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Pauvre gueule sinistrée avec ce vilain trou rosâtre surmonté de sourcils. Il signifie quoi, l’œil de verre abominable ? Est-ce en lui que résidait son maléfique pouvoir ?

— Pourquoi as-tu fait ça, Bruno ? je demande.

Il s’abstient de répondre.

Achille requinque un peu. Tout ça le dépasse, le pauvre croulant coulant. L’annonce de sa Rolls carbonisée, ce môme monstrueux qui cherche à m’égorger. Il tube d’urgence au brigadier Manchaverge, le chef de la sécurité, d’envoyer du monde, d’appeler une ambulance et de faire monter le gonzier de l’infirmerie avec ce qu’il faut pour désinfecter et panser.

Une demi-heure plus tard, on a colmaté mon entaille et embarqué Bruno pour l’hosto. Un gamin comme ça, dans quelle catégorie de délinquants tu voudrais le classer, toi ? Un môme qui a tué par ordre de son vieux, pareil à un robot programmé pour le meurtre.

Il s’est laissé griffer son razif sans regimber. Les mastuches de service n’ont eu aucun mal à l’emballer. Docile, frileux, brisé, le pauvre môme.

Je ramasse son œil mystérieux et le glisse dans ma pocket après l’avoir enveloppé de faf à train. (Celui du Vieux, satiné double face, pour son fion vénérable. Lotus ! Bleu pervenche, siouplaît. Parfumé jasmin ! Il a rien à refuser à son pot d’échappement, Chilou. Le luxe véritable, ça commence par l’oignon. L’homme qui se choie l’anus appartient toujours à une élite, je me suis aperçu.)

— Ecoutez, Antoine, je pense que je viens de vivre les instants les plus insolites de ma vie, clapote le dirlo.

— Moi aussi, monsieur le directeur, et pour moi, ils durent depuis plusieurs jours !

— Nous avons rêvé, n’est-ce pas ? Ça n’existe pas des choses pareilles ?

— En effet, monsieur le directeur, ça ne peut pas exister, mais ça est !

— Il y a un truc, là-dessous, vous êtes bien d’accord ?

— Il devrait y en avoir un, monsieur le directeur, malheureusement ce n’est pas le cas.

— Donc, on vit du fantastique ?

— On fait comme si, toujours est-il.

Il se racle le gosier, se masse la coupole.

— Ecoutez, Antoine…

— Oui, patron ?

— Peut-être serait-il préférable de… heu… garder ces choses-là pour nous. Des policiers, raconter ces… heu… choses-là, ça la ficherait mal : on nous prendrait pour des fous.

« Ces… heu… choses-là, voyez-vous, mon vieux lapin, c’est… Hein ? »

— Tout à fait, monsieur le directeur.

— Je vois que vous m’avez compris, mon cher commissaire. Il y a des moments où… N’est-ce pas ?

— Exactement, monsieur le directeur.

— Nous allons confier ce surdoué meurtrier à une sommité de la psychiatrie. J’ai un ami rotarien, le professeur Yves-Marie de Laboule, qui sera certainement intéressé par ce cas de… heu…

Son ronfleur retentit. Et c’est l’une de ses fameuses « Mlle Zouzou » qui l’appelle pour la minette du soir, espoir ! On est du Cancer, Achille et moi : 69, c’est notre signe et notre devise.

Je le quitte avec mon pansement à la margoulette.

Des moments que tout se met à carburer à fond de train (surtout quand tu parviens à la fin d’un book). Juste que j’arrive à mon étage, je trouve Pinuche, debout devant mon burlingue, mon biniou en pogne.

En m’apercevant il radieuse.

— Précisément, le voilà ! dit-il.

Puis, me tendant le combiné :

— C’est Jérémie Blanc. J’ai entendu la sonnerie dans ton bureau, et comme elle insistait, je me suis permis de… Mais qu’as-tu au cou ?

— Je me suis rasé en me coupant, fais-je. Allô ! Blanche-Neige ?

Jérémie ne s’emporte pas, contrairement à la tradition. Mes astuces racistes de garçon de bain appartiennent au second degré et il le sait, Jéjé. Quand il se fâche, c’est lui aussi au deuxième degré, pour jouer le jeu ! On joue à être deux cons, quoi, et on parvient à abuser les autres. Par jeu !

— J’ai du nouveau, claironne le Sir Agenoir (elle est nouvelle, je t’en donne l’imprimeur, comme dit le Gros).

— Moi de même, refusé-je d’être en reste.

Mais mes nouvelles à moi ne l’intéressent pas, preuve qu’il juge les siennes plus importantes. Il glousse comme un qu’on lui chatouille le dessous des testicules.

