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Amandine fixa les autres oiseaux présents sur l’étang. Des canards, des aigrettes, des poules d’eau… Des porteurs potentiels de virus, qui n’allaient pas tarder à poursuivre leur migration vers des zones plus clémentes. Et jouer leur rôle, comme n’importe quel être vivant, de vecteur à microbes.

Les deux scientifiques enfilèrent leurs tenues de protection : gants, combinaisons, masques, charlotte pour Johan, surbottes en papier. Ce dernier expliqua au directeur le processus, tandis qu’Amandine sortait le matériel.

— En complément du travail des services vétérinaires, nous allons prélever des échantillons d’eau, de boue et de sédiments là où se trouvent les fèces des cygnes morts. Le virus — s’il s’agit bien d’un virus — s’est dilué dans des milliers de litres, mais vous vous doutez bien qu’on ne va pas recueillir de telles quantités dans le coffre de la Kangoo et tout analyser en laboratoire…

— On va remplir le jerricane à plusieurs reprises, aspirer l’eau avec cette pompe, piéger les micro-organismes avec des filtres spéciaux, de façon à ne garder, au final, que quelques millilitres de liquide. Liquide dans lequel il y aura une forte concentration microbienne, compléta Amandine.

Pion allait et venait nerveusement. Les explications semblaient lui passer par-dessus la tête.

— Mes employés sont sur le carreau, des gens attendent à l’entrée de la réserve. Quand est-ce que je vais pouvoir rouvrir le parc ?

Les scientifiques échangèrent un regard. Johan se tourna vers la barque qui revenait et fit un petit signe amical, laissant à Amandine le soin de donner des explications.

— Une fois que nous aurons les échantillons, nous les transmettrons au Centre national de référence grippe de Pasteur-Paris. Ce CNR est le seul laboratoire, avec Lyon, qui se charge de tout ce qui concerne la grippe à l’échelle nationale. Quelques heures après, si tout se passe bien, on saura s’il s’agit d’un virus type grippe aviaire H5N1.

— Et si c’est le cas ?

— Il y aura une fermeture probable de votre réserve quelques jours, le temps de s’assurer qu’il n’y a pas d’autres oiseaux morts et que le préfet prenne une décision.

— Fermer toute la réserve à cause de trois cygnes morts ? Mais…

— Nous sommes désolés, les protocoles à suivre en cas de soupçons de grippe aviaire sont très stricts. Vous connaissez comme nous le risque de propagation aux élevages et la dangerosité de ce virus. Le périmètre de sécurité doit être le plus vaste possible.

Pion hocha la tête avec résignation. Toutes ces précautions lui paraissaient tellement exagérées. Ce n’étaient que trois cadavres de cygnes après tout, et peut-être qu’il aurait mieux fait de ne rien dire et de balancer les oiseaux à la poubelle. Inquiet, il s’éloigna pour passer des coups de fil.

Johan et Amandine saluèrent les membres des services vétérinaires de l’ASN. Les échanges furent brefs et courtois. Puis ils prirent place sur la barque, dirigée par les pompiers qui ramèrent jusqu’aux petits bouchons que leurs collègues avaient laissés pour marquer les emplacements des cygnes. Ils remarquèrent les fèces, piégées dans les algues de surface.

— C’est parti !

En silence, ils remplirent le jerricane avec de l’eau de l’étang, prélevèrent des sédiments, de la boue, sortirent la pompe, montèrent les filtres, les tuyaux, et mirent le système en route. C’était artisanal, mais ça fonctionnait bien. L’eau fut aspirée dans le jerricane et transférée vers les filtres spéciaux destinés à recueillir les micro-organismes pendant plus de deux heures.

Amandine ressentit un léger frisson lorsqu’elle rangea les échantillons de liquide dans des emballages biologiques spéciaux ADR, triple épaisseur. Peut-être qu’il était là, invisible, endormi, prêt à tuer, le fameux H5N1 de la grippe aviaire. Ce tueur en série infectait très rarement l’homme — il fallait en respirer de très grosses quantités dans les élevages déjà malades —, mais quand il le faisait, il tuait une fois sur deux.

