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Penchée sur la tablette de l'avion qui la ramenait chez elle, elle rédigea une lettre.

2 juillet 1979, Mon Philip,

Je sais combien tu dois m'en vouloir de ne pas avoir été là le jour de ton mariage. Il n 'y avait ni excuse, ni prétexte cette fois-ci, je te le jure. J'ai tout fait pour venir, mais au dernier moment un sale orage m'a empêchée de te rejoindre. J'ai été avec toi par la pensée pendant toute la cérémonie. Tu devais être sublimement beau dans ton smoking et je suis certaine que ta femme était rayonnante elle aussi, qui ne l'aurait pas été en t'épousant ? l^es yeux fermés je t'ai suivi pas à pas au cours de ces instants magiques. Je sais que tu es heureux désormais et quelque part ce bonheur me fait du bien à moi aussi.

J'ai décidé d'accepter ce poste que l'on me proposait. Je pars vendredi m'installer dans les montagnes pour établir un nouveau centre. Ne m'en veux pas de moins t'écrire au cours des prochains mois, mais je serai désormais à deux jours de piste de ce qui ressemblait déjà à peine à notre civilisation et poster une lettre relèvera de l'impossible, tout comme en recevoir. Tu sais, je suis contente de ce nouveau défi, j'emporterai la nostalgie des gens de mon village, de cette maison que Juan m'avait construite et des souvenirs qu 'elle contenait déjà ; il faudra presque tout recommencer à zéro, mais je trouve dans la confiance qu'ils m'accordent la reconnaissance de mes pairs.

Bonne vie mon Philip, au-delà de toutes mes absences et de tous mes manques, je t'aime fidèlement depuis toujours et aussi pour toujours.

Susan

P.-S. : N'oublie quand même pas ce que je t'avais dit à l'aéroport...

6.

La pluie ruisselait le long des tuiles de bois. Installé sous la charpente, s'éclairant à la lumière d'une seule lampe, il corrigeait ses dernières esquisses. Comme chaque week-end, Philip récupérait les retards accumulés dans son travail de la semaine. Il avait décoré son bureau en s'inspirant du style Adirondacks. Des bibliothèques ajourées étaient apposées sur le mur de droite. Sur la gauche, deux gros fauteuils en cuir usé, séparés par un petit guéridon en bouleau et un lampadaire en fer forgé, invitaient au confort. Placé au juste milieu de la pièce, sous la lucarne qui diffusait un éclairage zénithal, son plan de travail avait la forme d'un grand cube de bois blanc. Six personnes pouvaient aisément prendre place autour. De temps en temps, il relevait la tête et posait son regard sur les carreaux de la fenêtre qui vibraient sous la force des bourrasques de vent.

Avant de replonger dans ses dessins il jeta un coup d'oeil à la photo de Susan dans son entredeux-verres sur l'une des étagères. Tant de temps s'était écoulé depuis le jour de son mariage. Au milieu de la table trônait aussi le petit coffre ancien qui contenait toutes ses lettres. Il était cadenassé, mais la clé restait toujours sur le couvercle. Combien d'années avaient passé sans qu'ils ne s'écrivent ? Sept, huit, neuf peut-être ? Dans l'angle de la pièce, l'échelle conduisait à l'étage inférieur où les chambres à coucher s'effaçaient déjà dans la pénombre de cette journée sans lumière qui tirait à sa fin. L'escalier en bois blanc qui faisait face à la porte d'entrée séparait le rez-de-chaussée de la maison en deux espaces de vie. Mary était restée tout l'après-midi assise à la grande table de la cuisine américaine et tournait lentement les pages d'un magazine, laissant errer ses pensées. Par-delà la porte coulissante, elle regarda Thomas, leur petit garçon de cinq ans absorbé dans un jeu, puis elle tourna son regard vers la pendule ronde accrochée au-dessus de la gazinière. Il était 18 heures, elle referma son journal, se leva, fit le tour du comptoir et commença à préparer le dîner. Philip descendit de son bureau une demi-heure plus tard, comme chaque soir, et il finit de l'aider adresser la table. Après l'avoir embrassée, ses deux « hommes » s'installèrent chacun à leur place. Thomas fut le plus bavard, commentant sa dernière partie contre les extraterrestres qui tentaient d'envahir l'écran de télévision.

