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Je fais « cinq sous » avec Toinet. N’ensuite je réflexionne à mi-voix :

— Il faut absolument que je découvre ce qui motive ce brusque intérêt que ta tante te porte. Ça cache quelque chose ! Une vérole peut en dissimuler une autre, kif les trains.

UN PETIT CHAROGNARD

VIENT M’OUVRIR…

Un petit charognard vient m’ouvrir.

C’est fou ce qu’on peut toucher comme gonziers impossibles en cours d’existence ! La loi des séries ! Des séries dépareillées. Tronches fumelardes. Z’yeux torves, bouche verticale en fente de tirelire ! Des êtres que tu te demandes ce qu’ils foutent sur cette planète déjà trop exiguë ; à quoi ils peuvent servir en dehors de faire chier le prochain, d’incommoder par des expressions et des malodorances. Au premier regard, tu les situes obscurément dangereux. Prêts à des loucheries sans nom ! Ingentils de naissance et sales cons à l’extrême. Dieu commet des erreurs, et les hasards génétiques perpètrent d’indicibles nuisances.

M. Eugène Malvut, il figure dans les réserves salopardes. On le sait d’emblée qu’on ne peut rien espérer jamais de positif d’un glandu comme lui. Racho sur les bords. Chauve par-derrière, la frite en tête de nœud débandé, avec un regard myope derrière des lunettes batraciennes. Il a les dents du bonheur, ce moisi, ce poreux, comme si le bonheur pouvait le concerner un jour, le triste apôtre ! Pantalon sombre, luisant, chemise blanche salie au col, gilet de laine rapiécé, pantoufles avachies. Mais ce qui impressionne le plus, chez ce loqueteux de l’âme, c’est sa méfiance. Il est aux aguets, pis qu’un garenne dans son terrier. Se sent menacé en perpétuance. Il écoute aux portes, c’est certain. Arrive sur la pointe des pieds pour surprendre des médisances le concernant. Et je te parie la lune contre tes fesses que s’il lui arrive d’assister à une rencontre de rugby, il est convaincu, lorsque les joueurs forment la mêlée, qu’ils parlent de lui au creux de leur viril essaim.

Moi, de trouver ce machin devant moi, me fait déplorer ma visite. Si j’avais imaginé rencontrer ce type de bipède, comment que j’aurais pressé le pas devant son immeuble H.L.M. (hache, elle aime).

— J’espère que je ne vous importune pas, monsieur Malvut ?

Les deux poissons exotiques au moyen desquels il regarde la vie se donnent rancard contre l’arête de son nez minuscule. (Si son zob est, comme d’aucunes le prétendent, en rapport avec son pif, la mère Malvut doit se régaler avec son rouleau à pâtisserie !)

Il ne répond pas, ce qui m’inciterait à conclure que je le fais un tantisoit chier.

Mon radieux sourire franc et massif ne lui inspire aucune confiance. Il continue de me loucher contre que ça en devient incommodant ! Son mutisme s’épaissit, se stratifie, monolithe.

— Je souhaiterais vous entretenir de votre petit Bruno, ajouté-je.

— Il a fait une connerie ? grince le bonhomme.

Enfin sa voix ! Sa chère voix à deux francs soixante-quinze en action à la Foire aux pétomanes pendant toute la durée de la promotion cassoulet !

Il parle ! Donc il pense ! Donc il est !

Il est abject, crispant à déféquer toutes affaires cessantes, mais il est !

— Non, au contraire. Devons-nous parler de lui sur ce merveilleux palier où rôdent des oreilles indiscrètes, ou puis-je espérer vous entretenir dans votre appartement, monsieur Malvut ?

Il sort dans le couloir mal éclairé où une théorie de portes closes sur des mystères malodorants rébarbatent. Un vélo noir est l’unique personne à occuper les lieux. Il dodeline du guidon, sa manette de frein gauche appuyée précairement contre le mur. Etrange perspective, sauvagement surréaliste.

Malvut sonde cet infini angoissant. Des odeurs de frites et des bruits guy-luxiens signalent que l’immeuble est habité. Il attend un instant, tel un guetteur, puis me fait signe d’entrer, comme si je devais passer une frontière clandestinement pendant que le douanier a le dos tourné pour pisser.

