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En attendant d’être informé, je réponds à son invite et pénètre. Ça sent la peinture fraîche. Je note d’emblée que le vieil apparte délabré a subi une transformation radicale. Le hall est habillé de couleurs pimpantes, de même que le livinge qu’on découvre partiellement par la double porte vitrée.

— Tu as des problèmes, mon bon ? s’informe mon hôte.

Je le défrime à mort. Et alors mon aorte cabriole. Une giclée d’adrénaline part de mes surrénales pour m’envahir le système circulatoire jusqu’aux roustons inclus.

Je glabafouille :

— Pinuche !

— Tu n’as pas l’air d’être dans ton état normal, note le miraculé de frais. Serais-tu pris de boisson ou souffrirais-tu de quelque mal inopiné ?

— Pinaud ! émets-je encore dans un râle.

— Mais qu’as-tu, mon cher ami ? Tu défailles !

— Que t’est-il arrivé ? m’enquiers-je.

— Ce qui m’est ?…

Il se met devant une glace à trumeau placée entre deux portes et s’y mire.

— Oh ! oui, je conçois ta surprise, admet le Superbe. Effectivement, mon bon Antoine, j’ai quelque peu modifié mon aspect et mon accoutrement.

— Mais c’est pro-di-gieux !

— N’exagérons pas. Disons que j’ai procédé à un rafraîchissement de ma personne et des lieux qui l’abritent. Mais passons au salon, je vais te conter la chose par le menu !

Je franchis le seuil du livinge et, n’étant pas au bout de mes surprises, y découvre, lovée sur un canapé recouvert de chintz bleu, une personne brune, menue, agréablement faite, drapée (plus ou moins bien) dans un kimono rose praline. La dame frise la quarantaine ; elle est rieuse, avec un regard prompt de souris débarquant chez un marchand de fromages.

— Je vous présente le commissaire San-Antonio, chère Adeline. Antoine, voici Adeline, une amie récente mais qui déjà m’est chère.

Je vais m’incliner sur l’exquise menotte que la dame me propose par-dessus le dossier du canapé. Du regard je cherche l’ineffable Mme Pinaud, mais ne l’aperçois nulle part.

— Assieds-toi, Antoine. Scotch, vodka ? A cette heure-ci je sais que tu ne détestes pas une vodka-citron très frappée ?

— En effet.

— Adeline, fleur de mon cœur, vous voulez bien préparer ce breuvage de vos doigts de fée ? Trois quarts de vodka, un quart de citron et un glaçon !

L’invitée de César se lève. Elle est petite avec des formes juteuses et une grâce spontanée, sans afféterie, qui porte son charme à l’incandescence. Tandis qu’elle va quérir de la glace « en » cuisine, Pinaud me met au parfum.

— Un concours de circonstances a procédé à ma transformation, révèle-t-il. Primo, je me suis mis à gagner de l’argent, beaucoup d’argent.

— La loterie ? Les courses ? Le loto ?

— Foin de ces balivernes qui constituent l’espoir des furtifs, des incapables et des ratés. Non, simplement, en me rasant un matin, il m’est venu une idée concernant la lotion pré-electric-shave dont j’use quotidiennement. Il s’agit d’une marque américaine des plus fameuses que je me suis engagé sous serment et par contrat de ne jamais nommer. J’ai écrit au siège new-yorkais de cette firme en lui demandant combien elle me verserait si je leur assurais un accroissement de leurs ventes d’au moins dix pour cent.

« Les Américains sont des gens pragmatiques qui ouvrent grandes leurs oreilles sitôt qu’un quidam quelconque leur parle de fric. Si j’avais adressé ma lettre à un pédégé français, il est probable qu’elle ne serait même pas parvenue jusqu’à lui car la secrétaire chargée du courrier l’aurait jetée à la corbeille. Mais là, j’ai eu une réponse. On attendait ma suggestion.