Je murmure :

— Tu m’expliques ou si j’attends le Figaro de demain pour lire ça à tête reposée ?

— Je sais où est la Turpousse !

Et vlan ! il vient de balancer son boomerang, comme le gus de Bagdad Café (que je te recommande).

Il sait où est la Turpousse ! Donc, il sait où on détient Toinet !

Oui, fectivement, ses nouvelles sont plus capitales que les miennes !

— Où ? hululé-je, car je fais de cette syllabe un alexandrin par modulation exclamatoire ; qu’à ce point, je ressemble à un loup dans la toundra russe.

— Dans les environs de Beauvais, patrie de Jeanne Hachette qui se rendit célèbre par ses fameuses messageries, ricane M. Blanc. Je m’y trouve actuellement et tu devrais me rejoindre en amenant du monde et des bricoles défensives, vu que je ne suis pas seul à m’intéresser à la dame. Je t’appelle d’une cabine située à deux cents mètres de l’endroit où elle crèche. Une voiture est arrivée depuis peu, immatriculée à Paris, une Audi blanche avec deux types à son bord qui observent les lieux.

— Comment as-tu découvert leur planque ? ne puis-je m’empêcher de lui demander, malgré l’urgence.

— En fouillant le studio du docteur Pilulesco. J’ai trouvé, dans un bouquin médical, en guise de marque-page, une carte postale adressée de Beauvais par une ancienne infirmière de l’hôpital où il travaillait. Le ton de la carte donne à penser qu’elle a été sa maîtresse. Je suis venu ici, j’ai enquêté dans le milieu hospitalier, et voilà le résultat !

— Tu es certain que la Turpousse est bien là-bas ?

— Je l’ai vue ! de mes gros yeux jaunes de nègre vue ! Mais bougez-vous le cul car ça risque de s’emballer avant longtemps avec la paire de vilains qui vient de se pointer ! Quand tu auras traversé Noailles, tu continueras sur Beauvais pendant quelques bornes, jusqu’à ce que tu aperçoives, sur un panneau « Saint-Just-Humbou 8 kilomètres ». C’est là, dans la rue principale.

Cher Jérémie ! Grandissime poulet ! Génie de l’enquête. Disciple surdoué de l’inestimable Santantonio (comme ils disent tous, malgré qu’on n’aime pas tellement le thé, en France).

Nous sommes dans la Rolls de Pinuche : une caisse toute neuve, couleur marron glacé métallisé. Il a accepté de me la laisser driver, admettant sans rancune que mon coup de volant prime le sien.

Béru, gavé de Dom Pérignon, roupille à l’arrière, le dargeot sur la mitraillette de cérémonie dont je me suis muni (à toutes fins utiles), ce qui n’exclut pas que nous ayons chacun, en fouille, un laissez-passer de calibre 9 mm.

Les kilbus déferlent. Des motards nous tourbillonnent au fion. Je m’arrête juste pour leur produire ma brème et les prier de nous dégager la piste jusqu’à Noailles. Ils sont assez estomaqués en constatant que les perdreaux parigots se mettent à rouler en Rolls. Mais, bref, on barbote dans une époque où le mec qui s’étonne trop longtemps est foutu. Alors ils nous ouvrent une route de rêve.

En quarante minutes, nous atteignons Noailles. Fin de l’escorte d’honneur. Petit geste de remerciement aux deux cavaliers de l’apo (d’échappement) calypse. Sus à Saint-Just-Humbou[3].

Des maisons de brique, des toits d’ardoise, un ciel bas. La ronde des petits commerces inévitables : bistrot, opticien, boulanger, épicier, électroménager, bistrot, Crédit du Nord, quincaillier, Benetton, bistrot, boucherie du Centre, Agence A. G. F., bistrot, Aux Grandes Caves du Beauvaisis, électroménager, pâtissier, bistrot, garage Elvis Platinet, fleuriste-concessionnaire Butagaz, pharmacien, bistrot. Puis des maisons de deux étages. Ensuite des maisons en meulière avec des noms de fleurs sur plaque émaillée. Et enfin, là-bas, près du dispensaire frappé d’une croix verte dans un cercle, un Noir, qu’on pourrait qualifier de nègre pour faire plaisir à Harlem Désir, balaie nonchalamment la chaussée avec un balai tout neuf acheté à la quincaillerie Mongibus, signalée dans la nomenclature ci-avant. Ledit coloured man porte un bonnet de laine rouge et fredonne, en chassant des inutileries hâtivement qualifiées ordures, une mélopée ramenée de son village sénégalais.

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Oise. 64 km de Paris. 876 habitants. Manufacture de préservatifs en fonte renforcée. Patrie du général Mormela.