À la fin du repas, Philip voulut entreprendre une nouvelle fois de l'initier aux échecs, mais Thomas trouvait idiot que le fou ne se déplace qu'en diagonale, et puis le seul « truc rigolo »

n'était-il pas de faire avancer tous les pions en même temps pour attaquer les tours du château fort ? La tentative se termina en partie de misti-gri. Plus tard dans la soirée, lorsque le petit garçon serait bordé, l'histoire du soir contée, Philip redescendrait dire bonsoir à sa femme et il retournerait dans son bureau. « J'aime mieux travailler encore et avoir du temps avec vous demain » arguerait-il au sourire de Mary. Il la retrouverait « plus tard », pour la rejoindre dans le sommeil et la tendresse de ses bras.

La pluie ne s'était arrêtée qu'à l'aube et les trottoirs détrempés luisaient encore dans la pâleur du matin. Thomas s'était levé et descendait au salon. Mary avait entendu craquer les marches.

Elle enfila le peignoir de bain qu'elle avait abandonné au pied de son lit. Le petit garçon était déjà en bas de l'escalier lorsque la sonnette de la porte d'entrée retentit. Il posa sa main sur la poignée pour l'ouvrir.

— Tom, je t'ai dit cent fois de ne pas toucher à la porte !

L'enfant interpellé se retourna et fixa sa mère du regard. Elle descendit le rejoindre, fit passer son fils derrière elle et ouvrit. Une femme habillée d'un tailleur bleu marine dont le sérieux détonnait avec l'atmosphère de ce dimanche d'automne se tenait sur le perron, aussi droite qu'un bâton.

Mary releva son sourcil gauche, elle cultivait précieusement cette expression qui déclenchait les rires de son enfant et le sourire de son mari. Cette mimique était devenue une façon coutumière de marquer son étonnement.

— Je suis bien chez M. Nolton ? demanda l'inconnue.

— Et chez Mme Nolton également !

— Il faut que je voie votre mari, mon nom est...

— Un dimanche avant le passage du laitier, quoi de plus naturel !

La femme ne chercha pas à finir de se présenter, pas plus qu'à s'excuser de son intrusion matinale. Elle insista, elle devait voir Philip au plus tôt. Mary voulut savoir ce qui justifiait qu'elle le réveille le seul jour de la semaine où il pouvait se reposer. « Je dois le voir » n'étant pas suffisant à ses yeux, elle l'invita froidement à revenir à une heure plus décente.

La femme adressa furtivement un regard à la voiture garée devant la maison et réitéra sa demande.

— Je sais qu'il est très tôt chez vous, mais nous avons voyagé toute la nuit, et notre avion va repartir dans quelques heures. Nous ne pourrons pas attendre.

Mary prêta alors attention au véhicule garé devant chez elle. Un homme de forte corpulence tenait le volant. Il y avait une autre femme à l'avant, la tête collée à la vitre. Elle était trop loin pour que Mary distingue ses traits même en plissant les yeux. Il lui sembla pourtant que leurs regards s'affrontaient. Il avait suffi de ces quelques secondes d'inattention pour que l'intruse tente de forcer le passage. Elle avait élevé la voix et appelait Philip à tue-tête. Mary lui claqua aussitôt la porte au nez.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Philip était apparu en haut de l'escalier, Mary se retourna en sursautant.

— Je n'en sais rien, une folle qui te réclame,

répondit-elle agacée, et qui ne veut certainement pas m'avouer qu'elle est une de tes ex, à moins que ce ne soit sa copine qui attend dans la voiture garée devant chez nous !