Выбрать главу

— Mais tu peux.

— Je m’en fiche.

— Tu as tort. Quand une femme entre dans ma vie, j’aime bien connaître son passé, son parcours, quelle expérience est la sienne. Mieux vaut se montrer curieux qu’indifférent. C’est plus que de la courtoisie ou de la politesse : un hommage. Je sais, le mot est un peu solennel et pas adapté à notre jeune âge. Mais il y a de ça.

— Peut-être que dans un mois ou deux nous ne serons plus ensemble. Alors, à quoi bon tout ça ?

— Nous ne ferions qu’une seule fois l’amour que cela justifierait quand même que je m’intéresse à toi. Cela signifie que je ne te réduis pas à ton sexe, qu’il y a d’autres choses en toi qui piquent ma curiosité. Plus je te pose de questions sur toi, sur ta famille, sur ton boulot, plus je valorise nos parties de jambes en l’air. Ça ne te paraît pas normal ?

— Si, d’un certain point de vue, c’est même assez généreux. De là à savoir que je suis née après une césarienne, combien j’ai eu d’hommes avant toi, est-ce vraiment capital ?

— Non, mais toutes les réponses à mes questions, y compris le refus d’en donner, sont autant de petites touches ajoutées au portrait. Plus j’aime une femme, plus j’éprouve le besoin de tout connaître d’elle… Quand je n’aime plus je ne pose plus de questions… Alors, Nathalie, combien d’hommes avant moi ?

Quand elle me l’aura dit — car elle me le dira, ne pouvant se dérober longtemps à mon harcèlement —, je lui demanderai pour chacun c’était qui, c’était quand, c’était où, c’était comment ?

C’était bien ?

Essoufflé, je roule sur le dos et, le regard au plafond, je demande à Laetitia comment c’était.

— Bien, répond-elle.

— Ton « bien » est plutôt laconique, pas très chaleureux, encore moins voluptueux.

— Non, c’était bien, je t’assure.

— Mais bien pas mal ? Ou bien bien ?

— Bien, vraiment bien.

— Mais pas tout à fait bien très bien ?

— Si, si, très bien.

— Je ne veux surtout pas te forcer à dire que c’était bien si ce n’était pas bien. Tu es déçue ?

— Mais pas du tout ! Puisque je te dis que c’était bien, et même…

— Et même ?

— … très bien.

— Très bien, vraiment ?

— Puisque je te le dis !

— Pardon d’avoir insisté, mais comme tu manquais de conviction…

— La conviction, il me semble que je l’ai eue pendant, non ?

— Mais comme ça, à chaud, tu dirais que c’était plutôt mieux que la dernière fois ou plutôt moins bien ?

— Difficile de savoir. Les deux fois c’était bien et…

— Bien, as-tu dit, pas très bien.

— (Agacée) Mais si, très bien, très très bien. Mais comment veux-tu que je compare… À mon avis, la dernière fois, c’est toujours la meilleure, surtout quand ça vient juste de se passer et que je suis encore dans le sas de décompression.

— Est-ce que je te parais en progrès ?

— Oui… Non… Je ne sais pas.

— C’est embêtant.

— Qu’est-ce qui est embêtant ?

— Que tu ne sois pas capable de dire si, comparé à la dernière fois, j’ai fait des progrès.

— (Énervée et ironique) Mais si, tu as fait des progrès ! À chaque fois tu fais des progrès ! Tu es en progrès constant !

— Tu dis ça pour me faire plaisir ? Parce que mes questions t’ennuient ?

— (Faussement accommodante) Mais non, mais non… Tes questions prouvent que tu t’intéresses à moi, que tu n’es pas égoïste. Je te rassure : c’était très bien, et tu es de plus en plus performant.

— Ah ! performant. C’est un mot agréable, c’est un beau compliment. Merci, Laetitia. Donc tu t’es rendu compte de ma petite innovation ?

— Quelle innovation ?

— Comment, quelle innovation ? Tu n’as pas senti la différence ?

