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Nicolas Bellanger quitta les policiers municipaux et les rejoignit, un petit carnet Moleskine à couverture noire dans la main. Il le referma d’un geste sec et le glissa dans la poche intérieure de son blouson.

— Il s’appelle Félix Blanché, 53 ans. Il habite une maison à cinq cents mètres d’ici, où il vivait avec sa femme et son chien. Des policiers du coin et le médecin de famille sont chez lui. La femme est mal en point.

Le lieutenant Sharko imaginait aisément l’ampleur du choc. La pauvre épouse ne s’en remettrait sans doute jamais. Dire qu’ils allaient devoir l’interroger… C’était ce que Sharko détestait par-dessus tout, ce qui lui fichait la haine, la hargne. Ces putains d’assassins prenaient non seulement des vies, mais ils détruisaient des familles. Souvent, les proches ne surpassaient pas l’épreuve et devenaient de véritables zombies.

— Que donnent les premiers relevés d’indices ?

— Les techniciens ont trouvé des petits morceaux de feuilles de menthe écrasées aux alentours du corps et des fragments qui ressemblent à des morceaux d’éponge. Tout cela va partir pour les analyses.

Sharko souffla par le nez.

— De la menthe et des éponges, ben voyons.

— Pas d’empreintes de pas pour le moment, trop de feuilles, sol relativement sec. Ils n’ont pas encore trouvé de sang ailleurs, c’est hyper vaste. On ne sait pas vraiment où il a été tué. Là, ou plus loin.

Il regarda l’heure.

— J’ai des coups de fil à passer. Robillard va rester avec l’IJ pour récupérer les infos en direct. Allez voir la veuve, il faut agir avant que tout se complique. Allez-y mollo, elle sait juste que son mari s’est fait assassiner, mais pas comment. Et revenez avec de la bonne info. Ça serait pas mal pour l’équipe de plier cette affaire rapidement. On a besoin de marquer des points.

Sharko réajusta le col de son trois-quarts boutonné et, à l’instar de sa compagne, mit les mains dans ses poches.

— On peut toujours rêver.

[7]

Alexandre Jacob avait regroupé neuf des douze scientifiques du GIM dans une salle de réunion de l’Institut Pasteur à Paris. Parmi le personnel manquant, deux étaient en mission quelque part en Asie du Sud-Est, le troisième travaillait sur une urgence dans le laboratoire du CNR grippe.

Des gobelets de café étaient enserrés dans les mains ou traînaient sur la table. Sur le grand tableau blanc, au fond de la salle, les vestiges d’événements que d’autres équipes de Pasteur avaient passés en revue : série d’infections au Pseudomonas aeruginosa au CHU de Clermont-Ferrand, accident de radiothérapie dans un hôpital de Lyon, malaises dans une crèche suite à la consommation de jus d’orange…

Cette réunion improvisée du lundi matin n’augurait rien de bon. Amandine et Johan se tenaient l’un à côté de l’autre, en bout de table. Visages fermés, inquiets, en attente d’informations. La jeune femme avait fait part à son collègue des données fournies par le contact de Phong à l’OMS. Johan avait marqué sa stupéfaction en passant ses mains de chaque côté de sa raie et avait juste dit : « Ça craint. »

Jacob avait allumé le rétroprojecteur, auquel il connecta son écran d’ordinateur portable. Apparurent alors des sphères colorées en violet sur un fond bleu ciel. Celles-ci semblaient dotées d’une couronne sombre entourée de milliers de cheveux. Au centre, on distinguait de petites billes translucides. Amandine reconnut le virus de la grippe, espèce d’oursin moelleux qui n’avait rien de sympathique.

— Tout ce qui sera dit dans cette pièce doit rester dans cette pièce. Le ministère de la Santé, l’IVE et les hautes instances exigent de nous la plus grande discrétion. La presse finira par être au courant pour les cygnes, mais cela ne doit pas venir de nous. Évidemment, aucun d’entre vous n’est autorisé à lui révéler quoi que ce soit sans mon autorisation.

Il balaya l’assemblée du regard. Ses yeux bleus, ronds et petits étaient profondément enfoncés dans leurs cavités, sous un front proéminent. Amandine pensait à un tamanoir chaque fois qu’elle le voyait. Elle s’était toujours dit qu’il devait avoir un cerveau largement plus gros que la moyenne, vu la taille et l’étrange forme de sa boîte crânienne sur laquelle se battaient quelques cheveux blonds.