Je pénètre dans un appartement sombre où règnent des remugles d’encens.

Lors, le petit bonhomme réintègre sa niche et claque précipitamment l’huis (comme disait ce pauvre Mariano). Il y reste adossé, haletant comme un qui vient de réussir une mission périlleuse sous les feux croisés de douze mitrailleuses ennemies.

— Tout s’est bien passé, lui dis-je. Mais on a eu chaud !

Tu sais quoi ? Il a un acquiescement soulagé. M’est avis qu’il devrait prendre des granulés, ou je ne sais quoi pour redresser son mental en foirade. Céziguemuche, son existence doit pas être climatisée, je crains. Il est sur un constant qui-vive, se débat dans des craintes incessantes.

L’entrée est tapissée d’affiches consacrées à des doctrines ésotériques. Devant un triptyque peint à l’huile d’olive vierge représentant la déesse Nébula en train de se faire mettre par Lucifer, brûle un lumignon rouge ainsi que des bâtonnets d’encens.

En plein délire, Eugène Malvut !

Il se décide à me précéder et me fait entrer dans une pièce tendue de noir. Des livres dont je n’ai pas besoin de lire les titres pour deviner les sujets qu’ils traitent ou maltraitent, s’empilent du plancher jusqu’à hauteur d’homme. Une grande natte de raphia est étalée au sol ; elle constitue tout le mobilier.

— Je vous reçois dans ma chambre, m’avertit Malvut, nous y serons plus tranquilles pour parler. Asseyez-vous.

Je file un dernier regard circulaire, espérant qu’une chaise va surgir, mais comme le prodige ne se produit pas, sans plus de façon je m’assois en tailleur sur la natte, tandis qu’il m’imite.

— Qui êtes-vous ? me demande Malvut.

Et ma pomme qui chie jamais la honte de rétorquer :

— Un théosophe convaincu, mon cher.

Là, il commence à balancer ses inquiétudes par-dessus bord, le pincecorné. Une lueur d’intérêt se manifeste derrière ses verres bombés comme des carapaces de tortue.

L’odeur d’encens me porte au cœur. Moi, les senteurs orientales, j’arrive pas à me les inhaler.

Une lanterne plus ou moins chinoise pend du plaftar, répandant une chiche lumière ensanglantée. Elle déforme les traits, les révulse, les incendie. Eugène Malvut ressemble à un démon qu’aurait pas les moyens.

— J’ai un fils qui va en classe avec le vôtre et qui m’a parlé du don surnaturel de Bruno, reprends-je. Passionné de sciences occultes comme je le suis, je n’ai pu résister au besoin de vous rencontrer, vous et lui. J’espère que vous me pardonnerez ma hardiesse ?

— Entre confrères, hausse-les-épaules-t-il, c’est normal.

Puis, déjà passionné :

— Vous vous consacrez à quelle branche ?

Et moi, songeant à M. Blanc :

— Je suis spécialisé dans l’animisme africain. Le grosso modo du lion, le tohu-bohu du fleuve Sénégal n’ont plus de secrets pour moi.

— Félicitations !

Un temps pour que nous nous entre-sourions à la loyale. Connivence, estime mutuelle. Rencontre élitiste.

— D’où vient le don de Bruno, ami ? insisté-je.

Il plisse de la face nord, Eugène. Tu croirais mon copain Sim, le caoutchouteux.

— Je l’ai conditionné dès son plus jeune âge, révèle ce bas trou de balle en déliquescence.

— De quelle manière ?

— En développant son « o » positif, comprenez-vous ?

— Cela va de soi. Et il a très vite répondu à vos espérances ?

— A six ans, il m’a annoncé la mort de ma chère maman à l’heure précise où elle se produisait, à quatre cents kilomètres de là. Il zézéyait encore. Il m’a dit : « Mémé partie ! Elle s’est envolée. » Trente minutes plus tard, je recevais un coup de téléphone de ma sœur m’apprenant la triste nouvelle.

— Stupéfiant ! D’autres exemples ?