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M’man montre un bout de nez inquiet. J’ai la force de la rassurer d’un sourire et lui fais signe de boucler la porte de la salle à manger. Juste à côté, il y a une petite pièce qui sert éventuellement de salon, mais on préfère le séjour, aussi l’utilise-t-on rarement. Tu y trouves le piano droit, assoupi, sur lequel je me suis respiré en pure perte « La Lettre à cette pauvre connasse d’Elise » quand j’étais moujingue et que m’man m’espérait Mozart bis. Il y a le tabouret à pas de vis dudit, un petit canapé, une bibliothèque vitrée sans style et quelques tableaux de famille dont je préfère ne pas te parler, pas te flanquer la gerbe avec mon ascendance. La grande vilaine pose son derrière anguleux sur le canapé. Elle pue de partout. Du dedans et du dehors. Je la situe carne immonde d’entrée de jeu. Son regard incommodant parvient, pour peu que tu examines chacun de ses yeux séparément, à traduire une nature intensément et définitivement salope. Pas salope du cul : salope du moral. Cette mégère te foutrait à l’eau pour deux francs et donnerait sa chemise libidineuse pour qu’onc ne t’en retire.

— Je vous écoute.

Et elle, sans jambage (comme dit Béru) :

— Je viens chercher mon neveu Antoine.

Elle a jacté haut et d’un ton catégorique. Seigneur ! Faites que Félicie n’ait pas entendu cette effroyable déclaration.

Pour lors, un calme étrange venu d’ailleurs m’empare. Cette pourrie, si je m’écoutais, je la sortirais dans le jardin, la mettrais sur la fosse au compost, l’arroserais d’essence et y bouterais le feu. Une charognasse pareille, y a que par les flammes que tu parviens à l’assainir ! Je devine illico qu’une rude partie va se jouer.

— Un brin d’information ne serait pas superflu, dis-je ; j’aimerais que vous me la fournissiez.

La houri plisse ses lèvres déjà minces.

— C’est pourtant simple : Antoine n’a plus que moi comme famille ; il est orphelin et j’entends le récupérer.

— Cela fait dix ans que nous l’avons sous tutelle, ma mère et moi, objecté-je.

— Ça n’est pas une raison.

— Si, assuré-je en retrouvant Montcalm (que j’avais perdu de vue depuis qu’il s’est fait zinguer au Québec). Si, ma chère dame, c’est une raison et elle est péremptoire.

— J’ai consulté un avocat, fait-elle.

— Moi pas, riposté-je, car ce serait superflu. D’où vient que vous ayez attendu dix ans avant de réclamer la garde de l’enfant ?

— J’étais empêchée.

— Par quoi ?

— Cela me regarde.

— Vous avez des papiers prouvant cette parenté dont vous excipez ?

Elle fouille dans la poche de son manteau cradingue, y prend des feuillets pliés en quatre et me les tend.

Effectivement, elle porte bien le patronyme du môme. Moi, tu me connais ? Sans avoir le don de voyance du fameux Bruno, le copain de Toinet, j’ai du moins des pressentiments.

— Vous permettez ? lui dis-je en quittant la pièce.

— Où allez-vous ? s’écrie-t-elle, inquiète.

Je lui retourne sa réplique de naguère :

— Cela me regarde.

Grimpe jusqu’à ma chambre.

Je reste absent une douzaine de minutes. Lorsque je dévale, la tantine se tient dans le couloir, s’efforçant de caresser la joue de Toinet qui la fuit de son mieux. Ma Félicie en larmes bredouille des choses comme quoi cet enfant est désormais le nôtre et ceci-cela, l’à quel point il est mignon-gentil-amour, le combien nous l’aimons. Et voilà Maria, notre soubrette espingo qui sort de la cuistance pour glapir à son tour, ajouter ses larmes à celles de m’man. Devant ce triste spectacle, mon sang ne fait qu’un tour ; mais alors un chouette.

— Hé ! ho ! calmos ! tonné-je.

— Papa ! m’écrie Toinet, tu ne vas pas me laisser emmener par cette vachasse : elle pue comme une poubelle !

