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« Elle rencontre Pilulesco pendant son traitement. Ce type se lie d’amitié avec elle. Il lui laisse espérer une guérison possible, mais il faudrait la régénérer avec un sang et de la moelle proches de son sang et de sa moelle, selon la théorie de ce chercheur. Alors, elle repense à son neveu. Libérée (quelques mois plus tôt que prévu), elle retourne chez tonton. Le vieux fréquente les Malvut, ses voisins : il est au courant du don de voyance du gosse. A son instigation, Maryse consulte le môme, comme elle l’aurait fait avec un guérisseur, espérant que ce petit prodige va pouvoir l’éclairer sur son avenir compromis.

« Ce qu’il résulte de leur entretien, c’est la découverte que Bruno va en classe avec Toinet ! Le hasard est roi, le hasard est grand ! Elle le paie alors pour qu’il consulte le dossier médical de ton garçon. La chance sourit à la malade puisque son neveu est d’un groupe universel qu’elle peut recevoir. Sera-ce son salut ? Vite, elle contacte Pilulesco, le soudoie, et l’infâme médecin accepte de marcher dans l’odieuse combine. Suis-je clair, Antoine ? »

— De l’eau de roche, mon ami.

Le Doucereux caresse ses tempes teintes, rajuste ses manchettes où scintillent des boutons en or massif. Il aime narrer, Pinuche. Ses rapports ont toujours été exemplaires et certains d’eux figurent dans les livres de l’Ecole Nationale Supérieure de Police de Saint-Cyr-au- Mont-d’Or. Si tu ne m’en crois, va demander, de ma part, au directeur de les consulter. Il a le sens du détail, n’oublie rien, trousse d’agréables phrases, passe sur les périodes inintéressantes. Un maître ! Chacun ses dons. Bérurier possède la bite du siècle, Pinaud le style du parfait enquêteur.

Dans la chambre, on perçoit des sanglots. La mère Maryse qui implore. Elle entend gazouiller son sang maudit dans le récipient et, songeant aux conséquences de cette hémorragie, s’affole. Mais le ton de Béru reste intraitable. La femme blonde tente de la ramener, parlant d’humanité et autres fariboles. Une claque de dix kilos de pression au centimètre carré la fait taire.

— Et ensuite, brave et loyal Pinaud, compagnon fidèle de mes équipées sauvages ? Et après, noble et riche ami que la fortune du sort et le sort de la fortune ont comblé ?

— Après ?

Il lisse sa belle moustache impeccablement taillée, le Séguéla des Amériques. La lisse, en hommage à ce fabuleux pré-shave qui lui a assuré une vieillesse comblée.

— Après, mon bon Antoine, il convient d’aborder le tournant de l’affaire. La prime qu’elle a versée au petit Malvut pour qu’il consulte le fameux dossier médical scolaire, cette prime a mis le feu aux poudres, plus exactement la puce à l’oreille du sale bonhomme de père. Il se dit que Verbois est un besogneux qui vit dans une petite aisance poussiéreuse. Sa fausse nièce sort de prison et, néanmoins, elle est capable d’aligner du fric pour un larcin minime. Beaucoup de fric ! Elle s’est montrée trop large, la Turpousse, cela causera sa perte. Malvut est un gars rusé, il flaire le gros coup. Peut-être, aussi, son gamin a-t-il eu un flash opportun ? La vérité est qu’il explore l’appartement du père Verbois et découvre le magot, lequel était planqué dans le ventre d’un vieux cheval de bois récupéré d’un ancien manège.

« Mais là, il tombe sur un os : le clochard ! Celui-ci vendait de temps à autre des bricoles au brocanteur, des objets provenant de petites rapines. Manque de chance pour Malvut, voilà le pouilleux qui débarque pendant qu’il éventrait le cheval de bois. Ça, c’est le grain de sable. Pris sur le fait, il ne lui reste qu’à acheter le silence du clodo. Pour ne pas donner l’alerte, et parce que c’est un timoré, il ne prendra que la moitié du butin planqué et colmate le ventre du canasson de bois.

