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Pile qu’il rentre, y a Ramadédeux, la fille aînée des Blanc (ainsi prénommée parce que sa chère maman s’appelle Ramadé), qui tire un penalty avec une boîte de conserve vide retrouvée dans la poubelle sous l’évier. Maria a la présence d’esprit de se pencher et c’est le visiteur qui la morfle pleine poire. Voilà son petit bout de nez rond entaillé. Il pisse le sang au milieu de notre vestibule, sans piger ce qui vient de se produire. Félicie cavale à fond de train jusqu’à son armoire à médicaments. Elle détient une véritable pharmacie, ma vieille. Chez nous, tu peux souffrir de n’importe quoi, elle est cap’ de te soigner. Un vrai dispensaire ! Bien entendu, les chiares se marrent. Jérémie houspille la fautive, mais pour la forme, car il a toutes les indulgences pour ses rejetons, le grand primate.

Ramadé, plus motivée puisqu’elle vit davantage au contact de sa lignée, distribue des mornifles en gueulant dans leur dialecte du fleuve Sénégal. Tout ça fait très folklo. Le gros gus perd pied au milieu de cette peuplade surexcitée. M’man le fait asseoir et se met à lui étancher le raisin. Au bout de chiche, le voilà barbouillé de mercurochrome dans la région nasale (ce qui n’ajoute rien à son charme), et pourvu d’un fort sparadrap qui escamote entièrement son faible appendice. S’il est vrai que le sexe soit en rapport de taille avec le pif, il doit pas trimballer grand-chose dans son kangourou le quidam. Ça se situe dans le calibre gnocchi, son bistougnet. Même poché à l’eau bouillante, t’arrives pas à le faire gonfler valablement ! Quand il déballe l’outil, la première fois, y en a pas de seconde ! Sa partenaire se slipe à tout-va dans l’escadrin de l’hôtel en clamant comme quoi elle fait pas collection de cure-dents !

Tu l’entendrais maugréer sous son pansement, le calvitié ! Il a le renaud méchant ! Il annonce qu’il va déposer une plainte : dommages intérêts, coups et blessures, la lyre… Ma Féloche s’escrime à lui expliquer que des enfants, c’est des enfants. Ramadédeux ne l’a pas fait exprès de lui calamiter le tarbouif ! C’est une malencontruosité. S’il tient à consulter, elle peut faire venir notre médecin de famille, l’un des rares toubibs qui acceptent encore de se déplacer, car, de nos jours, faut porter ses agonies dans les cabinets médicaux, pas surmener nos praticiens. Mais le vilain teigneux refuse. Il réserve les suites, ou je ne sais quoi ! N’en plus, risque d’odieux sarcasmes relatifs à la couleur de la garnemente qui lui a infligé cette blessure. Que pas étonnant d’être attaqué par des gens de cette espèce. Pauvre France, si en butte ! Pillée, démantelée, dépecée par des vautours de toutes sortes, en tout cas pas blancs de plumes.

Pendant qu’il vitupère, je l’examine acuitement, cherchant dans mes souvenirs où j’ai déjà rencontré cet énergumène. Un être douteux, pas frais, à virguler dans le vide-ordures. Nous n’avons pas eu des rapports très suivis, lui et moi, mais nos routes se sont croisées, pas de doute !

Enfin, l’incident se tasse un peu. M’man emmène les lardons jouer dans le cabanon au fond du jardin, là qu’on remise les outils, les meubles d’été et un tas de charogneries en tout genre qui va faire leur bonheur. Ils vont pouvoir s’en payer une tranche, les Attila de la famille Blanc. Mettre à sac la masure que je me propose de faire aménager en appartement d’amis un jour. Mais ce qui me retient, c’est que nous n’avons pas d’amis suffisamment amis pour qu’on puisse les tolérer longtemps dans notre espace vital. J’entendais le commandant Cousteau (des Epinettes et de l’Académie française) l’autre jour, qui déclarait que les Français sont les gens les moins hospitaliers du monde.

