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Et de lui voter un nouveau coup de Bailly dans les bibelots.

Sadique, l’Antonio, pas vrai ? En crise ? Oui, je l’avoue. Je n’ai de réelle haine que pour ceux qui s’en prennent aux enfants.

Je vais à la fenêtre et jette un regard en bas. J’aperçois la 205 blanche de Marie-Marie. Elle en est descendue et regarde deux gamins qui jouent à je ne sais quoi près des poubelles. Mme San-Antonio ! Dieu qu’elle est belle ! Ce qu’elle a pu acquérir comme classe, l’espiègle pie-borgne de jadis ! C’est le genre d’épouse que tu peux trimballer la tête haute. Comme si elle « sentait » mon regard, elle lève la tête. Je lui envoie un baiser. Alors, tu sais quoi ? Elle porte une main à son cœur. La gauche ou la droite, je sais pas bien, en tout cas une des deux. D’en haut, on confusionne. T’as remarqué que les miroirs nous représentent à l’envers, mais pas sens dessus dessous ? Quand tu te regardes dans une glace, ta droite est placée à gauche et lycée de Versailles, mais ta tête demeure en haut et tes pinceaux en bas. Un mystère ! Un vrai. C’en est plein. Alors pourquoi je refuserais le don de Bruno, qui est peut-être plus fastoche à piger, hum ?

Tout en contemplant « ma promise », j’évoque la pièce dans laquelle je me tiens. Lui tournant le dos, je continue de la voir : diabolique autel saccagé, des meubles, des statues ésotériques… L’une d’elles, plus importante, semble régner sur l’endroit. Je m’arrache à la croisée pour marcher jusqu’à elle. Moi aussi j’ai un don de voyance quand c’est nécessaire. S’agit de le vouloir irrésistiblement ! Tout est question de volonté. Tu peux voir l’invisible ? Ben, regarde !

Il s’agit d’un plâtre doré avec des traînées vertes, buste d’une créature de cauchemar, pas bouddha ni animal, mais divinité hybride tirant sur l’éléphant à cause du nez-trompe et des grandes oreilles.

Je m’en saisis à deux mains, l’élève le plus haut que je peux et la fracasse contre la table.

Elle vole en éclats. Dedans, c’est plein de liasses épaisses. Des billets de banque neufs. Des dollars réunis par des élastiques. J’en arrache un et le mire devant la fenêtre. Il est bonnard. J’ai rencontré suffisamment de faux-monayeurs spécialisés dans les talbins ricains pour reconnaître le bon grain de l’ivraie.

Il y en a un vrai fagot ! Des biftons de cent dols, et les liasses sont de cent biftons ! Et il y a une tribu de liasses ! Le pactole !

— Ben dis donc, Gégène, t’es riche ! lui dis-je.

Je le chope, cette fois, par sa miséreuse ceinture de cuir, comme un long sac de voyage.

— Maintenant, tu vas faire ton valdingue, mon grand, annoncé-je.

Et je le coltine jusqu’à la fenêtre.

Alors il murmure :

— Prenez tout et laissez-moi vivre !

Je chique les cyniques.

— Quelle idée ! Je peux te carboniser et tout prendre, mon lapin. C’est pas un marché que tu me proposes, c’est la charité que tu demandes !

— Je ne dirai rien, prenez, prenez !

— Merci de la générosité : t’inquiète pas, je prendrai. Bon, à qui recommande-t-on son âme quand on est Eugène Malvut ? A Dieu ou au diable ? Plutôt au diable, non ? Satan, c’est ton pote ?

Ma désinvolture l’écrase. Il bafouille, terrorisé :

— Oh ! non, vous ne pouvez pas faire ça !

— Ce ne sera rien en comparaison de ce que tu as fait, toi, merde en flaque !

— Tout ce que vous voudrez ! il ânonne.

Et moi, comme frappé d’une idée :

— Ah ! si, y a une chose qui pourrait te valoir la vie sauve, crème de salope, une seule : que tu me dises la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Ou plus exactement, que tu me l’écrives et que tu signes tes aveux. De la sorte nous nous tiendrions l’un et l’autre par la barbichette. Toi, à cause du fric que je vais engourdir, tu auras barre sur moi, et moi, je te posséderai avec ta confession. Tu comprends ?

