Выбрать главу

Sur sa page, CrackJack faisait état de ses attaques. Des serveurs piratés, des bases de données rendues publiques pour couler de petites entreprises. Il avait également fabriqué un cheval de Troie, six mois auparavant, afin de récupérer des informations personnelles de particuliers : numéros de comptes en banque, etc. Ce type avait dû ruiner des centaines de personnes, anéantir des vies…

La dernière ligne indiquait « Attaque du serveur de la police judiciaire ».

Ce salopard s’en vantait, et ça mettait Sharko hors de lui.

— Ça prend longtemps à mettre au point, un virus ?

— Plusieurs semaines, voire des mois.

— Comment on retrouve cette pourriture ?

— C’est ça, le problème. On ne le retrouve pas. Je vous l’ai dit, tout est anonyme. Le seul moyen de le coincer, c’est de le voir physiquement, à un rendez-vous par exemple… Mais… ce genre de type ne sortira jamais de sa tanière. Ils sont malins.

Sharko se redressa.

— C’est tout ?

— C’est tout. Pas de tour de magie, désolé.

— Bon… Merci quand même. Et si vous avez du neuf…

Les deux policiers le remercièrent et sortirent du bâtiment. L’air frais du dehors leur fit du bien. Sharko lorgna la Seine, son flux tranquille, réfléchit quelques instants et revint vers Lucie.

— On est impuissants. On ne peut que constater les dégâts. Nos collègues qui tombent malades, les virus qui se répandent. Et personne à traquer, pas d’empreintes à relever ni de témoins à interroger. Juste des fantômes, des types derrière des écrans. Merde, c’est moi qui suis trop vieux ? On sert à quoi, là, avec nos flingues ?

Lucie sentit à quel point Franck était aigri. Tout ça — Internet, les virus invisibles —, ça n’était pas pour lui. Il avait besoin de sentir, de battre le pavé, de s’enfoncer dans l’obscurité à la poursuite d’êtres de chair et de sang.

— Ils sont juste très organisés, plus encore que dans toutes nos enquêtes précédentes. Ils naviguent dans les profondeurs, comme des rats. Ils sont tapis dans l’ombre, très patients. Mais… même au fond, il faut un peu de lumière pour s’orienter. Cette petite lumière, c’est leur faille. À nous de la trouver.

— Justement, en parlant de lumière, j’ai quand même besoin d’y voir clair dans cette histoire. Donc, si on résume : CrackJack se fait contacter sur le Darknet pour fabriquer un virus informatique, c’est bien ça ?

— Oui. Et c’est probablement l’Homme en noir qui se met en relation avec lui.

— Ce virus, il le répand dans nos systèmes informatiques, et un message nous avertissant d’un « Déluge » apparaît.

— Le Déluge arrivera d’abord par le ciel, puis l’Apocalypse sortira des entrailles de la terre…

— Quand nos ordinateurs ont-ils été « contaminés » ? demanda Franck.

— Lundi.

— C’est à peu près en concordance avec la dispersion du virus de la grippe, le mercredi précédent. Les premiers cas se déclarent, pendant que le virus informatique nous explose à la figure.

— Exactement. CrackJack et l’Homme en noir sont en relation, ils communiquent, s’organisent pour que ces deux opérations concordent. Ils sont proches…

— Proches et loin en même temps. Comme disait Tomeo, ils ne se sont peut-être jamais vus.

— Ou peut-être pas.

— Bref, on n’a aucun moyen de le savoir. Et ça m’énerve.

Sur ces réflexions, le téléphone de Franck sonna. Il décrocha.

— Sharko…

— Ouais, c’est Chapnel. J’ai fait le tour des bureaux concernant ta requête sur la disparition de SDF. On a eu une plainte, il y a trois semaines.

Sharko tendit l’oreille. Enfin un peu de concret.

— Je t’écoute.

— Un drôle d’appel depuis les bureaux de la Brigade fluviale. Un clodo, qui prétendait que deux de ses voisins avaient disparu. On a quand même enregistré la plainte, le collègue a fait un aller-retour pour constater, sans plus. Le type était défoncé, il délirait pas mal. À ce qu’il racontait, ses deux voisins auraient été emportés par un mec en costume noir avec des griffes en métal gigantesques. Bien sûr, personne n’a pris le truc au sérieux et…

— Ça m’intéresse.

[29]

Séverine Carayol ne répondait ni aux appels ni aux SMS qu’Amandine lui envoyait depuis une bonne heure.

Dans le métro, Amandine avait ressassé l’épisode du portique au Palais de justice. D’infimes gouttes de salive sur son visage… ça avait duré dix secondes, mais c’étaient peut-être dix de trop. Les grippés du Palais étaient forcément passés par ces portiques, eux aussi. Ils avaient peut-être parlé au gendarme en faction et l’avaient contaminé.

Et si elle le portait désormais en elle, ce virus ? Et s’il était en train, en ce moment même, de se multiplier dans son organisme, de s’accrocher à ses cellules pour tenter de les détruire ? La jeune femme sortit un cachet antiviral et l’avala. Mieux valait dépasser la dose conseillée que d’attraper cette monstruosité et la rapporter au loft.

Comme s’il s’agissait d’une transmission de pensée, Phong l’appela pour prendre des nouvelles. Amandine lui expliqua que c’était compliqué, qu’apparemment le cœur de la police judiciaire française avait été touché. Elle ne lui parla pas de l’épisode du masque. Elle devait encore réfléchir à la décision qu’elle allait devoir prendre en rentrant chez eux.

— Pas de bonnes nouvelles non plus de mon côté, fit Phong. Les données affluent de la Shoc Room. Des oiseaux continuent à mourir, et de plus en plus loin d’ici. Ils sont désormais du côté du Bassin aquitain et des côtes landaises. Les foyers sont multiples. Des dépêches AFP tombent sur Internet. En plus du virus, des rumeurs se propagent. Je crois que, cette fois, le pire est à envisager. H1N1 et la peur qu’il brasse dans son sillage sont en route, on dirait.

— Jacob pense qu’il n’est pas trop tard. Il espère encore que le virus se transmette plus mal que la grippe saisonnière, qu’il peine à se propager dans la population.

— Sacrément optimiste quand on voit ce qui se passe avec les oiseaux.

— C’est peut-être plus compliqué avec les humains ?

— Je l’espère. On se voit ce soir, Amandine. Je pense à toi, j’ai envie de me serrer contre toi. Tout cela est tellement effrayant.

Amandine marqua une petite hésitation avant de répondre.

— Je pense aussi à toi. À ce soir.

Elle raccrocha, triste. Phong d’un côté, le virus de l’autre. Deux pensées antagonistes. Deux ennemis jurés.

Porte de Saint-Cloud, Paris-Ouest. Au bout de quarante minutes, Amandine remonta en toute hâte l’avenue Pierre-Grenier. Séverine habitait un petit appartement anonyme aux portes d’Issy-les-Moulineaux. La laborantine était une jeune femme discrète, introvertie, peu bavarde, qui n’assumait pas ses rondeurs et sortait peu. Amandine ne l’avait jamais connue avec un homme sauf ces derniers temps : Patrick Lambart, un médecin qui l’avait, semblait-il, méchamment plaquée.