— Bon, comme vous le savez tous, nous avons découvert vendredi trois cygnes morts dans le parc du Marquenterre. C’est Amandine et Johan qui ont été chargés des prélèvements, en collaboration avec les services vétérinaires de l’ASN.

Il appuya sur un bouton. Des images d’oiseaux morts de différentes espèces défilèrent.

— Entre jeudi après-midi et hier soir dimanche, 22 heures, quarante-sept autres oiseaux migrateurs ont été retrouvés morts dans différentes réserves surveillées en Europe. Des cygnes sauvages, des oies, des grues cendrées…

Petite clameur dans le groupe. Amandine et son collègue échangèrent un regard soucieux. Il y avait donc eu de nouveaux cas depuis le mail du contact de l’OMS. Presque cinquante migrateurs recensés, des espèces différentes disséminées un peu partout… Ça commençait à faire beaucoup.

— Vu ce nombre important et la large répartition géographique, il y en a probablement eu des dizaines, voire des centaines d’autres, non découverts ou non signalés, qui traînent au milieu de la nature, poursuivit Jacob.

Le chef désigna l’écran, il avait de nouveau affiché l’agrandissement du virus. Puis il orienta son regard vers une jeune femme d’une trentaine d’années, en blouse blanche, aux cheveux d’un noir corbeau coupés au carré. Elle tripotait son gobelet avec nervosité, les lèvres serrées.

— C’est Séverine qui s’est chargée de l’analyse des prélèvements effectués dans le Marquenterre. Séverine ?

Séverine Carayol se leva. Un brin de femme boulotte et discrète. Elle travaillait au CNR grippe depuis cinq ans et passait ses journées et parfois ses week-ends à reproduire les mêmes gestes, utiliser les mêmes protocoles. Elle analysait des prélèvements. Amandine et elle se connaissaient bien depuis la fac, et là où Amandine s’était envolée, Carayol, elle, s’était embourbée. Son travail à Pasteur n’avait rien d’excitant, mais elle le faisait avec professionnalisme.

— Les résultats montrent qu’il ne s’agit pas de H5N1, mais on soupçonne fortement la présence d’une souche de sous-type H1N1. On continue les analyses en ce moment même.

C’était tout, Séverine n’était pas une grande bavarde. Elle se rassit. Une inquiétude générale marqua les visages. Les grippes de type H1N1 étaient plus communément appelées, lorsqu’elles circulaient parmi les humains, grippes saisonnières. Chacun avait contracté l’une de ces formes, un jour ou l’autre, et en connaissait les caractéristiques : toux, fièvre, courbatures, tremblements… Elle avait un très fort pouvoir de transmission et tuait encore des centaines de milliers de personnes dans le monde.

Jacob leva l’index.

— Tu aurais pu être un peu plus explicite, Séverine. Ce virus prélevé dans le Marquenterre nous donne du fil à retordre. Les tests avec les immuns-sérums de référence, les sous-typages classiques n’ont rien donné. On a dû le séquencer en partie pour le comparer aux banques de données mondiales. Il n’y a pas, là non plus, de correspondance. Certaines parties de son génome nous font penser à du H1N1, mais, ce qui est certain, c’est que ce virus est inconnu.

[8]

Dans la salle de réunion, les regards se croisèrent, inquiets. Pour Amandine, « virus inconnu » signifiait deux choses : pas de parade possible du système immunitaire et, surtout, pas de vaccin. Elle se rappelait le chaos créé pendant la pandémie Influenza H1N1 — la fameuse grippe mexicaine — de 2009. Là aussi, souche inconnue, jaillie du fin fond du Mexique, qui avait en quelques semaines fait le tour du monde. Amandine avait encore en tête les statistiques : le 21 avril 2009, une centaine de cas. Le 6 mai, 1 600 cas, le 13, 5 200, et ainsi de suite, jusqu’à une répartition sur toute la planète. Une menace sérieuse qui prouvait que les virus ne cessaient jamais leur évolution au sein de la nature pour continuer à déjouer les systèmes immunitaires et ainsi à prospérer.