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— Quelles sont les instructions données par Jacob ?

— Tout d’abord, on interroge Buisson. Et vu qu’on ne connaît rien de la souche, on doit le convaincre d’aller passer quelques jours au centre des maladies infectieuses, histoire de suivre l’évolution de la maladie et de freiner une contamination certaine à d’autres personnes.

Amandine acquiesça, le regard grave.

— Il n’est peut-être pas le seul contaminé par ce nouveau virus. Tu y as pensé ?

— Pour l’instant, d’après le GROG, ce cas est isolé.

— Mais une bonne partie de la population passe à travers ces réseaux. C’est comme pour nos oiseaux. Pour chaque cadavre trouvé, il y en a une dizaine d’autres qu’on ne trouve pas.

— Je sais, je sais. Mais pour le moment, on n’a d’autre choix que de se fier aux indicateurs. En espérant qu’ils soient fiables et que Buisson soit effectivement notre unique cas.

Johan chercha une place de stationnement durant cinq bonnes minutes. Une fois garés, ils prirent leurs mallettes et s’engagèrent dans l’immeuble indiqué par l’adresse, après avoir sonné à l’Interphone. Amandine avait le visage marqué par l’inquiétude. Elle allait entrer dans la cage aux lions. Johan avait peut-être raison. Tout ceci n’était-il pas trop risqué ? Ne pouvait-elle pas faire l’impasse, sur ce coup-là, vu l’aspect inédit de la situation ?

Mais on n’approchait pas des virus inconnus tous les jours. Amandine voulait connaître le fin mot de l’histoire, comprendre comment le virus était arrivé ici, entre ces murs. La traque de l’invisible l’excitait.

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La mallette des biologistes contenait, en plus des produits antiseptiques et du matériel de prélèvement, des tenues neuves et emballées : charlotte, masque, gants, chaussons, combinaison avec fermeture ventrale.

Ils s’habillèrent sur le palier, se contentant du masque et des gants. Il valait toujours mieux éviter de transporter le virus avec soi en touchant les poignées de porte, le mobilier. Car, même à l’air libre, les microbes grippaux continuaient à vivre quelques heures. Et puis, les deux scientifiques ne connaissaient encore rien de cette nouvelle souche. Était-elle peu ou très contagieuse ? Quel était son délai d’incubation ? Son pouvoir de transmission ? Sa voie de contamination privilégiée ? Gastrique ou, comme la plupart des virus grippaux, respiratoire ?

Jean-Paul Buisson avait été prévenu que deux microbiologistes de l’Institut Pasteur allaient passer le voir, sans détenir davantage d’informations. Il fut néanmoins surpris et apeuré par les tenues lorsqu’il leur ouvrit. Johan se chargea de le rassurer, tandis qu’Amandine se tenait un peu plus en retrait, s’assurant que son masque épousait bien la forme de son visage. Buisson était porteur de millions de particules virales, il allait en propulser à chaque parole, à chaque éternuement. Des études montraient que des postillons invisibles pouvaient être envoyés jusqu’à deux mètres lors d’un simple éternuement. La grippe n’avait pas de cerveau, mais la nature l’avait dotée d’un objectif : trouver sans cesse des hôtes, pour s’y reproduire.

— C’est toujours impressionnant, mais ce sont de simples précautions. Vous avez la grippe et vous êtes sans doute contagieux.

Une fois à l’intérieur, le scientifique lui tendit un masque.

— Si cela ne vous dérange pas. Deux précautions valent mieux qu’une.

Buisson enfila la protection qui avait la forme d’un bec de canard, Johan vérifia qu’elle était bien positionnée. L’homme, en pyjama, était mal en point. Yeux injectés, profonds cernes noirs, traits marqués. Il emmena les deux scientifiques dans son salon et s’installa sur le canapé, emmitouflé dans une couverture. Une tasse de thé fumait sur la table. Johan s’assit, mais Amandine resta debout, les bras croisés.

