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Le malade s’enfonça dans son canapé.

— J’en sais rien.

— Vous tenez un planning de vos activités, un agenda ? Quelque chose ?

— J’enregistre mes rendez-vous dans mon téléphone, oui. Enfin, ceux qui sortent de mes habitudes.

— Nous aimerions le consulter.

Il posa les mains au niveau de ses tempes.

— Oui, oui… Excusez-moi, j’ai un peu de mal à me concentrer. On dirait que ma tête va éclater, c’est horrible.

Johan garda un instant le silence, afin que Buisson retrouve son attention.

— Je comprends. Pratiquez-vous la pêche en étang ? La chasse ?

— Non.

— Pas de voyage en dehors de la France ?

— Je l’ai dit à mon médecin qui a rempli la fiche. Non.

— La Baie de Somme ? demanda Amandine. Le parc du Marquenterre ?

— Qu’est-ce que je serais allé faire là-bas ?

Les deux scientifiques se regardèrent quelques secondes. Johan se pencha un peu vers l’avant, la voix étouffée par le masque.

— Avez-vous été en contact avec des oiseaux sauvages ces derniers temps ? Du genre canards, oies, cygnes… Dans un parc ? Un étang ?

Buisson soupira, puis plissa les yeux.

— Non.

— D’autres animaux ? Basse-cour, porcs ?

— Non, je vous dis. Je suis resté dans Paris. Pas d’animaux, pas de chiens, rien.

Amandine essayait de mettre de l’ordre dans ses idées. Buisson avait forcément contracté la maladie quelque part. Était-il le « patient zéro » ou le « cas index », celui qui était le point d’origine d’une possible épidémie ? Ou l’avait-il lui-même contractée de quelqu’un d’autre ? Quelqu’un qui se serait volatilisé parmi les millions de personnes de la capitale et qui, lui, aurait été en contact avec les oiseaux ? Et si tel était le cas, comment le retrouver ?

L’homme commençait à s’agiter. Il fixait Amandine et Johan d’un air méfiant.

— Qu’est-ce que des animaux viennent faire là-dedans ? Vous me parlez de porcs… Il n’y a pas eu une histoire de porcs infectés par la grippe, il y a quelques années ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Johan estima qu’il était temps de le mettre au courant. Il se racla la gorge.

— Monsieur Buisson, vous avez bien contracté une grippe de type A, c’est le type le plus répandu. Mais le problème, c’est que votre grippe est inconnue.

— Comment ça, inconnue ?

— Des analyses sont encore en cours, mais nous pensons ne jamais l’avoir rencontrée, même au niveau mondial. Ni aujourd’hui ni par le passé. Et vous êtes le seul malade humain identifié à ce jour à l’avoir contractée.

— Le seul ? Mais… comment j’aurais pu attraper une saleté pareille ?

— Nous l’ignorons. C’est la raison de notre présence.

Amandine prit le relais :

— Il faut savoir que le virus de la grippe mute tout le temps. Ses huit gènes sont comme huit joueurs d’une équipe de football. Des joueurs qui changent de poste en permanence, qui parfois quittent l’équipe pour être remplacés par d’autres, plus performants… Dans près de cent trente pays du monde, plus de cent cinquante laboratoires de surveillance passent leur temps à faire des prélèvements sur des malades et à dresser les portraits-robots de ces joueurs de foot. Ils surveillent la grippe depuis plus de soixante ans, avec autant de sérieux que les télescopes surveillent le ciel à l’affût des météorites. Eux l’infiniment grand, et nous l’infiniment petit. Vous comprenez ?

Il acquiesça.

— En France, on fait ça à Paris et Lyon. On a des albums complets de photos qui se ressemblent, mais il y a toujours de petites différences. Et quand on est face à une équipe qui ne colle pas avec les autres photos que l’on possède, on essaie de retrouver où, quand et par qui elle a été constituée.

Jean-Paul Buisson fut parcouru d’un frisson.

— Qu’est-ce qui va se passer, maintenant ?

— Nous aimerions que vous restiez quelques jours au centre des maladies infectieuses de Saint-Louis, dans le 10e arrondissement. Vous serez sous surveillance, on étudiera le comportement de ce virus, mais, surtout, vous ne contaminerez personne. Il est très important que cette équipe de foot ne se mette pas à faire un jubilé partout à travers la France, si vous voyez ce que je veux dire.

Le sexagénaire se leva, toujours enroulé dans sa couverture.

— Très bien. Je vais chercher quelques affaires.

Il prit la direction de sa chambre.

— Et vous n’oublierez pas de nous montrer l’agenda dans votre téléphone, fit Amandine en prenant le sien qui vibrait. Vous avez forcément eu un contact prolongé avec cette équipe de foot à un moment ou à un autre.

Elle répondit à l’appel en laissant son masque, discuta une minute et raccrocha, plutôt furieuse. Johan vint aux nouvelles.

— T’as l’air en rogne ?

— C’était un journaliste de La Voix du Nord qui s’intéresse aux oiseaux morts du Marquenterre. Je ne sais pas comment il a eu l’info ni obtenu mon numéro de téléphone. Je l’ai envoyé paître.

Le journaliste n’avait pas perdu de temps. Il faut dire que ces gens-là avaient des yeux et des oreilles partout. Ce n’était jamais bon d’envoyer bouler un journaliste, cela ne faisait que renforcer leurs interrogations, leurs suspicions. Cependant, Amandine ne voulait pas s’embarquer là-dedans, Jacob avait été clair et il y avait des cellules de communication pour cela. Toujours est-il que l’information sur les cadavres d’oiseaux allait se répandre dans la population. Des rumeurs circuleraient.

Et ça, ce n’était pas bon signe.

Son téléphone sonna de nouveau. C’était Phong. Elle s’isola pour discuter avec lui, puis revint vers Johan.

— Phong veut nous voir, il a des trucs à nous montrer. On s’assure que le malade va bien être pris en charge par Saint-Louis, on récupère son emploi du temps et on fonce chez moi.

— Des trucs de quel genre ?

— J’en sais rien. Il a juste dit qu’on allait halluciner.

[13]

Pascal Robillard ne se sentait vraiment pas bien.

Lorsque Lucie et Franck revinrent avec un sandwich acheté à la boulangerie du coin, il s’était assis contre un arbre à proximité de l’étang, la tête entre les mains. Il leva vers eux des yeux brillants, injectés de sang, et secoua la tête quand Lucie lui tendit à manger.

— Pas faim. J’ai froid, je tremble. Je crois que c’est la grippe. Faudrait qu’on me raccompagne chez moi, on n’a plus qu’une voiture.

Sharko se tourna vers Lucie.

— Tu le ramènes ? Je me débrouillerai pour rentrer avec l’IJ.

Lucie jeta un œil aux quatre plongeurs en combinaison qui venaient de s’enfoncer dans l’eau. Elle aurait bien aimé savoir ce qu’ils allaient remonter de ces fonds vaseux.

— Très bien. Tiens-moi au courant pour les découvertes.

— Et toi, fais attention de ne pas choper sa maladie. Ça n’a pas l’air joli-joli, et je ne voudrais pas que les jumeaux attrapent cette saleté.

Il s’adressa à Robillard :

— Bon courage… Tu montes à l’arrière le plus loin possible de Lucie, et garde la bouche enfoncée dans ton écharpe, s’il te plaît.

Robillard arracha son quintal du sol avec toutes les difficultés du monde. Ça faisait drôle de le voir ainsi amoindri, lui qui tenait toujours une forme olympique. Il disparut dans les bois, accompagné de la lieutenant.