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Bellanger soupira et se leva.

— Bon… Je vais aller expliquer tout ça à Lucie et Franck. Tu ne rentres pas sans moi, aujourd’hui, d’accord ?

Camille l’embrassa. Elle avait envie de lui dire qu’ils allaient l’avoir, finir par le coincer, mais elle sortit sans prononcer un mot.

[19]

Amandine enfila son masque, une paire de gants et sa combinaison, dont elle remonta la fermeture jusqu’en haut. Il fallait être prudent, les hôpitaux étaient dangereux, les microbes sortaient de la gorge des malades, se dispersaient dans les systèmes de ventilation, s’accrochaient aux poignées de porte…

Johan se contenta de prendre un masque, qu’il tint dans la main.

Une fois à l’intérieur de l’hôpital, ils prirent la cage d’escalier et se rendirent au service de pneumologie. Amandine ne toucha à rien. Ni rampe ni murs. Théo Durieux était dans une chambre isolée et n’avait pas droit aux visites pour le moment. Camille trouva le médecin qui s’occupait de son cas. Le patient souffrait de troubles de la vigilance, de désorientation, d’une fréquence respiratoire élevée. L’asthme avait tout aggravé mais ici son état était stabilisé.

— Vous avez expliqué à sa femme ?

— J’attendais vos retours d’analyse avant de l’informer de quoi que ce soit.

Son épouse attendait dans le couloir, allant et venant, les bras croisés. Amandine transmit les informations dont elle disposait au médecin et lui donna des instructions.

— Prévenez le personnel soignant. À partir de maintenant, on ne doit plus entrer dans sa chambre sans masque ni gants, à jeter à chaque fois. Aucune visite, on l’isole au mieux. Les hôpitaux sont des vecteurs privilégiés pour qu’un virus se propage. L’aération, les patients fragiles…

Le médecin acquiesça. Amandine se dirigea vers la jeune femme.

— Madame Durieux ?

— Qu’est-ce qui se passe ? On dit que c’est la grippe, mais…

Amandine entra dans le vif du sujet : Théo avait attrapé une forme de grippe inconnue dont on ignorait tout pour l’instant. Des analyses poussées étaient en cours, les chercheurs faisaient de leur mieux. Le plus important, dans l’immédiat, était de le prendre en charge, de comprendre comment il avait attrapé le virus et d’éviter qu’il ne se propage, d’où l’isolement.

Justine Durieux fixa Amandine avec une expression d’impuissance.

— J’ai deux enfants petits.

— Où sont-ils ?

— À l’école, en maternelle. (Elle regarda l’heure avec nervosité.) Je vais normalement les chercher dans une demi-heure. J’ai pris mes précautions quand on a su que mon mari avait la grippe. Mais… on a beau faire, les petits attrapent tout ce qui traîne. Qu’est-ce qui va leur arriver s’ils ont cette maladie ? Ils sont fragiles et…

— Ne vous inquiétez pas. Nous allons surveiller tout ça, d’accord ?

Elle acquiesça. Amandine ne laissait rien transparaître, mais tout se compliquait franchement. Avec un mari épidémiologiste, elle connaissait par cœur les chiffres, les statistiques, et ils étaient plutôt alarmants en termes de grippe. Un seul enfant atteint d’une grippe « classique » pouvait contaminer, à lui seul, presque 20 % des élèves de sa classe. Facile d’imaginer le carnage que faisait ensuite chaque petit contaminé. Le virus se propageait alors à la vitesse d’un feu de forêt. Sans oublier que les virus grippaux pouvaient être fatals pour les enfants en bas âge.

— À la sortie des classes, vous ne parlerez ni n’embrasserez personne, et vous ferez au plus vite. Vous et vos enfants êtes peut-être porteurs du virus, car il y a souvent une phase asymptomatique qui peut durer entre un et trois jours : vous êtes malade, contagieuse, mais vous ne le savez pas encore. Il faut à tout prix éviter de disperser le microbe.

— Porteurs ? Mais nous sommes tous vaccinés contre la grippe. Je ne comprends pas. À quoi servent les vaccins si…

— Je vous explique : votre mari a attrapé un virus grippal nouveau, mutant et imprévisible, contre lequel le vaccin de l’année ne le protège pas. C’est exceptionnel, il faut fabriquer un nouveau vaccin et cela prend du temps.

Amandine reprit sa respiration, appuyant un peu sur son masque. Elle pensait encore aux cygnes disposés en cercles.

— Depuis quand Théo présente-t-il des symptômes ?

— Il a été vraiment mal dans la nuit de vendredi à samedi.

Ça correspondait au cas Buisson. Les deux hommes avaient dû contracter le virus en même temps…

— Et vous, comment vous sentez-vous ?

— Ça va.

— Très bien. Voilà ce qui va se passer : vous allez garder vos enfants avec vous. Vous vous enfermez dans votre appartement, ne sortez pas et ne répondez à personne. Nous allons contacter un médecin, qui va venir chez vous pour vous examiner et prescrire des antiviraux. C’est un traitement préemptif pour éviter ou freiner l’apparition de la grippe.

Amandine lui tendit une carte du bout des doigts.

— Si vous voyez que vous ou vos enfants présentez des signes, vous nous informez, d’accord ? C’est très important.

— D’accord.

— Vous ou votre mari connaissez-vous un certain Jean-Paul Buisson ?

— Pas moi, en tout cas.

— Pourriez-vous me donner l’emploi du temps précis de votre mari, la semaine dernière ? Je dirais, à partir de mercredi.

— Je… Je ne sais pas… Pourquoi ces questions ?

Amandine soupira et signala au médecin qu’elle entrait dans la chambre.

— J’essaie de comprendre comment il a contracté la grippe.

Johan était au téléphone, il fit signe à Amandine d’entrer sans lui. Elle prit son inspiration et pénétra dans la fosse aux lions.

[20]

Face à Amandine, Théo Durieux était éveillé mais mal en point, allongé, le visage orienté vers le plafond. Il respirait lourdement dans un masque à oxygène. Amandine s’approcha mais laissa un bon mètre de distance entre eux. Il fallait rester concentrée. Elle jouait avec le feu. Le virus était là, en pleine activité, et ne demandait qu’à pénétrer ses voies respiratoires.

Elle se présenta et réitéra les questions qu’elle avait déjà posées au malade précédent.

Théo Durieux parvint à répondre, entre deux grosses respirations.

— Je… ne suis pas vraiment sorti de ma routine habituelle. Travail, métro, j’ai mangé une fois dans une pizzeria avec un collègue, j’ai aussi couru deux fois, le midi.

Amandine releva les noms qu’il parvint, avec bien du mal, à lui dicter.

— … Le soir, je… rentre directement chez moi, après une demi-heure de trajet en métro. Je suis comptable au 36, quai des Orfèvres. Je bosse au département administratif…

Amandine nota et poursuivit l’interrogatoire. Comme Buisson, aucun contact avec des animaux sauvages, aucun voyage. La jeune femme notait tout ce qu’elle pouvait, mais elle avait du mal à y voir clair. Durieux et Buisson avaient déclaré la maladie en même temps, ils avaient forcément été en contact relativement prolongé avec un même individu qui leur avait transmis le virus aux alentours de mercredi. Mais qui ? Et à quel endroit ?

Elle sortit de la chambre, il n’était déjà pas loin de 16 h 30. Johan leva son téléphone portable en venant dans sa direction.

— Je viens d’avoir Jacob. Ça y est, on commence à en savoir plus sur notre virus. Et ce n’est pas réjouissant.