« Je suis alors allé trouver mon neveu Fringard, de l’étude Fringard et Coupier, qui dirige un cabinet d’affaires international, en le chargeant de mettre au point le contrat. Il l’a fait. Cela s’est passé l’an dernier, mon petit Antoine. Et l’affaire porte ses fruits puisque je perçois d’ores et déjà cinquante mille dollars par mois de royalties. »

J’éberlue :

— Cinquante mille dollars !

— Yes, Sir.

— Par mois ?

— Ce n’est qu’un début.

— Mais qu’as-tu proposé à cette firme pour qu’elle te couvre ainsi de talbins verts, bonhomme la Lune ?

— L’œuf de Christophe Colomb, ricane le Renouvelé.

— Mais encore ?

— Mon idée a été la suivante : Pour me préraser, je devais secouer le flacon de lotion sur le creux de ma paume jusqu’à ce qu’il en eût plu la dose suffisante. J’ai simplement conseillé au fabricant d’agrandir l’orifice du goulot. Ainsi, on est obligé, maintenant, de « retenir » l’écoulement du liquide au lieu de le « provoquer », comprends-tu ? L’accroissement de leurs ventes n’a pas été de dix, mais de trente-cinq pour cent !

— Génial ! déclaré-je en toute sincérité et interloquence.

— La firme en question me propose d’aller à New York et de travailler dans la boîte comme conseiller technique, poursuit l’ex-Ancêtre. Mais je suis trop attaché à la France et à mes habitudes pour accepter. Cinquante mille dollars mensuels, plus mon traitement, voilà qui me permet de bien profiter de la vie.

— Tu es un sage. Mais dis-moi, tu m’as parlé d’un concours de circonstances : en voici une ; quelles sont les autres ?

Il n’est pas croyable, César. Teint en brun, sourcils et moustache compris, la peau traitée aux exfoliants, le dentier neuf, la détermination débordant des prunelles, la mâchoire volontaire, les fringues ultra-modernes, il en jette comme un acteur de cinéma qui jouerait les jeunes papas, les amants blasés ou les chefs de bande mondains.

— Tu n’es pas sans connaître le mauvais état de santé de mon épouse ? reprend-il.

— Non ! réponds-je résolument.

— Ayant décroché ce pactole, je l’ai emmenée en Roumanie dans le fameux institut du non moins fameux docteur Cornélius Téparusko. Nous y avons passé trois semaines à subir des soins intensifs, au terme desquels nous avons rajeuni d’une vingtaine d’années, Mme Pinaud et moi-même. Traitement miracle, mon bon : au sperme de taureau, sang de pigeon, cellules de moines tibétains et testicules de coq.

Il extrait de sa veste un délicat portefeuille en croco à coins d’or, signé Hermès, y puise une photographie polaroïdesque et me la présente. J’y lis une dame accorte et souriante.

— Une jeune sœur de ta femme qui, elle, aurait appris à sourire ? supposé-je.

— Non, mon bon. C’est Marthe en personne. Tu juges de la transformation ? Reconstituée to-ta-le-ment ! Enjouée, polissonne, ardente. Me croiras-tu si je t’affirme qu’elle a une liaison tumultueuse avec son masseur de là-bas ? Un mâle vigoureux d’une trentaine d’années ! Elle le chevauche d’importance, son fringant postillon ! Ces parties de cul, mon ami, si tu veux bien me passer l’expression ! Mais ces parties de cul ! la clinique en tremble. Elle est restée sur place, ayant obtenu une prolongation de séjour.

— Tu n’en conçois pas d’amertume ? m’étonné-je.

— Penses-tu ! Elle était devenue pour moi une sorte de pauvre petite sœur déshéritée ! Des lustres que je ne l’avais touchée, sauf pour lui poser des ventouses, des sinapismes et d’abjectes sangsues voraces ! Son tardif épanouissement me réjouit, au contraire. J’espère qu’elle pourra prolonger son séjour au maximum. Je profite de son absence pour transformer l’appartement…

— Et t’offrir une poulette ?

— Comment la trouves-tu ?

— Désirable.

— C’est mon esthéticienne. Divorcée, sans enfant. Au lit, une tigresse ! Je l’honore quatre fois par jour et lui prodigue des délices charnelles de bonne tenue !