Mission accomplie. Les deux traqueurs de microbes disparurent discrètement avec leurs valises et leur jerricane, sous le regard de quelques touristes curieux ou ornithologues qui attendaient à l’entrée du parc. On les prenait sans doute pour des employés de maintenance. Et c’était tant mieux.

Après avoir mangé un morceau dans une brasserie du coin, ils reprirent l’autoroute et rejoignirent la capitale. Périphériques, bouchons, coups de klaxon. Amandine n’avait pas vu la journée passer et sentait un mal de crâne pointer. Cela lui fit penser qu’elle avait oublié de prendre son Propranolol.

Ils regagnèrent enfin l’Institut Pasteur. La jeune femme regarda sa montre, tandis que Johan sortait les valises du véhicule.

— Presque 19 heures, bon sang. J’ai promis à Phong que je ne rentrerais pas trop tard.

Johan lui adressa un mince sourire.

— Ne t’inquiète pas, je gère. J’ai un peu de boulot à rattraper au labo, de toute façon.

— Bon, je passe à la décontamination avant. Merci, Johan.

— Et déstresse un peu, Amandine, d’accord ? Tu bosses trop.

— Pas simple, mais je vais essayer.

— Au fait, tu vas parler des cygnes à Phong ? Il a toujours ses connexions à l’OMS[5] ? Il pourrait nous filer quelques infos croustillantes qu’on n’aura jamais par Jacob.

— Je ne sais pas si j’ai envie qu’il mette le nez là-dedans. Tu le connais, quand il est sur un sujet, il ne lâche jamais le morceau.

Johan claqua le coffre de la Kangoo.

— À toi de voir, mais ça l’occuperait un peu.

— Phong ne s’ennuie pas.

Elle avait répliqué un peu sèchement.

— Alors bon courage, Amandine. À lundi.

Bon courage… Il avait trouvé la juste expression.

Parce que pousser la porte de son loft de banlieue, au sud-ouest de Paris, était loin d’être un soulagement.

La plupart du temps, c’était même une épreuve.

[3]

Amandine salua Phong de loin lorsqu’elle franchit le seuil de la porte.

Il lui répondit par un petit signe à travers la porte vitrée fermée. Amandine avait envie de le serrer dans ses bras, de l’embrasser, comme le feraient n’importe quels mari et femme après avoir passé une journée séparés l’un de l’autre.

Mais elle ne pouvait pas à cause des vitres en Plexiglas.

Il fallait avant ça passer par la case douche.

Éliminer un maximum de microbes. Encore et encore.

Le grand loft de deux cent vingt mètres carrés comprenait deux salles de bains, deux salons, une grande cuisine et une petite. Le tout cloisonné avec des vitres incassables ou des murs pleins, et un réseau compliqué de couloirs translucides, afin que les deux époux ne se croisent pas.

Quand tout allait mal, elle avait son espace privé, et lui le sien. Ils marchaient dans des couloirs parallèles, et jamais l’un n’empiétait sur le territoire de l’autre. Deux êtres séparés, vivant sous le même toit, dans un étrange labyrinthe.

Et pourtant ils s’aimaient.

Dans sa salle de bains, Amandine fourra ses vêtements dans le panier à linge, au-dessus d’une grosse boîte à pharmacie bondée et d’un calendrier où elle avait coché toutes les dates de ses menstruations. Elle se savonna énergiquement avec le gel antimicrobien le plus efficace du marché — ses collègues de Pasteur-Lille en testaient les caractéristiques —, se massa le crâne avec un shampoing qui éliminait en même temps le moindre germe et se rinça abondamment à l’eau brûlante. Puis elle s’essuya avec une serviette traitée à l’aide de lessives et d’adoucisseurs spéciaux, antimicrobiens.

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5

Organisation mondiale de la santé.