Comme il ne répond rien, je monte sur son ventre. Tu parles d’une compression de César !

Il geint ! Je lui file un coup de talon sur la bouche. Ses lèvres éclatent, quelques-unes de ses dents se déchaussent comme des musulmans devant la mosquée.

Note, j’ai pas l’habitude de pratiquer des sévices corporels. Je trouverais même ça inqualifiable si l’homme que je malmène n’avait accompli ce qui constitue pour moi le plus abominable des forfaits.

Elle fait un pas à ma rencontre. Pas deux, un seul, mais qui est significatif. Ça veut dire qu’elle vient à moi. Ça veut dire qu’elle m’aime. Ça veut tout dire. Je lui prends la taille d’un bras irrésistible. Nos regards se rapprochent et ça nous met de la cuisance dans les yeux. Voilà que je l’embrasse, doucement pour commencer : juste un effleurement des lèvres, léger, tiède, capiteux. Puis ça se renforce à tout berzingue et nos bouches s’entre-bouffent avec une voracité de loups. Je sens ses seins fermes, son ventre chaud. Elle a un mouvement irrésistible du bassin (comme on dit dans les books bien élevés) pour presser le bas de son corps contre le mien.

Maintenant, je suis sûr que c’est bien ainsi. Qu’il le fallait.

Lorsqu’on se désunit (toujours comme ça exprime dans la cool littérature sans mouillance), j’aperçois le masque défiguré du sieur Malvut, à sa fenêtre. Il va prendre froid, c’est certain, puisqu’il l’a ouverte en grand.

Il détourne la tête pour mater la perspective de la rue. J’ai l’impression qu’il va me crier quelque chose : une menace ou un avertissement. Et puis tout à coup, il est comme arraché à son parquet, telle une fusée au lent décollage ; son buste dépasse la barre d’appui, ensuite c’est sa taille, puis ses cuisses et il bascule dans le vide, sans un cri.

Marie-Marie qui regardait également, enfouit sa tête dans l’ouverture de mon pardingue en criant :

— Non !

Eh ben si, qu’est-ce que tu veux ! Le bonhomme flèche comme un ski qu’on vient de déchausser dans une pente raide. Il paraît « glisser sur l’air ». Curieux, hein ? Enfin, il bouffe le bitume du parkinge. Le bruit sourd classique, cent fois reproduit dans les films. Profond, si tu te souviens. Comme un coup de maillet sur un tonneau vide dans une cave voûtée. Me fais-je-t-il bien comprendre ? Suis-je-t-il assez suffisamment explicite de partout ? Trouvé-je-t-il les mots appropriés pour te rendre compte d’un fait divers dramatique ? Préférerais-tu-t-il que je fisse appel à des onomatopées ? Gêne-toi pas avec moi, surtout. Tu ne trouveras jamais un littérateur plus docile que moi, plus arrangeant. De grandes connaissances à la portée de tous ! L’accommodeur de faïence et de porcelaine. Je te prends un reste de chapitre, un bout de description, je t’en fais une œuvre sur mesure. Surtout que le lecteur se sente à son aise. Trois heures de voyage à bord d’un bouquin, c’est un peu le trajet en T.G.V. Paris-Lyon. Faut les passer relaxe. Se détendre.

L’autre jour, je voyais une pube à la télé, pour un savon de toilette intime. Printemps-Exquis, je crois me rappeler. Une jolie dame confiait à une autre qui l’était non moins, combien sa vie avait changé depuis qu’elle se fourbissait le frifri avec une telle merveille. La dame bis promettait de l’essayer. Et puis point à la ligne. La pube dérapait, perdait son impact. Combien elle eût été « porteuse » comme ils disent, si la personne en question s’était mise à se laver la chatte devant les caméras ! Ils sont fous de ne pas aller au bout du propos ! J’imaginais cette exquise personne faisant mousser Printemps-Exquis dans sa toison d’or, puis se détartrant la case trésor au médius frétillant. Là, oui, toutes les gerces cavalaient acheter le suave savon et on allait assister à un concours de grande lessive dans les foyers.