— Sois tranquille, fiston !

Je m’interpose entre la radoche et le groupe des miens.

— Citoyenne, fais-je à la tante inattendue, il va falloir prendre vos cliques et vos claques et tailler le bitume en vitesse.

— Pas sans le gosse ! C’est mon neveu et…

— Ecoute, la mère, tu ne pouvais pas récupérer le gamin plus tôt, en effet, puisque tu étais au trou !

Ça l’interloque à peine.

— Ça change quoi ? riposte la gorgone.

— Pour meurtre ! ajouté-je. Je ne pense pas qu’une gonzesse qui vient de tirer dix piges pour avoir trucidé son riche protecteur à coups de brique soit en bonne posture pour revendiquer la garde d’un gamin. Si ta petite affaire arrivait devant un tribunal, les juges se marreraient tellement qu’ils en bédoleraient dans leurs robes :

— Pas sûr ! garantit la dame. J’ai payé ma dette à la société et mes droits familiaux restent intacts.

Tu sais que, quelque part, en nos jours merdiques elle risque d’avoir raison ?

Une envie de lui allonger la toute belle mandale à cinq branches me démange la paluche. Un bref instant, je contemple ma Félicie alarmée, Toinet convulsé par le dégoût et Maria, la brave Espanche toujours prête à m’ouvrir ses cuisses.

Mon attention se reporte sur la vilaine pas belle.

— D’où te vient ce brusque intérêt pour ton neveu, la mère ? Pendant tes années de purgatoire, tu n’as jamais eu l’idée de lui écrire la moindre babille. C’est la liberté recouvrée qui t’inspire des sentiments maternels ?

— Antoine est le fils de mon frère et c’est à moi de m’occuper de lui. Je vais remuer ciel et terre pour y parvenir, annonce-t-elle.

Elle ajoute :

— Et en attendant, je vous interdis de me tutoyer !

— Bon, je crois que nous nous sommes tout dit pour l’instant, chère médème. A présent, enlevez votre sale gueule et votre sale cul d’ici, cette maison commence à sentir la fosse d’aisance en crue.

Elle se casse enfin, rageuse, après avoir lancé à Toinet un « A bientôt, mon bijou » qui nous fait froid aux miches.

Quand elle est partie, le gamin, pourtant fier-à-bras de nature, se jette contre m’man et l’étreint en sanglotant.

J’attends que sa crise soit quelque peu calmée, puis je lui donne une chiquenaude derrière l’oreille.

— Ecoute-moi, fiston !

Il me propose sa frimousse de poulbot baignée de larmes, comme on écrit dans des romans plus ambitieux. Baignée de larmes, toujours. T’as remarqué ? Ça s’appelle des clichés et ça se distribue à tout-va dans la littérature en cale sèche ; pas que les lecteurs ronronnants se déshabituent ; toujours leur assurer les turpitudes de première nécessité au tarif de l’abonnement en vigueur.

Que donc, il a sa frimousse de poulbot baignée de larmes, mon lardon d’occasion.

— Tu as confiance en moi, petit mec ? lui demandé-je doucement.

Il acquiesce, ce qui fait pleuvoir son visage tendre de faux garnement.

— Jamais je ne te laisserai dans les griffes de cette panthère mitée, Toinet. Jamais !

Il me tend sa main potelée, façon maquignon scellant un marché.

— Banco, grand, j’t’croive, assure-t-il, rasséréné.

Je lui en pétris cinq pas encore finis, mais poignée de main d’hommes, pourtant. J’en ai eu donné à d’autres. A des qui ont respecté leur parole, à d’autres, enviandés complets, qui se sont assis dessus. Quand j’étais mouflet, Mme Crépine, notre vieille épicière, me disait, lorsque son mari podagre traînait sa connerie jusque dans la boutique :

« — Fais “cinq sous” au monsieur, mon bout de chou ! »

Alors, bon, je tendais ma menotte au monstre qui la happait de sa pogne pareille à une gueule de crocodile et on faisait « cinq sous » !