« Es-tu bien certain, Antoine, que mon récit reste limpide ? ou n’éludé-je point, au contraire, des éléments importants ? »

— Continue, c’est imper, César. De la musique ! Tu sais combien j’aime Vivaldi, Renaud et Yvette Horner ? Eh bien, les trois réunis sont des cacophonistes à côté de toi. Poursuis, de grâce. Tu me charmes ! Je crains d’éjaculer.

— C’est trop d’honneur, mon cher garçon.

— Je te prendrai comme témoin à mon mariage, César.

— J’en suis confus.

Il tressaute :

— Tu songes à te marier !

— Je vais me marier.

— Toi !

— Moi !

— Avec qui ?

— Devine !

— Je ne vois pas.

— Parce que tu ne veux pas voir. Quelle est l’unique femme que je suis capable d’épouser ?

— Marie-Marie ?

— Tu vois bien que tu le savais !

Des larmes perlent à ses cils gris (il n’a pas songé à les teindre ; les sourcils, oui, mais pas les cils).

— Oh ! Antoine, quelle grande joie ! Et quelle magnifique histoire ! Vous deux, enfin ! Après un si long cheminement !

Il a tout résumé, l’Ancêtre. Je lui tends la main, il la prend et j’en profite pour me faire remettre debout. Nous nous embrassons.

— Qui est au courant ? demande-t-il.

— Elle, moi, et toi maintenant.

— Seulement ?

— Pour l’instant, oui.

— Pas même ta mère ?

— Pas même.

— Je n’oublierai jamais cette immense preuve de tendresse que tu m’accordes, Antoine. Et, puisque tu m’as choisi comme témoin, je vous ferai un beau cadeau. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Un appartement ? Une Ferrari ? Un bateau de plaisance ?

— Une lampe de chevet à abat-jour rétro, César. J’en rêve.

— Nous verrons.

— Tu disais donc que Malvut a été surpris par le clochard pendant qu’il ôtait les entrailles vertes du cheval de bois ? Il l’a soudoyé, a prélevé la moitié de la manne ; et après ?

— Après, tu t’es présenté chez lui. Et alors là, oui, là, il a pensé que tout était foutu. La police ! Tu as eu beau annoncer que tu étais le père adoptif d’Antoine et ne parler que du don de son fils, il prit peur, croyant à une ruse de ta part. Cela dit, Antoine, j’ai mon idée à moi : le rôle prépondérant de Bruno dans cette aventure. N’oublions pas que ce surdoué est réellement doté d’un don démoniaque. Je pense que le père et le fils se sont monté le bourrichon mutuellement. L’un annonçait des événements que l’autre tentait de conjurer. Il avait touché le gros gros paquet.

— Cent mille dollars !

— Beaucoup plus, Antoine, mais il a été contraint d’en lâcher en cours de route.

— C’est-à-dire ?

— Il connaissait un avocat pouilleux auquel il s’était adressé jadis, à propos d’affaires tordues, des arnaques à la sorcellerie. Il est allé le trouver aussitôt après ton départ pour lui réclamer une aide insensée.

— J’ai compris, sursaillé-je. Il voulait me faire abattre car le môme lui avait annoncé que j’allais tout découvrir et que ça finirait mal. Il a essayé de détourner le présage ? Le con ! Ce faisant, il travaillait à sa perte ! On fait une reprise de Ce soir à Samarcande, en somme !

Mes pensées devançant mon commentaire, je tiquai.

— Bon, il a demandé à l’avocat de lui dénicher un bon tueur à gages, mais alors pourquoi Kraczyblum est-il venu me prévenir ?

— Pour se préserver au cas où l’affaire tournerait mal, voyons ! D’un côté, il a palpé une forte prime pour trouver ton tueur ; de l’autre, il se blanchissait d’avance en venant te prévenir du coup qui se tramait ! Bien pensé, non ? Et comme c’est un vicieux, il avait enregistré sa conversation avec Malvut, toujours pour pouvoir se blanchir, le cas échéant.