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J’attends la suite, sans marquer la moindre réaction, kif le Penseur de Rodin, boulevard Raspail.

— Commissaire, attaque-t-il, vos jours sont en danger !

Fichtre foutre, cette grandiloquence !

— Je sais, réponds-je, ils le sont depuis l’instant de ma naissance et nous devons être quatre ou cinq milliards de bipèdes dans ce cas sur la planète.

Ma boutade ne le divertit point. Il se baisse pour remonter une chaussette tombée bien bas, découvrant ainsi une cheville blême, veinée de bleu gerbant.

— Vous ne devriez pas plaisanter, commissaire. C’est grave.

— Parlez et j’en jugerai, réponds-je avec hauteur (un mètre soixante-dix-huit sous la toise ; un mètre quatre-vingt-quatre si je me tiens sur la pointe des pieds).

— Commissaire, poursuit-il, j’ai reçu hier la visite d’un individu dont l’appartenance au Milieu ne fait pas de doute.

— Si vous le dites, c’est que c’est vrai, renchéris-je.

— L’homme en question se trouvait plongé dans un grand embarras et, sous le sceau du secret professionnel, m’a fait part de celui-ci. Vous comprendrez donc qu’il ne me sera pas possible de vous révéler son identité après que je vous aurai répercuté ses paroles.

C’est gonflant de voir comme un faisandé de ce calibre ne peut celer son hypocrisie. Il a beau vous regarder droit dans les yeux en prenant une expression de brave homme, son regard trahit sa faux-dercherie.

Le mien, pour ne pas être en reste, lui retourne en exprès une formidable charge de mépris.

— L’individu en question, reprend le maître, nullement découragé, s’est vu proposer un étrange contrat. Une forte somme qu’il n’a pas voulu préciser, lui a été offerte pour vous supprimer.

— Et il a décliné l’affaire ? m’exclamé-je d’un ton léger.

— Vous le voyez.

— Il me trouve trop sympa pour me déguiser en viande froide ?

— Il a pour règle absolue de ne jamais toucher à un flic !

— Dites-moi, cher maître, c’est un truand de l’Ancien Régime, votre ami : il respecte la règle d’or du crime ! Ses trois unités !

— Cet homme n’est pas mon ami ! rebiffe Le Clanche d’une voix tranchante.

— Disons en ce cas votre client. Ses scrupules l’honorent ; et pourtant, ce ne doit pas être la fleur des petits pois pour que lui soient proposés de tels marchés !

— Ma clientèle ne se recrute pas au couvent des Oiseaux, commissaire.

Je souris (finement, si j’en crois la glace au vieux cadre mouluré fixée à la hotte de notre cheminée).

— Cet individu est néanmoins capable de bons sentiments, puisque non seulement il refuse de m’assassiner mais pousse la charité jusqu’à me prévenir, dis-je.

— Cette seconde initiative est de mon fait, intervient Le Clanche. (Non, c’est un nom trop honnête, décidément ; presque breton ! Faut que je trouve un blaze à consonance étrangère. Le côté levantin. Tiens : Zizoula ! C’est marrant, non ? Ça fait bien chauve-frisotté-au-teint-safran. Maître Zizoula. Maître Moktar Zizoula, ça joue ? C’est reparti !)

— Trop aimable à vous, maître Zizoula.

— Si je ne vous avais pas prévenu, mon cher commissaire, je serais moralement complice d’un meurtre éventuel.

— Je cherche à comprendre pourquoi votre client vous a mis au courant de cette proposition repoussée, s’il n’avait pas l’intention de me prévenir.

— Il se doutait bien que je le ferais.

— Et il ne vous a fourni aucune précision sur les gens que ma vie importune ?

— C’eût été suicidaire de sa part, convenez-en !

— En effet, admets-je. C’est tout ce que vous aviez à me dire, maître Zizoula ?

— C’est tout, mais ne trouvez-vous pas que c’est beaucoup, commissaire ?

— Je ferais preuve d’une ingratitude noire si je prétendais le contraire. Selon vous, mes « ennemis » auront sonné à une autre porte pour réaliser leur dessein ?