— (Troublée, inquiète) Attends que je me souvienne…

— Ou tu n’as rien remarqué, ou tu as déjà oublié, et dans les deux cas c’est pour moi décevant.

— (Rayonnante) Ça y est, j’y suis. Tu as dit pour la première fois le mot youpi.

— Youpi ?

— Youpi ! Youpi ! Deux fois.

— (Stupéfait) Mais quand ?

— Au moment le plus intense.

— J’ai dit youpi youpi pendant que toi tu disais oui oui oui ?

— Oui, à peu près en même temps.

— Tu me fais marcher ?

— Je te jure que non. Si tu as dit deux fois youpi sans t’en rendre compte, c’est que tu n’étais plus toi-même. Tu étais en extase, et c’est tant mieux.

— Oui, mais pour qu’à ce moment-là, toi, tu remarques que j’ai dit deux fois youpi, c’est que tu n’avais pas décollé et que tu étais encore très lucide. Donc, ce n’était pas très bien ?

— (Très agacée) Mais si, c’était très bien ! Veux-tu que je te l’écrive ? Que je te le chante ? Que je crie moi aussi youpi ?

— Bon, d’accord pour youpi. Mais c’était une innovation involontaire, un produit de mon inconscient, un effet du plaisir, et non pas sa cause. Alors que je te demandais, Laetitia, si tu avais remarqué l’initiative que j’ai prise pour être, je reprends le terme que tu as employé, plus performant.

— Non, en dehors de youpi, je ne vois pas, désolée…

— Eh bien, d’habitude je suis un rythme techno, boum boum boum, avec parfois un peu de jazzy. Mais, cette fois, j’avais opté pour le paso doble, musique à deux temps très rythmée, ni trop rapide ni trop lente.

— Ah, bon… Tu sais, moi, la musique… Je n’ai pas d’oreille…

— Mais c’était une musique du corps, intime. Pas besoin d’avoir une bonne oreille.

— Franchement, non, je n’ai pas ressenti de différence.

— La techno et le paso doble, pour toi c’est la même chose ?

— Dans ce cas, oui, excuse-moi. Peu importe la partition puisque le tempo était le bon et le résultat excellent.

— Excellent ? Vraiment ?

— (De plus en plus excédée) Oui, mais oui, excellent ! Tu es fatigant, à la fin.

— S’il te plaît, une dernière question ?

— Vraiment la dernière ?

— Juré !

— Je t’écoute.

— Est-ce qu’il t’arrive de penser à Dieu en faisant l’amour ?

— (Stupéfaite) À Dieu ?

— Oui, à Dieu, pourquoi pas ? Dieu est Félicité, Jouissance, Extase, Béatitude. Il a tout à fait sa place dans un acte de recherche de dépassement de soi, de sublimation du corps et de l’esprit. Dieu est Amour.

— Eh bien, non, je ne pense pas à Dieu à ce moment-là.

— Dommage ! Il y a sûrement des femmes — des hommes aussi, mais je ne les approche pas dans ce genre de situation — qui ont la sexualité mystique. J’aimerais un jour en rencontrer une. Alors, je cherche…

— Non, pas moi.

— Mais alors, à quoi tu penses quand tu fais l’amour ?

— Ah, non ! Ça suffit ! J’en ai marre de tes questions. Marre ! Après l’amour, ce n’est plus un amant que j’ai dans mon lit, c’est un sondeur de la Sofres. Je me rhabille et je fiche le camp. Salut !

À la pudeur du langage, vous aurez remarqué, ô lecteurs amènes et sagaces, que j’étais encore très jeune. J’ai continué par la suite de soumettre mes partenaires à des questionnaires post-coïtaux, mais en employant un lexique plus technique, entériné par l’usage : queue, chatte, clito, jouir, etc. Plus de réalisme, moins de charme. Ça a toujours été le problème de mon activité professionnelle : le réalisme des questions ne retire-t-il pas du charme au monde ?