Il n’a sûrement pas tort ; mais moi je sais la raison de cette inhospitalité : le Français il a horreur qu’on le fasse chier. Il sent bien que son existence est brève, le Français. S’il doit se casser les couilles à héberger des gens, il préfère pas avoir de potes ; se garde pour soi tout seul, s’économiser un max ! Merde ! elle est assez duraille à assumer, l’existence, non ? Et tu voudrais, de surcroît, vivre pour des gens dont, franchement, t’as pas grand-chose à cirer, toi ? Un gueuleton, il veut bien le Français, c’est pas long et c’est l’occasion d’une belle jaffe. Mais garder des mecs sous son toit, tu parles d’une méchante corvée ! Ma pomme, quand ça m’arrive d’héberger, je compte les jours, les heures, même ! Je secoue ma montre dans l’espoir que ses aiguilles tourneront plus vite. Ce qui t’explique que notre cabanon, c’est pas pour demain qu’il deviendra annexe pimpante de la maison mère.

Et bon, la horde déferlant dans les communs, nous voilà plus aptes à converser, le blessé et moi.

— Je suis maître Jean-François Krackzyblum, déclare le pernicieux, mais nous nous sommes déjà rencontrés aux assises pour le procès Tuladanle.

Ça y est ! je savais bien que cette sale frite faisandée ne m’était pas inconnue. Me Krackzyblum, c’est l’avocat marronnasse dans toute sa splendeur. Je devrais pas lui donner ce nom-là, ils vont croire que je suis raciste ! Faut penser à tout ; pas heurter les sensibilités, comme on dit. Un blaze pareil, ils vont clamer que je front-nationalise, c’est couru. Donc, au temps pour moi, il s’appelle plus Krackzyblum. Rectifié ? Admis ? Merci. Mais Jean-Marie Le Clanche. T’as noté ?

Je te disais que comme planche pourrie tu pouvais pas trouver pire. Toutes les affaires qui puent fort la merde ou la sanie, il en est, Le Clanche. Plusieurs fois, il a failli se faire radier du Barreau. Les blâmes qui lui furent infligés, il en tapisse les murs de son cabinet (un cabinet qui sent fort la fausse aisance et la fosse d’aisance). Moi, l’éclair ! Je pige que c’est ce fumelard que la tantine à Toinet nous dépêche. Elle n’a pas traîné et, naturellement, a fait appel à la pire sous-merde qu’y se puisse trouver au Palais de Justice en dehors de certains prévenus. Alors je souris.

— C’est la femme Turpousse qui vous envoie, mon bon maître ? narquois-je. Je m’étonne que vous vous déplaciez chez la partie adverse, et ce sans même prendre rendez-vous. N’est-ce pas contraire à la déontologie ?

Il touchotte le pansement dissimulant son brin de pif. Il est inquiet pour son look, le forban. Des fois qu’il cesserait de séduire les duchesses de bastringue composant son ordinaire ! Puis, il l’oublie vingt secondes et déclare :

— J’ignore de qui vous parlez, commissaire.

Au temps pour moi. J’ai l’air malin du gonzier qui annonce un carré d’as à la belote et qui s’aperçoit, en le couchant sur le tapis, qu’il se compose de quatre as de pique.

— En ce cas, quelle est la raison de votre visite ?

— Si l’on ne m’avait pas fait éclater le nez au moment où j’ai franchi votre seuil, vous le sauriez déjà ! aigrise le maître.

Je pose ma main peu dégoûtée sur son épaule peu ragoûtante et l’entraîne vers le petit salon au piano droit déjà mentionné quelques merveilleuses pages plus haut.

Il choisit la bergère, plus apte à héberger son sale gros cul de goret.

— Et moi qui viens ici pour vous rendre service, geint Le Clanche (ex-Kracskzyblum).

Lui ! Me rendre service à MOI !

Mais le seul service que je peux attendre de cet être abject, c’est son départ de la maison ! Il a la présence rouilleuse, tu comprends ? Il dégage des ondes et des odeurs, des impressions. Faut être fumier de père en fils pour ne pas se sentir incommodé par lui. Un service rendu par cet être, si tant est que la chose se puisse, n’a rien d’honorifiant. Au contraire, elle implique je ne sais quoi de dégradant.