— Cela semble probable. A votre place, je resterais sur mes gardes. Gilet pare-balles, armes de poing constamment à disposition et, pourquoi pas : garde du corps aux aguets ! La vie est le plus précieux de tous nos biens.

Je suis convaincu que si j’avais une concierge, elle tiendrait un langage identique. Tous les philosophes concordent sur ce point.

— Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour votre sollicitude, maître. Et à vous demander une nouvelle fois pardon pour cette blessure. Donnez-moi vos coordonnées afin que je prenne de vos nouvelles. Si la chose revêtait quelque complication, prévenez-moi pour que j’alerte mon assureur.

Il est de ces gens qui ont en permanence un paquet de cartes de visite dans leurs poches, prêts à les distribuer à tout propos. Celle dont il me gratifie a un brin de tabac collé à son revers et une minuscule tache de brillantine sur l’avers. Je l’adopte telle que et raccompagne le vilain-pas-beau jusqu’à la grille. La troupe des négrillons nous lapide avec les oignons de tulipes que m’man met à sécher dans le cabanon, et maître Zizoula en déguste un sur la pommette, bien que je me sois interposé en pare-oignons.

— Comprenez-moi, déclame le ténor (enroué) du Barreau (scié), je ne suis pas raciste, avec le dernier nom dont vous venez de m’affubler je ne peux pas me le permettre, mais, franchement, je me demande si ces gosses ne seraient pas plus à leur affaire dans des contrées où sévissent encore les reptiles et la malaria !

Il s’en va au volant d’une voiture japonaise dont je ne dirai même pas le nom, tellement je trouve con de rouler japonouille quand on est européen. Qu’enfin merde, si c’est comme ça qu’ils préparent quatre-vingt-douze, faudra pas qu’ils se plaignent de l’avoir dans les miches !

Pendant que les dames reprennent le café et que les bambins commencent la démolition systématique de notre cabanon, Jérémie et ma pomme on devise à bâtons repus dans ma chambre.

C’est un lieu privilégié où je reçois peu. En dehors de m’man, avec laquelle j’ai de longs épanchements à l’heure sacro-sainte du petit déje, et des carambolages express qu’il m’arrive de pratiquer épisodiquement à Maria, rares sont les personnes que je reçois en ce lieu consacré à l’écriture et au sommeil.

J’ai pris place dans mon fauteuil rustique et Jérémie s’est assis à même le sol, le dos appuyé à un bonheur-du-jour qu’il doit prendre pour un cocotier.

— Tu sembles troublé ? note mon sombre ami.

— Il y a de quoi, fils.

Avant de lui casser les révélations de l’avocat marron (foncé) je note :

— Drôle de période où des gens bizarres venus d’ailleurs déferlent sur moi. L’autre soir, c’est une tante de Toinet, frais émoulue de taule, qui vient m’annoncer sa volonté de récupérer le môme. Ensuite, c’est un clodo très particulier qui me rapporte ma carte de police, que je n’ai cependant pas l’habitude de perdre. Enfin ce pourri de Zizoula se pointe pour me faire part de la confession de quelqu’un qu’on aurait voulu engager pour me dessouder et qui aurait refusé le boulot !

— Il s’appelle comment, cet avocat ?

— Zizoula, fais-je d’un ton mal assuré. Mais, franchement, ce blaze ne lui convient pas des mieux car il est un peu trop moyen-oriental et jette le discrédit sur une race qui ne le mérite pas. Aussi, si la chose ne te contrarie pas, vais-je le rebaptiser Simson, un patronyme anglo-saxon attribué à un méchant ne désoblige personne. Franck Simson, donc, est venu m’apporter la funeste nouvelle suivante : des gens dont il prétend tout ignorer, ont tenté de confier mon assassinat à un tueur à gages, probablement chevronné. L’excellent artisan a décliné la propose, peu soucieux qu’il est d’avoir une carcasse de perdreau à son tableau de chasse.

M. Blanc étudie ses ongles beige clair, puis satisfait par leur propreté, demande :