— Le masque, votre venue ici… Vous ne m’avez pas tout dit. C’est grave, ce qui m’arrive ?

Amandine secoua la tête.

— Ne vous inquiétez pas. C’est juste que votre médecin fait partie du réseau GROG. C’est un outil puissant de surveillance de la grippe. Plusieurs centaines de médecins généralistes volontaires, mais aussi certains centres et laboratoires hospitaliers centralisent des données, remplissent des statistiques et font partir des prélèvements pour analyse, ceci dans un but de veille sanitaire et de prévention. Le souci est toujours le même : éviter que des microbes inconnus ne fassent la loi et ne se propagent dans les populations. Nous, on analyse et on vient surtout poser des questions aux gens qui ont subi des prélèvements. On est un peu comme des enquêteurs de police, mais pour les microbes. On les identifie, on les traque, on essaie de les empêcher de se diffuser. Vous comprenez ?

Il parut rassuré.

— Oui, oui, je vois.

Il toussa dans son masque. Amandine lui en tendit un neuf du bout des doigts, car un masque humide perdait vite son efficacité. Johan attaqua avec les questions. Il tenait une feuille posée sur un support rigide et un stylo.

— Tout d’abord, comment vous sentez-vous, monsieur Buisson ?

— Mal… J’ai fait presque 40 de fièvre, cette nuit. C’est un peu retombé, sûrement grâce aux médicaments.

— Vous avez déjà attrapé la grippe ?

— Deux, trois fois par le passé, oui… Mauvais souvenir chaque fois… Une belle cochonnerie, ce virus.

— Votre fiche indique que vous avez ressenti les premiers symptômes vendredi. C’est bien ça ?

Il réfléchissait au ralenti.

— Oui. Vendredi matin déjà, ce n’était pas trop la forme. Je n’avais pas faim, j’étais un peu fatigué. J’avais attrapé un rhume depuis trois ou quatre jours, et je me suis mis à tousser gras. Ça a empiré en milieu d’après-midi. Grosse fatigue, douleurs un peu partout, j’avais des tremblements. Je suis allé chez le médecin aux alentours de 17 heures.

— Vous êtes sorti ce jour-là ?

— Le matin, oui, pour acheter le journal.

— Où ça ?

— À cinquante mètres d’ici.

— Rien d’autre ?

— J’avais des trucs de prévus dans l’après-midi, mais j’étais trop mal… Je suis resté couché ici.

Johan prenait des notes.

— Avez-vous été, ces derniers jours, en contact avec des personnes ayant présenté des symptômes de la maladie ? demanda Amandine. Maux de tête, toux, pharyngite, rhinite, fièvre, courbatures…

— Pas à ma connaissance. Des gens qui toussaient par-ci, par-là, mais c’est un peu la saison, non ? Avec l’humidité de ces derniers jours…

Grelotant, il prit sa tasse de thé et la serra des deux mains. Il souleva un peu son masque et but une gorgée, avant de la reposer. Amandine fixa la tasse infectée. Depuis qu’elle était entrée ici, elle n’avait touché à rien.

— Le problème, c’est que je vois beaucoup de monde. Je fais partie d’une petite troupe de théâtre, on prépare un spectacle en ce moment. Je suis aussi trésorier d’un club d’aéromodélisme et je vais presque tous les soirs jouer au billard. Entre autres.

Johan acquiesça, mais ça n’arrangeait pas leurs affaires. Autant de canaux possibles pour attraper et diffuser le virus. Il se concentra sur ses questions, chacune d’entre elles étant importante.

— De manière générale, le délai d’incubation de la grippe, c’est-à-dire entre le moment où vous êtes contaminé et celui où la maladie se déclare et devient très contagieuse, est de plus ou moins quarante-huit heures. Ça peut évidemment être un peu plus court ou plus long, ça dépend de la souche grippale. Une idée d’où ou par qui vous auriez pu contracter la grippe ? Réfléchissez… Cela nous ramène aux alentours du milieu de la semaine dernière. Mercredi, jeudi, peut-être avant.