deux encombrants volumes et, comme le dipneuste, la vénérable encyclopédie a pu conquérir des territoires inconnus.
Langdon songea avec émotion à son vieil Instamatic Kodak — à l’époque, le T-Rex de la photographie grand public — qui avait été réduit en poussière par l’arrivée du météorite numérique.